L`Intermède
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DEPUIS SA CRÉATION EN 1988 par le romancier Thomas Harris, Hannibal Lecter hante l'imaginaire collectif. Sans doute que l'adaptation cinématographique du Silence des Agneaux par Jonathan Demme en 1991, où Anthony Hopkins affrontait Jodie Foster, n'y est pas étrangère. Mais alors que le plus célèbre des cannibales a eu droit à une littérature conséquente et de multiples déclinaisons cinématographiques ces dernières années, une pièce du puzzle semblait manquer : rien, ou peu, n'avait encore été dit sur sa relation avec le profiler Will Graham. C'est dans cette brèche que le réalisateur et scénariste Bryan Fuller s'est engouffré, point de départ de la série télévisée Hannibal, diffusée sur NBC (2013-2015). La liberté scénaristique dont a joui cette fiction sur petit écran au cours de ses deux années d'existence a permis à son créateur d'explorer le thème de la mort de façon esthétisée, voire poétisée, dans la droite lignée du Se7en de David Fincher.

Par Eva-Luna Tholance

DÈS LE DÉBUT DE LA SÉRIE, Hannibal s'ancre dans une esthétique du corps mutilé, proche du gore. Le premier épisode montre sans retenue Garret Jacob Hobbs tranchant la gorge de sa femme et de sa fille, avant d'empaler ses victimes sur des bois de cerf. Aucun détail visuel n'est épargné au spectateur, et aucun élément psychologique non plus : Will Graham, avec son don d'empathie qui lui permet de comprendre les psychopathes, se fait spectateur des déambulations d'un esprit torturé et tortionnaire. Ces déformations de la réalité changent la perception du meurtre. Il ne s'agit pas simplement d'un acte hannibal, série, télé, thomas harris, lecter, psychologue, cannibale, mads mikkelsen, hugh dancy, tueur, serial killer, analyse, esthétique, bryan fuller, gillian anderson, laurence fishburne, saisonde pure violence animale et antisociale : chaque mise à mort a un sens pour le tueur, et est empreinte d'une forte dimension symbolique. L'un des tueurs fait ainsi pousser des champignons sur ses victimes, car ceux-ci, grâce à leur mode de reproduction, symbolisent le lien entre tous les êtres vivants. Un autre transforme ses victimes en ''anges'', afin de les expier de leur péchés.



Ciel et enfer

LES IMAGES DES CORPS DÉTRUITS sont donc bien souvent choquantes, voire repoussantes, mais saisissent toujours par leurs qualités artistiques. La découverte de deux "anges" dans l'épisode 5 de la première saison, par exemple, se ferait presque l'écho des toiles du Caravage ; par sa dimension biblique, d'abord, mais aussi par l'utilisation du clair-obscur qui plonge une partie de la pièce - dont les victimes - dans un noir presque total. C'est le lit qui devient le centre du tableau, l'objet qui concentre toute la lumière. Et le tueur, même s'il n'est pas présent au moment de la révélation de son œuvre, en reste l'objet. Il se fait démiurge d'une œuvre qui le dépasse. C'est ce que le psychopathe voit que Will Graham, grâce à son empathie hors du commun, ressent ; et ce dont est ultimement témoin, par la représentation visuelle, le spectateur lui-même. Le tueur est, pour le profiler, un artiste, à la manière d'un Botticelli qu'Hannibal s'évertuait à reproduire dans sa jeunesse. Le meurtre devient un acte raffiné et sensuel, ce qui se ressent notamment dans les scènes durant lesquelles Lecter cuisine : les plans sur la viande se font très lents et rapprochés, presque alléchants - et c'est pourtant bien de la chair humaine. Un foie saute dans la poêle sur de la musique classique, et les plats achevés semblent tout droit sortis d'un restaurant gastronomique. Un cannibalisme sophistiqué, en somme.

LA VICTIME DEVIENT UN MOYEN pour le tueur d'achever son dessein. La vie d'un individu n'a pour lui pas plus de valeur que celle d'un insecte. Le corps est la matière qu'il utilise pour s'exprimer, comme le fait un peintre avec des pigments ou un sculpteur avec du marbre. Il le consomme, le forme et le déforme sans souci pour la victime, qui n'est que le vaisseau transportant son message. La limite entre la vie et la mort en devient quasi imperceptible. Dans la troisième saison, la mort d'une femme s'exprime par un changement de focalisation de son visage à celui de son mari, lorsqu'elle rend son dernier soupir. De même, le retour à la vie d'un corps au seuil de la mort par des chirurgiens fait l'objet d'un montage parallèle avec l'autopsie d'un autre corps, où les plans se répondent en miroir. C'est cette fine ligne entre la vie et la mort qui élève les tueurs, dans leur esprit, au rang de dieux. D'ou la récurrence d'une imagerie hannibal, série, télé, thomas harris, lecter, psychologue, cannibale, mads mikkelsen, hugh dancy, tueur, serial killer, analyse, esthétique, bryan fuller, gillian anderson, laurence fishburne, saisonreligieuse, divine ou satanique. Au début de la dernière saison, le visage d'Hannibal est ainsi remplacé par celui de Lucifer. Et au milieu de la saison 2, alors que le cannibal est kidnappé par un tueur voulant venger Will, il se retrouve attaché... à une croix.



Voyeurisme morbide

AU FIL DES SAISONS, la relation entre l'image et la mort se fait plus intime, grâce aux nombreuses visions macroscopiques de gouttes de sang tombant dans l'eau ou sur le sol, ou encore aux ralentis. La caméra s'approche toujours davantage de la mort, et la laisse suspendre le temps. Autant de procédés stylistiques qui montrent certes la façon méthodique, soignée, calculée, dont les serial killers agissent, mais qui traduit aussi le lien grandissant entre Will Graham et Hannibal Lecter. Au gré des épisodes, un lien invisible se forme entre les deux hommes, dans lequel Lecter veut même voir de l'amitié. Ainsi, dès son arrivée sur une scène de crime à Florence, Graham comprend que le cœur formé à partir d'un torse humain est l'expression des regrets d'Hannibal quant à la tournure qu'a pris leur relation. Cela se concrétise visuellement par l'apparition d'un cerf noir à l'intérieur du cadavre, qui le représente dans les hallucinations du profiler. Il semble que le lien entre eux soit si fort que Graham ne sache plus se différencier du tueur : le visage d'Hannibal disparaît ainsi souvent en fondant sur celui de Graham. Il croit même durant l'épisode 6 de la dernière saison se voir à la place du serial killer, se regardant en face de lui.

L'EMPREINTE QUE LAISSE LECTER sur Graham semble indélibile. Le cannibale dit lui-même à propos de leur relation : ''Nous avons ignoré le pire en nous pour y voir le meilleur.'' L'intérêt du profiler pour le tueur, qui n'était auparavant que professionnel, se transforme en une sorte d'obsession, un besoin impérieux de découvrir les détours sinueux qu'emprunte son esprit. Les crimes importent peu, tout ce qui compte pour Graham est de pouvoir anticiper le prochain pas de Lecter. C'est cette attraction hannibal, série, télé, thomas harris, lecter, psychologue, cannibale, mads mikkelsen, hugh dancy, tueur, serial killer, analyse, esthétique, bryan fuller, gillian anderson, laurence fishburne, saisonpour le cannibal qui le pousse à l'avertir alors que la police s'apprête à l'arrêter, et qui lui permettra de s'enfuir après avoir commis un massacre. Mais cette réaction n'est peut-être pas celle de Graham seul. Car l'acteur Madds Mikkelsen, qui prête ses traits émaciés au tueur, dégage un charisme inquiétant qui empêche de voir le monstre caché sous sa peau. La peur se mêle à la fascination. C'est la grandeur, la beauté dans l'horreur de ses actions que le spectateur perçoit, davantage que sa perversité. Ainsi, Will Graham, soumis involontairement au charme d'Hannibal, n'est peut-être que le reflet d'une société qui élève des êtres comme Hannibal Lecter, inatteignables, indescriptibles, incompréhensibles, au rang de mythes.

E-L.T.

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A Paris, le 27 septembre 2015

Hannibal (2013-2015)
Une série américaine de Bryan Fuller - 3 saisons, 39 épisodes
Avec Hugh Dancy, Mads Mikkelsen, Caroline Dhavernas, Laurence Fishburne...
D'après les personnages de Thomas Harris
Diffusée sur NBC et Canal +

 
 




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