L`Intermède
2. Nathalie Robine,
quand le canard fait pâlir le cygne

Le cœur frêle, la répartie assassine : Nathalie Robine couche son âme sur son premier album Le Syndrome du canard. Treize morceaux à la rhétorique acérée où, accompagnée de sa guitare bleue, elle crie, murmure, chantonne, pleure, la difficulté d'être femme quand on n'est pas de celles que les hommes aiment serrer dans leurs bras.


Assise dans le salon privé d'un hôtel parisien, Nathalie Robine, 33 ans, gratte distraitement sa guitare, le regard dans le vague. Ses longs cheveux fillasses ondulent doucement le long de ses épaules, tandis que la fumée des cigarettes roulées qu'elle allume sans fin tapisse la pièce de lumière blanche. Dans ce premier album hommage au vilain canard d'Andersen, Robine chante en acoustique, accompagnée de sa douce moitié à cordes, la difficulté d'être soi. Et revient sur ses 17 ans, à l'âge où les garçons ne l'épargnaient pas. Elle y puise une voix pure, parfois métallique, mais toujours imprégnée d'une urgence poignante. Dès ses premiers mots, elle formule une rime à peine chantonnée : "Au fond, celles qui ont l'habitude qu'on les cajole, ignorent la solitude que rien ne console."

Aux côtés des Pauline Croze, Grande Sophie, Emilie Loizeau et autres Jeanne Cherhal, Nathalie Robine s'est frayé un chemin dans l'embouteillage des chanteuses françaises à texte. Sa force vient de sa fragilité, comme un phœnix qui renaît sans cesse de ses cendres. La musique n'a pourtant pas toujours été une évidence sur la route sinueuse de l'artiste. Elle était de celles que les garçons appellent avec mépris "une fille facile", dont ils pillent le cœur et le corps pour frimer devant leurs copains, sans plus de respect pour elle que si elle avait été une prostituée. Elle le raconte dans sa chanson "La valse des montres" : "Enlacée contre vous, à respirer vos cheveux / Je le sais, je l'affirme, vous m'aimiez un peu / Je me répétais : 'faut pas que je m'attache' / Vous, vous pensiez : 'il faut pas que ça se sache' / Vous veniez chez moi, et dès le lendemain / Vous refusiez, en public, de me tenir la main". Dans le texte, de la tristesse. En face à face, elle reste muette quelques instants, avant de partir dans un fou rire inattendu : "Quand on a passé comme moi une moitié de sa vie à se haïr à cause des autres, on fait tout pour que la suite n'ait plus rien à voir, et quand les larmes viennent, eh bien... On rit !".

Elle rallume son mégot encore éteint, et évoque sa rencontre avec Alain. Les yeux brillants comme une adolescente, elle parle de sa vie à Madrid où elle a fui deux ans, des mœurs qui y sont plus libérées, des longues nuits de débauche dans des bars enfumés et, surtout, de cette soirée où elle a rencontré son mari, ingénieur du son engagé pour un concert donné dans le quartier de Chueca. "Ma rencontre avec Alain a été un déclic, dans ses yeux j'étais belle, même si je me trouvais moche. Ce que j'ai essayé de faire sur ce disque, c'est de retranscrire toute la beauté qui est en moi. Sans Alain, je n'aurais cru que le miroir." Ses lèvres trop fines, ses formes indéniablement généreuses, son visage "qui n'a rien de joli", Nathalie s'en moque. Elle a son homme, ses deux enfants et sa guitare couleur de temps contre laquelle elle s'endort parfois. Avec Alain, elle écrit ses premiers textes, explore sans craintes son monde intime, et se découvre très rapidement une véritable soif pour l'écriture.

Les années ont passé, et Le Syndrome du canard, premier opus et troisième enfant de Robine, est né. "Un accouchement libérateur", constate-elle. Ce titre lui est venu un jour en parcourant le livre du psychiatre et ethologue Boris Cyrulnik Les Vilains petits canards, essai sur la résilience de personnalités marquantes telles Brassens, Barbara, la Callas ou Céline... Des artistes légendaires qui ont su faire de leur enfance piétinée une force créatrice. Nathalie frotte son menton rond, touche nerveusement son pull violet troué à la manche, avant de faire remarquer en toute sérénité que "Pour une fois, le canard honteux de ce qu'il est, avait le droit de se foutre du cygne. Moi je suis un canard épanoui, et je le chante..." Il n'y a aucun doute, Nathalie Robine est bien vivante, et le hurle à la face du monde. Elle oscille sans cesse entre une douleur qui la prend aux côtes et une joie de vivre explosive.

Sa sexualité, sujet dominant de l'album, au centre de la balade "Péché pardonné", Nathalie Robine la découvre très jeune. Car, si elle ne sait pas comment plaire aux garçons de son âge, elle ne sait pas non plus leur dire non. Elle regarde un instant par la fenêtre, la mine un peu éteinte, roule maladroitement une cigarette en mettant du tabac un peu partout, avant d'expliquer que c'est le regard des autres qui a tout compliqué. Pour elle, la sexualité est un terrain de découverte de soi, de ses limites, de sa capacité à s'abandonner au monde. "J'étais surement en avance sur mon âge. J'avais deux ans de plus , peut-être deux ans de trop et j'aimais les garçons peut-être un peu trop... On pensait que je couchais pour être aimé. C'est vrai que je voulais qu'on m'aime enfin, mais j'aimais aussi réellement le sexe."

La chanteuse s'agite, son débit de parole s'accélère, les souvenirs repassent dans sa tête. Elle revoit ses voisines se moquer d'elle dans la rue "Les autres filles, de perfides petites saintes, m'auraient bien tondu les cheveux à une autre époque". Avant d'ajouter : "Vous savez, certaines tombent amoureuses, parce que c'est beau, c'est pur, ça les élève... Moi je tombais amoureuse, comme on tombe d'une chaise". La jeune femme reprend son souffle pour expliquer l'importance de parler sans tabou de la sexualité avec les jeunes filles. Pour Nathalie Robine, elles ne doivent en aucun cas se sentir sales parce qu'elles aiment faire l'amour et, surtout, ne pas avoir honte de qui elles sont : "Parce que vous n'avez pas un physique de femme fatale à la Sharon Stone dans Basic Instinct, vous n'auriez pas le droit d'aimer le sexe. Je ne comprends pas."

Ses yeux bruns, ronds comme sa bouille, dévoilent deux pupilles dilatées. Nathalie revit encore et encore moments de solitude, centaines d'abandons et fausses promesses. Elle attrape le verre à pied devant elle, avale d'une traite trois gorgées de vin rouge, et joue quelques accords sur sa guitare bleue. Les mèches noires mal peignées caressent le haut de sa forte poitrine, un sourire serein domine son visage. Comme apaisée par la musique, la fragile Robine sort pour la millième fois de sa chrysalide en sublime canard, bien loin d'être si vilaine qu'elle le croit.

Florence Rochat
Le 30/01/10

"Je suis de celles" est une chanson extraite de l'album Les risques du métier de Bénabar.



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