L`Intermède
Édito # 11
Celui qui prenait son temps

"La lenteur ne signifie pas l'incapacité d'adopter une cadence plus rapide. Elle se reconnaît à la volonté de ne pas brusquer le temps, de ne pas se laisser bousculer par lui, mais aussi d'augmenter notre capacité d'accueillir le monde et de ne pas nous oublier en chemin."
Pierre Sansot, Du Bon Usage de la lenteur

La réduction des formats d'article dans le journalisme est, depuis quelques années, une tendance lourde. Le développement conjoint de l'information en flux continu sur internet et l'apparition de journaux gratuits, dont la majorité des pages se compose d'addition de brèves et notules, a joué un rôle déterminant dans ce nouveau rapport à la temporalité de l'information, vue et vécue (subie ?) comme un courant rapide, urgent, où un événement en chasse un autre. C'est dans ce contexte médiatique qu'à l'hiver 2007 Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry ont lancé un trimestriel proposant une relation des événements dans des articles au format long : XXI se compose ainsi de reportages, enquêtes et portraits qui atteignent, la plupart du temps, vingt pages. Et la revue était rentable dès sa première année. Le succès de cette entreprise prouve qu'un espace pour une information au long cours est donc possible ; et si elle l'est dans la presse écrite, pourquoi pas sur internet ?

A l'été 2009, L'Intermède est donc né de ce désir de proposer une plateforme d'information inédite sur internet, tant dans le fond (accorder une place importante aux événements internationaux, donner le même espace à tous les domaines artistiques sans hiérarchiser, publier des comptes rendus d'événements universitaires...) que la forme, avec des articles de taille très conséquente, largement supérieure à la moyenne. Parce qu'ils "prennent le temps" de relater un événement, nos articles imposent un autre tempo à la marche toujours plus rapide des faits d'actualité. Il s'agit, pour les journalistes et universitaires qui écrivent sur L'Intermède, de prendre comme prétexte un événement dans l'actualité culturelle pour raconter une histoire, décrire l'oeuvre d'une vie, s'attarder sur une période précise d'une production artistique... Avec ce souci de ne pas aller tout de suite à l'essentiel mais plutôt, au fil des lignes qui s'accumulent, de donner à percevoir l'essence d'un sujet ou d'un thème.

Il y a le plaisir de la narration, l'affection des détails qui font sens, le luxe de l'analyse qui peut se déployer sans précipitation, l'intérêt à montrer le cheminement intellectuel qui avance à tâtons, sans proposer de lecture définitive. Il y a la conscience qu'on ne peut saisir les enjeux d'une oeuvre sans rappeler dans quel contexte elle a émergé et s'est développé, et l'importance de donner autant des clés de lecture que de la saveur, car L'Intermède ne saurait être une encyclopédie en ligne. Tout le monde n'a pas la chance de voyager  ou n'aura peut-être pas le temps d'aller voir telle ou telle exposition avant qu'elle ne s'achève. En outre, celles-ci ne durent en général que trois, quatre, cinq mois dans le meilleur des cas. Aussi, en ne considérant pas l'exposition comme un sujet en soi mais en s'attachant plutôt à ce qu'elle raconte - car c'est l'histoire des idées et de l'art qui nous intéresse, davantage que celle des manifestations culturelles -, les articles que nous publions n'ont pas de "date de péremption". Et nous permettent, peu à peu, de construire un ensemble de textes élaboré avec un souci de la rigueur et un amour de la connaissance qui, nous l'espérons, en deviennent communicatifs.

Bartholomé Girard
Directeur de la rédaction
Le 31/05/10