L`Intermède
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DENIS VILLENEUVE, réalisateur québécois, à qui l'on doit notamment Incendies, revient cette année avec un film de science-fiction portant sur l'arrivée soudaine de vaisseaux extra-terrestres et les tentatives d'une linguiste (Amy Adams), accompagnée par un physicien (Jeremy Renner), pour communiquer avec ces êtres radicalement différents. Celui qui va réaliser la suite de Blade Runner signe ici un opus qui s'inscrit de toute évidence comme un nouveau jalon dans l'histoire du cinéma de science-fiction moderne. Rares sont les films qui adaptent un texte de science-fiction contemporain. C'est pourtant ce que fait Denis Villeneuve en portant à l'écran la nouvelle "L'histoire de ta vie" du très primé Ted Chiang. Rares sont les films qui mettent en avant une femme, qui plus est universitaire, et qui plus est en sciences humaines. C'est pourtant ce que fait également Denis Villeneuve. Avec Premier Contact, le réalisateur utilise les possibilités de la science-fiction pour proposer une expérience audiovisuelle dont on ne sort pas indemne, un film intimiste à l'ampleur visuelle du blockbuster. Il raconte avec simplicité la complexité. Il dit le langage, le cinéma, le temps et l'amour.

Par Claire Cornillon 

TOUT COMMENCE par une vie condensée, comme pour déjà nous dire que la fin n'est pas le but, que c'est le chemin à parcourir qu'il faudra chérir à chaque instant. Naissance et mort en quelques minutes de film, une vie éphémère, mais dont la valeur est sans limite. Si Premier Contact porte sur le langage, c'est tout autant un film sur le temps. Or le cinéma, on le sait, est un art du temps. Le récit se construit par le montage, l'expérience par la succession d'images qui se déroulent. Et le film ne cessera de tisser des liens entre cinéma, temps et langage, faisant se répondre l'histoire, le récit, les motifs visuels et sonores.

Un film sur le cinéma
 
MÉTA-FICTIONNEL. C'est par ce mot, d'abord, que se définit Premier Contact. Il s'agit de dire, par le biais même de la fiction, ce que le film est pour nous : un langage, une expérience partagée, une tentative de communication, une temporalité qui insiste sur le présent. denis villeneuve, arrival, premier contact, science-fiction, sciences humaines, personnage feminin, ted chiang, jeremy renner, amy adams, extra-terrestres, écologie, sapir-whorf, méta-fictionTous les grands films nous plongent de manière éphémère hors du monde, quelle que soit la façon dont ils le font. Ils arrêtent le temps du quotidien qui tend toujours à nous échapper pour nous faire exister, le temps d'une séance, dans le présent. Le film est une capture, un temps suspendu. De même, la première fois que Louise et Ian pénètrent dans le vaisseau, le temps se distend : chaque micro-seconde devient cruciale, alors que les repères spatiaux disparaissent. La confrontation avec une altérité radicale, un moment qui serait probablement le moment le plus important de l'histoire de l'humanité. Denis Villeneuve prend le temps de filmer la paroi du vaisseau, comme son  personnage qui cherche à la toucher. Il filme les personnages marchant sur le plafond, arpentant un espace qui n'existe plus selon les règles connues. L'harmonie des cadrages dans leur bizarrerie même, la roche sombre, les combinaisons qui entravent les mouvements : on pense à 2001, évidemment. La scène se fait expérience, d'un temps dilaté car fondamental. Denis Villeneuve filme l'attente, la brume. Les sons, comme des souffles de trompes, toujours entre la musique et le bruitage, contribuent à la solennité du moment. Et la barrière qui sépare les hommes des heptapodes ressemble à s'y méprendre à un écran de cinéma. 
 
Vers un nouvel humanisme
 
MAIS PLUS ENCORE, Premier Contact est un film qui interroge le monde contemporain, un monde humain déshumanisé, détaché de la nature, constamment pris dans d'interminables conflits. Le mur d'écrans sans images où résonnent les lettres du mot "déconnecté" à la place de chacun des visages des interlocuteurs désormais refermés sur eux-mêmes traduit en un plan cette situation. Les nations s'affrontent et ne peuvent faire face à l'événement ensemble. Or le film porte sur l'être ensemble, tant dans la tentative d'unir les nations pour répondre à l'appel des extra-terrestres, que dans les efforts pour comprendre et communiquer avec des êtres qui ne nous ressemblent en rien.
 
C'EST AUSSI, IN FINE, dans la prépondérance accordée à l'histoire personnelle des personnages que se joue cette problématique, celle de l'amour. Alors même que les personnages sont héroïques, il ne s'agit pas d'un film épique ou d'un film d'action. Il s'agit d'un film qui traite les relations et les interactions comme si elles étaient les actions les plus importantes. Et l'on ne s'étonnera pas que l'histoire se termine sur un geste aussi simple qu'essentiel : celui de prendre quelqu'un dans ses bras. Le gros plan, celui qui nous tient au plus près du personnage, non seulement de son émotion, mais aussi du grain de sa peau, devient l'apanage du personnage de Louise. Denis Villeneuve filme Amy Adams pour qu'elle soit chacun de nous, pour qu'elle transforme la surface plane de l'écran de cinéma en contact humain. Nous sommes témoins de sa vie, comme elle l'est elle-même avant de la vivre. Dans l'empathie, se construit ce rapport à l'autre que met en valeur le film, dans la fiction, mais aussi avec le spectateur. La mélodie associée à ses souvenirs que l'on entend régulièrement dans le film magnifie également cet élan empathique.
 
CE QUE LE SCIENTIFIQUE peine à comprendre, c'est ce qui est au cœur du travail de la linguiste : l'humain. Rarement aura-t-on autant mis en avant dans un film l'apport essentiel des sciences humaines. Il s'agit d'agir en tant qu'humain.
denis villeneuve, arrival, premier contact, science-fiction, sciences humaines, personnage feminin, ted chiang, jeremy renner, amy adams, extra-terrestres, écologie, sapir-whorf, méta-fictionC'est à dire d'aller vers l'autre et de construire quelque chose avec lui. Le film s'inscrit dans la tendance récente très forte d'une science-fiction humaniste, qui s'illustrait déjà dans Interstellar ou dans Midnight special. Mais ce que nous dit Premier Contact, c'est qu'il faut redéfinir l'humanisme : pour remettre l'humain au centre, il faut déjà s'interroger sur ce qu'est l'humain. "Maman et papa parlent aux animaux", dit la petite fille. Dans cette simple réplique se joue l'un des grands propos du film, qui est probablement le rapport au vivant. L'humain au centre ne veut pas dire l'homme au sommet. L'oiseau en cage, qui n'est là pour les militaires et les scientifiques que comme outil, figure ce décalage fondamental. Le propos écologiste du film est de toute évidence dans cette réintégration de l'homme à l'univers qui l'entoure, en recherche d'une harmonie à la fois avec son environnement et avec les autres êtres qui le peuplent. Les heptapodes ne laissent aucune trace. Leurs vaisseaux s'évanouissent dans la brume comme s'ils n'avaient jamais été là. Leurs parois ressemblent à la roche ou à  la rugosité de leur peau. Ils écrivent sans outil, avec leur main, et leur écriture, éphémère, se dissout comme de l'encre dans l'eau. Ils nous montrent la voie d'une existence qui ne nuit à rien ni à personne. Si la réponse se perd dans le vent, c'est parce que le vent est la réponse. Le vaisseau devient dès lors un sas, un passage vers un état de conscience de ce qui nous rend humain. Entre les couleurs bleutées et froides du monde des hommes représenté par le camp militaire et les couleurs chaudes des souvenirs de Louise, existe le noir et blanc de l'intérieur du vaisseau. 

Temps et langage

LA PROBLÉMATIQUE DU LANGAGE et celle du temps se retrouvent constamment. La vision non-linéaire du temps qu'expérimentent les heptapodes impose une approche qui n'est pas tournée vers la récompense de l'avenir. denis villeneuve, arrival, premier contact, science-fiction, sciences humaines, personnage feminin, ted chiang, jeremy renner, amy adams, extra-terrestres, écologie, sapir-whorf, méta-fictionIl s'agit de vivre chaque instant, même si l'on sait que l'issue sera fatale. Les souffrances à venir n'effacent pas le bonheur du présent. Il y a quelque chose de presque stoïcien dans ce rapport au temps, qui invite à se détacher de la fatalité pour exister réellement. Le film ne nie pas le libre arbitre mais pose plutôt la question de l'agir à une autre échelle, celle du moment vécu. Premier Contact met en avant le motif du cercle, que ce soit par la structure de son récit ou par la forme de l'écriture des heptapodes. Le temps n'existe que par la manière dont nous le percevons. Dès lors, si nous changeons notre manière de percevoir, nous changeons l'être-même. L'évocation de l'hypothèse Sapir-Whorf, sur laquelle se fonde le concept du film, à savoir que l'apprentissage d'une langue pourrait reconfigurer notre cerveau et notre manière de voir le monde, répond à ce motif. En cherchant non pas à obtenir des informations, comme le souhaiteraient les militaires ou les autres scientifiques, mais à comprendre les êtres qu'elle a en face d'elle, Louise leur propose une véritable communication. Elle franchit ce pas, doublement inquiétant, d'exposer sa main et de la tendre vers l'inconnu, parce qu'elle sait que c'est là la seule chose à faire. Louise finira d'ailleurs par passer de l'autre côté de la barrière/écran, du miroir pourrait-on dire, cassant la frontière qui la séparait des êtres. Et c'est ce qu'elle nous invite à faire en sortant de la salle de cinéma.
 
DÉJÀ, LORSQUE LA NOUVELLE de leur arrivée se répand à la télévision, ce ne sont pas les vaisseaux sur l'écran que nous voyons d'abord, mais bien les visages qui regardent cet écran, mettant le spectateur à la place de la télévision, interrogeant déjà ce rapport à l'image, mais aussi tissant un lien étroit entre ce que nous sommes en train de voir et la réalité du monde dans lequel nous vivons. Les personnages semblent regarder les spectateurs du film à travers l'écran, comme si, avant même que l'histoire ne commence, ils nous invitaient à l'après, à repenser notre monde à l'aune de l'expérience qu'ils nous auront fait vivre. 

C.C.
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À Paris, le 26 décembre 2016
 
Premier Contact de Denis Villeneuve
Avec Amy Adams, Jeremy Renner, Forrest Whitaker...
1h57
Sorti le 7 décembre




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