5. La Dream Tim : Carter, Elfman & Depp
L'ÉQUIPE DE CHOC du réalisateur aux cheveux ébouriffés a encore frappé. Sur le terrain, chacun est à son poste pour répondre aux attentes de leur entraîneur bienveillant mais exigeant : Danny Elfman à la partition, Johnny Depp et Helena Bonham Carter devant la caméra. Petit retour sur une équipe sans laquelle Burton ne serait pas Burton. –
Par Florence Rochat, Claire Lavarenne et Anaïs Tharaud
– Helena Bonham Carter, poupon maléfique
PIÈCE DU PUZZLE devenue indispensable, l'anglaise Helena Bonham Carter est l'autre moitié de Tim Burton. Aussi douce que ténébreuse, celle qui s'est payée sa première photographie pour être dans un répertoire d'acteurs avec l'argent qu'elle avait gagné à un concours de poésie ne cesse, aujourd'hui, d'inspirer le cinéaste américain. Un teint de cire, de larges yeux noirs qui dominent une petite bouche en cœur, l'actrice anglaise dégage une certaine noblesse ancestrale conjuguée à un bouillonnement de névroses, digne héritière de son aristocrate de père et de sa psychothérapeute de mère.
FROIDEUR PHYSIQUE et esprit atypique, il n'en fallait pas plus pour séduire Burton, qui rencontre la jeune femme pour les besoins de son film La planète des singes,en 2001. A partir de ce tournage, elle occupe le rôle de muse et de compagne dans la vie, une source d'inspiration qui ne semble pouvoir s'épuiser, Alice au pays des merveilles marquant leur sixième collaboration consécutive. Tim Burton exploite la part d'ombre de sa fiancée, et lui offre ensuite le rôle d'une sorcière dans Big Fish (2004), en fait une mère dans la misère pour Charlie et la chocolaterie (2005) ou lui demande d'offrir sa voix à la défunte mariée des Noces funèbres (2005). Pour Alice au pays des merveilles, Tim Burton fait d'Helena Bonham Carter la Reine Rouge, une petite bonne femme tyrannique à la tête toute boursoufflée, au sujet de laquelle elle se demande avec amusement "si ce n'est pas un de ses fantasmes de [la] voir avec une si grosse tête"...
SON RÔLE LE PLUS AMBIGU reste Mrs Lowett dans Sweeney Todd,en 2008, poupée maléfique prête à tout pour gagner l'amour de Johnny Depp, barbier forcené en quête de vengeance qui égorge ses clients pour en faire des tartes. Ce rôle, reflet de son physique gothique, un peu irréel, lui a valu une nomination pour le Golden Globe de la meilleure actrice. C'est cette alchimie, ce goût pour le dérangeant, qui fait le succès des deux amants dans la vie et à l'écran. Leur mode de vie est très symptomatique de leur volonté de ne pas se laisser engloutir par la norme. Le couple vit en effet à Londres avec leurs enfants, mais dans deux maisons jumelles séparées par une chambre commune. Chacune des maisons leur appartient et est à l'image de leurs personnalités respectives, ils ne veulent pas vivre ensemble mais pas non plus être séparés l'un de l'autre.
– Danny Elfman, chef d'orchestre de la féérie
LE COMPOSITEUR DE MUSIQUE de films Daniel Robert (alias Danny) Elfman aime à penser qu'il n'a pas d'univers musical clos : "Tout dépend des réalisateurs. Tisser un lien étroit avec le réalisateur est le principal travail du compositeur d'une musique de film. Interpréter ce que le réalisateur perçoit dans une couleur, une émotion, ou une humeur, est très abstrait. Un réalisateur vous dit ce qu'il veut et vous devez ensuite retourner à votre musique et y répondre à travers elle, ‘Je pense qu'il a voulu signifier quelque chose comme cela’." Au-delà des collaborations avec Brian de Palma, Ang Lee ou encore Rob Marshall, Danny Elfman a surtout travaillé au long cours avec certains cinéastes, à l'instar de James Horner avec James Cameron ou John Williams avec Steven Spielberg. Outre Sam Raimi, avec qui il a collaboré sur quatre longs métrages (Darkman, 1990, Un plan simple, 1998, Spiderman, 2001, et Spiderman 2, 2004), et Gus Van Sant, dont il a signé la partition de trois films (Prête à tout, 1995, Will Hunting, 1997, et Harvey Milk, 2008), c'est son duo avec Tim Burton qui reste dans les mémoires.
LA SORTIE DU FILM Alice au Pays des merveilles est une nouvelle occasion d'illustrer le travail en osmose de deux artistes indissociables : "Nous n’avons pas besoin de parler de la musique, explique Burton. Nous n'avons même pas à l'intellectualiser, ce qui est une bonne chose pour nous deux, nous nous ressemblons sur ce point. Nous avons beaucoup de chance d'être connectés de cette façon." Les deux hommes ont commencé à travailler ensemble dès 1985, sur le premier long métrage du cinéaste, Pee-Wee's Big Adventure. L'univers de l’étrange et du féérique gothique apparaissent comme des éléments centraux qui fédèrent le travail du compositeur et du réalisateur, à croire que le nom de "l'Homme Elfe" l'y destinait.
SI L'ON FAIT LES COMPTES, Danny Elfman a composé les bandes originales de tous les films de Tim Burton, à l'exception d'Ed Wood, dont la partition est signée Howard Shore, et de Sweeney Todd, comédie musicale de Stephen Sondheim, soit au total une douzaine de collaborations. Il a écrit les chansons, et en a interprété certaines, des films L’Etrange noël de Monsieur Jack (1993) réalisé par Henry Selick mais écrit et produit par Tim Burton, Les Noces funèbres (2005) et Charlie et la chocolaterie (2005). Mais leur oeuvre commune n'est pas pour autant monocorde ; un survol de leurs collaborations entraîne tant vers la poésie de l'étrange, teintée de clochettes et de séquences de chœurs, qui définit la musique d'Edward aux mains d’argent (1990), que vers un univers empreint d'humour, frisant parfois l’absurde, comme celui de Mars Attacks ! (1996).
LA MUSIQUE DE DANNY ELFMAN donne une profondeur supplémentaire à la tristesse poétique des contes de Tim Burton. Que ce soit en animation ou en prises de vue réelles, le compositeur a souvent recours à des séquences de chœurs qui contribuent à transporter alors le spectateur du film dans un autre univers. Pourtant, "je ne pense pas qu'il y ait de marque de fabrique ‘Danny Elfman’ constant dans mon travail, affirme le compositeur. Je n'entends pas beaucoup de similarités dans ce que je fais et je ne pense qu'il soit nécessaire que j'ai un style particulier. Avoir un style n'est pas une mauvaise chose, mais je préfère me diriger dans la voie d'un compositeur qui ne sait jamais ce qu'il va faire la prochaine fois."
– Johnny Depp, alter ego
ALORS QUE JOHNNY DEPP se désespère sur le plateau de tournage de la série 21 Jump Street, le scénario d'Edward aux Mains d'argent (1990)lui tombe entre les mains. C'est le coup de foudre pour le personnage, mais aussi (surtout) pour Tim Burton, le réalisateur aux cheveux hirsutes qui lui ressemble étrangement. La capacité de métamorphose de l'acteur caméléon qu'est Johnny Depp permet toutes les folies à l'imagination débordante du cinéaste, et sa sensibilité d'écorché vif répond à la richesse du monde intérieur du réalisateur. A l'image de Kyle McLachlan pour David Lynch, Johnny Depp est l'alter ego de Burton à l'écran.
L'ACTEUR RETROUVE le réalisateur pour Ed Wood (1994), dont il tient le rôle principal. Il incarne ensuite le fragile Ichabod Crane dans Sleepy Hollow (1999), puis le flamboyant Willy Wonka dans Charlie et la Chocolaterie (2005) et il interprète enfin le personnage éponyme du drame musical Sweeney Todd (2008), le terrifiant barbier. Entre-temps, il prête également sa voix au jeune héros des Noces funèbres (2005). Alice au pays des merveilles, où le comédien se travestit en chapelier fou et retors, marque la quatrième collaboration consécutive entre les deux hommes, sur sept longs métrages communs en deux décennies. Et Depp de montrer l'étendue de son jeu empli de nuances : clownesque dans la peau d'Ichabod, tout en retenue dans celle de Sweeney Todd, son personnage surprend en permanence. S'il les habille souvent de tragique, comme si leur passé était toujours sombre, il nourrit tout autant leur dimension humoristique.
A LA VILLE, Johnny Depp est par ailleurs le parrain du fils de Tim Burton et Helena Bonham Carter, une façon de sceller un lien quasi-familial entre les deux artistes, qui enrichit leur collaboration, comme l'explique le comédien : "Tim a juste besoin de prononcer quelques mots, même sans rapport, de pencher la tête, de froncer les sourcils ou de me regarder d'une certaine manière et, instantanément, je sais exactement ce qu'il attend de la scène."
dégage une certaine noblesse ancestrale conjuguée à un bouillonnement de névroses, digne héritière de son aristocrate de père et de sa psychothérapeute de mère.
sur quatre longs métrages (Darkman, 1990, Un plan simple, 1998, Spiderman, 2001, et Spiderman 2, 2004), et Gus Van Sant, dont il a signé la partition de trois films (Prête à tout, 1995, Will Hunting, 1997, et Harvey Milk, 2008), c'est son duo avec Tim Burton qui reste dans les mémoires.
plateau de tournage de la série 21 Jump Street, le scénario d'Edward aux Mains d'argent (1990) lui tombe entre les mains. C'est le coup de foudre pour le personnage, mais aussi (surtout) pour Tim Burton, le réalisateur aux cheveux hirsutes qui lui ressemble étrangement. La capacité de métamorphose de l'acteur caméléon qu'est Johnny Depp permet toutes les folies à l'imagination débordante du cinéaste, et sa sensibilité d'écorché vif répond à la richesse du monde intérieur du réalisateur. A l'image de Kyle McLachlan pour David Lynch, Johnny Depp est l'alter ego de Burton à l'écran.
