
envahissent, immense faisceau diagonal, la gigantesque salle faussement vide. Là-haut, dans les filaments, la lumière bouge, se métamorphose, appelle à traverser… mais du visiteur à elle, il n'y a pas que du vide.
Ce sens du presque possible, renforcé par l'habitude d'œuvres interactives ou circulatoires, se poursuit dans la salle de lecture aménagée par Eli Levenstein. Le plancher de bois y est partiellement recouvert de plaques de moquette grise, aux bords ourlés de punaises métalliques d'où s’échappent des franges irrégulières, et au beau milieu desquelles sont renversés des poufs en papier bulle dont les boutons sont des tissus carrelés ou des ballots de tissu rouge et orangé, ficelés et couturés de fuschia, jetés en travers comme un camping oublié. Naturellement, on n'ose pas marcher à coté de la moquette, qui semble indiquer le chemin vers la salle suivante. Et si on s'y essaye, c'est pour mieux culbuter parmi les coussins extravagants dont certains semblent, si l'on y prête attention, revêtir forme humaine. Mais celui qui refuse de suivre le chemin guidé se retrouve dans une posture paradoxale, prenant le soin de marcher en dehors de l'oeuvre, comme si le lieu où est habituellement inscrit "ne pas toucher" devenait interdit. Pourtant, il ne s'agit que d'une salle de lecture, où les gens sont cordialement invités à s'installer. Presque une décoration un peu fantaisiste dans un coin enfants de bibliothèque. Plus loin, les aluminiums de Michael Beutler, les lentilles et les perles de verre de Alyson Shotz et les éventails et les plastiques de Dan Steinhilber travaillent eux aussi à dérouter le visiteur, en lui proposant des trajets et des occupations d'espace qui remettent implicitement en question ses attentes traditionnelles et souvent inconscientes.
diagonales), Sol LeWitt a peu à peu élaboré une grammaire complexe et systématique, quoique toujours ouverte, en ajoutant les couleurs primaires, en multipliant les façons d'exécuter les lignes, en étendant l'utilisation des droites et des carrés aux arcs de cercle et aux courbes, puis en ajoutant les couleurs complémentaires et en multipliant les procédures de remplissage des plans verticaux, de juxtaposition, superposition et combinaison des couleurs, et enfin en intégrant de plus en plus l'architecture dans ses œuvres.
Mais les murs gris, pastel ou vifs issus de la géométrie conceptuelle de LeWitt invitent à d'autres promenades. En dépit ou grâce à la composition systématique, bien loin des œuvres-manifestes à contenu purement discursif, la dimension des murs peints donne une majesté inattendue aux plus simples combinatoires et clarifie les schémas plus complexes. Dans ces grands espaces bas de plafond et plus longs que larges, mais dont la dimension est déjà assez inhabituelle pour héberger ces fresques, dans ces salles aux murs de briques mal blanchis à la chaux d'où partent à tout instant des passerelles de travail, des recoins et des niches du labeur d’autrefois, où la lumière, entrant par les grandes fenêtres de bois, tracent de longs rais et des quadrillages sur le plancher de bois neuf, quoi d'étonnant si les fresques, retrouvant le sens de leur étymologie, se dotent d'une intense fraîcheur ? Quelles couleurs, quelles formes, quels recoins se dévoileront au détour de la prochaine paroi ? Ou, pourquoi pas, une paroi audacieuse qui change de sens pour former un U ? Les deux plaisirs bien connus de la reconnaissance et de la surprise permises par ces combinatoires jouent et déjouent le caractère systématique d'un vocabulaire en apparence limitée, d'une stance a priori non émotionnelle. Espaces retrouvés du passé, les charmes enfantins des carrés aux couleurs joviales s'associent à la déambulation silencieuse et chaleureuse : rarement un musée d'art contemporain a su montrer à quel point, conformément à l'un des credos du postmodernisme, la simple exposition dans un lieu consacré à l'art fait des choses les plus simples des œuvres à part entière.
