L`Intermède

3. Bon vent, la Vanité

Parce qu’elle considère avoir suffisamment inspiré peintres et poètes, la Vanité se retire du monde de l’Art, et part s’isoler en Bretagne. Cette Muse, pourtant au centre d’un grand nombre d’œuvres, explique son choix en toute simplicité.


Sa beauté froide intimide. Et pourtant, celle qui se cache derrière ce visage de glace est loin d’être sans cœur. En robe noire, comme toujours, elle entre dans la pièce, un grand salon meublé Louis XV, écrin de rêve pour son allure majestueuse. Sa noble posture, son fier port de tête, tout semble à sa place dans ce décor d’antan. Calmement, elle s’installe. La voilà prête à dévoiler ses secrets. Elle commence par une coquetterie ("Je n’ai pas toujours été très sage"), mais le ton est plutôt à la confidence : "J’ai vu disparaître tous ceux que j’aimais". Voilà le drame de cette grande brune : la Vanité a traversé les époques sans prendre une ride, et la voilà arrivée à un point qu’elle nomme "de non-retour".

vanité, portrait, vanités, portraits, peinture, crâne, alfred agache, palais des beaux-arts, lille, fiction, interview, rencontre, nouvelleElle regarde ses pieds avant d’ajouter : "Cela fait déjà longtemps que j’aurais dû partir. Dans la société actuelle j’ai perdu tout intérêt". Difficile d’être une femme sans âge, de ne pas vivre au même rythme que les humains. "Mon problème a toujours été de ne me lier qu’avec ceux qui allaient disparaître. Les autres ne m’intéressent pas. C’est pour cela que beaucoup m’ont représentée par un crâne." Et si ce n’est par le chef d'un squelette, c’est par une très belle femme, mais souvent éloignée de la réalité. "Peu m’ont vraiment connu. Ma réputation me précédait, et nombreux sont les portraits réalisés sur de simples dires." Pourtant, nombreux sont les artistes avec lesquels elle a été liée : elle vivait clandestinement ses histoires d'amour. "Finalement, ce n’est pas tant mes amants qui me représentaient, mais bien plus leurs amis qui avaient entendu parler de moi. Je ne me suis jamais reconnue en ces portraits, mais peu importe, les gens peuvent bien se faire l’image qu’ils souhaitent de moi. Je ne suis pas des leurs de toute façon."

Cette intime de Ronsard se plaît à répéter ce qu’il avait dit d’elle : "Par ses pupilles sombres elle fixe / Le temps qui passe vite oh nixe / Loin de toi je m’en vais hélas." Et cela fait bien longtemps que la grande faucheuse les a séparés. La gorge nouée, elle estime "en avoir rencontrés peu comme lui." Elle se souvient des soirées qu’elle a passées entourée d’écrivains, de poètes, tous fascinés par son incroyable savoir acquis siècle après siècle. Avoir toujours été dans les milieux intellectuels a fait d’elle non seulement un puits de connaissance, mais aussi une esthète sans égal. En toute modestie, pourtant, elle affirme n’avoir jamais eu aucun don pour distinguer "un chef-d’œuvre d’une vulgaire croûte. J’ai simplement eu la chance de ne rencontrer que de grands artistes qui ont fait de moi ce que je suis maintenant. J’aurais très bien pu n’être admirée que par des gens médiocres, je n’en aurais rien su."

Elle repense d’ailleurs avec colère au scandale du tableau L’Origine du monde de Gustave Courbet, dont le modèle dénudé reste inconnu. "Joanna Hiffernan, maîtresse de Whistler et modèle fétiche de Courbet à l’époque, est vraisemblablement celle que l’on montre sur le tableau, mais d’aucuns ont dit que ce pouvait être moi. Un certain Manfred L. en a même fait son cheval de bataille durant plusieurs mois. La meilleure chose à faire était de feindre l’ignorance." Pas facile d’être une Muse. La Vanité reprend alors : "Et si Courbet m’avait utilisé comme modèle, il ne s’en serait pas caché et aurait mis mon nom en titre. Nous étions suffisamment proches pour qu’il me demande de poser ainsi. Il savait que je ne le lui aurais pas refusé, lui à qui je dois la rencontre avec l'homme que j'ai le plus aimé."

La phrase à peine achevée, ses yeux s’embuent. Elle tourne la tête, sans doute pour cacher la larme qui glisse lentement le long de sa joue droite. Elle ne veut pas dire son nom, le garde pour elle-même. "Il a pourtant vécu âgé. Mais pas suffisamment. Je l’ai rencontré, il devait avoir vingt ans. Je n’ai pas vraiment la notion des âges, donc je ne sais plus exactement. Il était beau. J’en suis tout de suite tombée amoureuse. Nous avons vécu de si bons moments dans la maison qu’il nous avait construite près de Brest. Nous ne nous voyions pas souvent car il était marin. Je restais à l’attendre dans notre maison, ou bien j’allais séjourner quelques temps à Paris. Car, loin des Salons, je n’avais pas vraiment d’existence. Il était très différent des autres hommes que j’ai pu fréquenter, rien que par sa position sociale. Je ne pourrai pas l’oublier." Elle explique alors ce qu’est de ne pas pouvoir mourir, d’être toujours présente alors que ceux qu’elle aime disparaissent. Sa voix, de plus en plus faible, marque le drame qui l’habite, et ses angoisses de connaître l’éternité alors qu’elle vit dans un monde où tout a une fin. "Moi, non, je suis sans fin, et pourtant j'ai l'impression de ne rencontrer que la mort", murmure la Vanité, comme si elle se parlait à elle-même.

"C’est aussi pour cela que, n’ayant aucune fin possible, je décide d’en choisir une. Je quitte le monde des vivants et me retire pour vivre isolée, avec pour seuls compagnons les souvenirs que j’ai accumulés tous ces siècles passés." C’est dans la maison que son amant lui a construite que la Vanité se retire. "Les artistes au XXIe siècle n’ont plus besoin de moi. Je suis déjà tellement présente dans la société actuelle, à quoi servirait une allégorie ?" soupire-t-elle, sans que l'on sache si c'est de tristesse ou de soulagement. Mais rien ne semble plus la retenir. "Je pars."
 
Chloé Hipeau
Le 01/02/10

Tableau : Alfred Agache, Vanité, 1885


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