L`Intermède
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ABBA, Ah bah oui.
Le parking ressemble à celui d'un film indépendant américain dans lequel aurait échoué le van d'une famille un peu paumée qui sillonne les Etats-Unis pour participer à un concours de beauté pour enfants - au hasard. La mère ressemble étrangement à Muriel, l'héroine éponyme du film de P. J. Hogan (1994), jeune femme engourdie qui, pour sortir du quotidien pathétique de la bourgade australienne dans laquelle elle gravite depuis sa naissance, rêve sur "Dancing Queens" et "Gimme ! Gimme ! Gimme !". Dans les années 1990, ABBA est déjà ce groupe un brin ringard, au charme suranné, qu'on a honte d'avouer chanter devant son miroir en prenant sa brosse pour un micro. Mais trente ans après la séparation d'Agnetha Fältskog (A), Benny Andersson (B), Björn Ulvaeus (B) et Anni-Frid Lyngstad (A) et leur inénarrables harmonies vocales sur son synthétique, le rétro a bon teint : la comédie musicale Mamma mia ! cartonne depuis plusieurs années sur scène, et le film du même nom, applaudi autant que hué, à fait le tour du globe. Nouveau tour de piste international des quatre géants suédois de la pop : Live Nation - usine à blockbusters musicaux qui gère entre autres les noms de Michael Jackson et Madonna - a créé la première exposition dédiée aux quatre initiales en or, qui tient moins de la visite muséale que du parc d'attractions psychédélique. Première étape : la Grande-Bretagne où, jusqu'en mars, ABBA World a fait trembler la scène underground londonienne, avant de faire escale à Melbourne, en Australie, en juin prochain. 
Willkommen, bienvenue, welcome dans l'exposition la plus génialement laide (ou la plus laidement géniale) de tous les temps, déconseillée aux épileptiques et aux non-initiés.

C'est peut-être le contraste avec le quartier de Warwick Road, au sud de Londres, sombre et désert, et le lieu d'accueil de l'exposition, triste, qui rend l'événement encore plus insolite. L'Earl's Court Exhibition Centre ressemble au  Palais des Congrès à Paris, et l'on va acheter son billet comme on se rend à un concert. Pour 20 livres l'entrée (23 euros env.), on aurait tort d'attendre un tapis rouge : il faut déambuler dans des couloirs sombres dignes des parkings de centres commerciaux, tous néons dehors, murs décrépis, 1,90 mètres de hauteur sous plafond, pour se rapprocher d'un vague "Take A Chance On Me" répété au lointain. A peine si l'on ne perçoit pas, dans un recoin sombre, une trace d'urine séchée. Heureusement qu'une dame vous fait signe de la rejoindre au bout abba, abba world,
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biographie, succès, mamma mia, parc d`attractiondu chemin. A côté d'elle, un monsieur vous invite à vous prendre en photographie avec deux appareils qui ressemblent à des machines à sous de casinos. Une seconde plus tard, votre sourire gêné est dans l'angle d'un écran géant où toutes les trombines des visiteurs s'alignent pour former les quatre lettres ABBA en miroir. Ils ont tous l'air hystériques.

Car on va à ABBA World comme on se rend à Disneyland : pour régresser ensemble, et dans la bonne humeur s'il vous plaît. Plusieurs centaines de mètres de labyrinthe, vingt-cinq salles d'exposition, visite intégrale en sous-sol avec lumières artificielles, couleurs saturées à chaque coin d'oeil et enceintes noyant chaque tube du groupe suédois formé en 1970 : l'immersion est plus que totale, elle tient du pélerinage, de l'expérience métaphysique. Passés les cabanons où sont présentés chacun des quatre comparses chevelus avec moult objets de famille et photographies "personnelles" - comme s'il pouvait y avoir une vie avant ABBA - le passage dans un couloir en forme de coeur géant tapissé de rose marque le basculement dans un autre monde, un wonderland dans lequel quatre chapeliers fous tiennent les rênes d'un manège géant, et qui marque un point de non-retour dans la vie de toute personne qui en fait l'expérience. Live Nation n'a pas lésiné sur les moyens : pas un centimètre carré des murs qui n'est pas recouvert d'un papier peint à motifs douteux, débauche de galettes sur les murs, et accessoires à profusion. La progression est chronologique, naviguant au rythme des albums, du premier Ring Ring en 1973 au dernier The Visitors en 1981. Huit albums originaux, sans parler des lives édités en masse et des best-of - dont le plus célèbre, ABBA Gold, sorti en 1992 - pour douze années passées sur scène : le compte est bon. Mais abba, abba world,
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d`attractionABBA World n'intrigue pas pour ce qu'elle raconte du groupe mythique, mais bien par l'absence de limite au mauvais goût tout autant qu'au génie qui s'en dégage.

Le montage vidéo syncopé qui alterne dans deux salles de projection au début du parcours agit comme un diapason, donnant le ton : plein les yeux, plein la tête, plein les oreilles, partout, tout le temps, à jamais, ABBA reste LE groupe de pop ultime. L'amour du ridicule, l'attention portée aux détails qui tuent, les refrains en chorale et les subtiles partitions pour synthétiseur semblent botoxés pour durer à l'épreuve des décennies. La capacité du groupe à créer une musique qui fédère, empreinte d'allégresse tout autant que de mélancolie, fait que se vendraient encore, à ce jour, trois millions d'albums par an. Pour les fans absolus, il fallait donc déployer l'artillerie lourde : on retrouve le tableau de classement de l'Eurovision, qu'ils ont gagné en 1974 avec leur mythique "Waterloo" - chanté en Grande-Bretagne, raison pour laquelle ABBA World y séjourne en premier lieu -, véritable déclencheur de l'hystérie collective qui a suivi depuis, accompagné de leurs tenues originales... et d'un journal de voyage, dont certains passages sont imprimés à même le mur. Des extraits de divers documentaires sont projetés sur des écrans à chaque entrée et sortie de salle. Plus loin sont déployés sur plusieurs mètres de largeur les instruments et platines d'enregistrement originales qui ont permis de recueillir les joyaux musicaux qui sortaient des voix cristallines d'Agnetha, Frida, Benny et Björn. On passe par la reconstitution de leur maison de campagne en Suède avec projection vidéo géante... de la vue depuis la demeure, par les fenêtres. L'hélicoptère de l'album Arrival ? Présent ! Leur loge pour leurs tournées, avec toutes leurs trousses de maquillage et abba, abba world, exposition, exhibition, londres, london,
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biographie, succès, mamma mia, parc d`attractionaccessoires ? Recréée derrière une vitre. Leurs costumes à frange et chaussures pour astronautes ? Au fond à droite. Une salle de cinéma avec cinq rangées de fauteuils rouges pour apprécier le chef d'oeuvre Abba : The Movie de Lasse Hallström (1977) ? Vous n'avez qu'à le demander.

Jusqu'au-boutiste, ABBA World n'a peur de rien : vous aussi, montez sur scène avec des copies en 3D des chanteurs et devenez le cinquième membre du groupe devant une salle vide - parce qu'à 20 livres l'entrée, les couloirs du Earl's Court Exhibition Centre ne sont pas pleins à craquer... Passez devant un écran vert, et projetez-vous dans leur clip "Fernando" ! Répondez à des quizz sur engins géants pour tester vos connaissances de l'univers folichon d'ABBA ! Répétez les chorégraphies et gagnez des points sur des tapis de sol électroniques ! Allez dans l'une des soixante-douze cabines de karaoké pour vous égosiller sur vos titres préférés ! Toujours plus loin, toujours plus haut, vous rebondissez de salle en salle sans pouvoir prédire ce qui se cache derrière la prochaine cloison. Des "tûts tûts" de jeux vidéos se mêlent bientôt aux "S.O.S.", "Chiquitita" et autres "Super Trouper" qui résonnent de toutes part, alors qu'au bout de deux heures d'aventures dans les couloirs sombres du "musée", vous voyez une semelle compensée se lancer à votre poursuite, des dessins et lettres de fans vous regarder avec un air menaçant, et des pantalons en patte d'éléphant à deux doigts de se jeter sur vous... Vous êtes en réalité un rat de laboratoire piégé dans un jeu grandeur nature, comme les passagers d'un avion qui se seraient échoués sur une île déserte, observé par on-ne-sait quelle entité supérieure. Vous jureriez que dans les conduits d'aération, pour que l'exposition la plus laide et kitsch que vous avez jamais vue soit aussi la plus extraordinaire qu'il ait été donné à un être humain de vivre, il doit bien y avoir une substance illicite distillée à haute dose. Probablement du maxi-plaisir brut à la vapeur, la même marque que celui qu'utilisaient les quatre Suédois pour parfumer leurs tubes.
 
Bartholomé Girard, à Londres
Le 30/04/10

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ABBA World
Prochaine étape :
Federation's square
Melbourne, Australie
A partir du 12 juin 2010


 











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Crédits photos : 12 january 2010 - Abba World exhibition press photos © Marc Broussely