L`Intermède
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APRÈS DES COMÉDIES LÉGÈRES, comme Immaturi, Tutta colpa di Freud ou encore Sei mai stata sulla Luna ?, Paolo Genovese s'est essayé à la comédie amère avec Perfetti sconosciuti, qui fouillait déjà la part d'ombre que nous portons en nous, avant de s'attaquer au huis clos métaphorique pour son dixième long métrage. the place, paolo genovese, film, cinema, huis clos, metaphysique, bien et mal, valerio mastrandrea, marco giallini, vittoria puccini, the booth at the endTourné en seulement douze jours - à raison d'une journée par personnage - The Place est inspiré d'une mini-série américaine - "The Booth at the end" -, mais Genovese y ajoute un "arc dramaturgique" et apporte une conclusion à chacune des histoires entre lesquelles des liens s'établissent. Le spectateur comprend d'emblée que le titre provient du nom même d'un bar où un homme seul, assis jour et nuit à la même table, échange jour après jour avec dix personnages qui viennent le rencontrer, lui parler, mais surtout évoquer des désirs impérieux.

Par Émilie Combes

POUR GENOVESE, LE POINT de départ de The Place est une question simple : que sommes-nous disposés à faire pour obtenir ce que nous désirons ? Question néanmoins importante qui "part d’une autocritique sur notre sens moral". Comment notre morale change en fonction des situations face auxquelles nous nous trouvons ? Ce film nous incite à nous juger nous-mêmes, par le biais d’un récit à forte composante spirituelle. Un récit qui nous pousse à nous demander comment notre "moi" se comporterait si nous nous trouvions dans des circonstances analogues.
 
L’HOMME – BRILLAMMENT INTERPRETÉ par Valerio Mastandrea – donne des conseils aux gens qui s’adressent à lui pour savoir comment exaucer leurs désirs. Il établit des "accords" avec eux, véritables contrats desquels semblent inéluctablement déprendre la réussite de leur quête : devenir plus belle, passer une nuit avec une pin-up, sauver son enfant de la maladie, retrouver la vue, retrouver la présence de Dieu. Chacun des personnages a une personnalité bien marquée, mais leurs requêtes sont toujours très personnelles et motivées par une forme d’égoïsme. Selon Genovese, "chacun de ces personnages, pour des motifs différents, se place au centre de sa propre histoire. Il peut le faire en prenant du plaisir ou par exigence personnelle ou encore pour sauver quelqu’un qui lui est proche".

 

Faust revisité ?

ON NE CONNAÎT RIEN de la vie du personnage principal, de ce "meneur de jeu", hormis qu’il ne dort pas beaucoup, qu’il passe son temps assis à la même table et qu’il aide ceux qui viennent à lui à réaliser leurs souhaits. Est-ce une incarnation de Dieu ? du diable ? le reflet de notre monstruosité ? ou plus simplement une personne qui nous pousse à l’introspection ? Pour chaque personnage, pour chacun de nous, il sera quelque chose de différent. Le film ne donne pas de réponse, et se garde bien de présenter tout attribut symbolique qui pourrait diminuer la polysémie des interprétations.
 
the place, paolo genovese, film, cinema, huis clos, metaphysique, bien et mal, valerio mastrandrea, marco giallini, vittoria puccini, the booth at the endSI SES RÉPLIQUES SONT CLAIRES, elles n’en demeurent pas moins énigmatiques. Quand les personnages, souvent désespérés, ont recours à lui comme un dernier espoir, il offre des garanties en évoquant seulement le fait qu’il "offre des possibilités", que "c’est faisable", alors : "Accomplissez votre tâche, et vous aurez ce que vous demandez". Mais dans la majorité des cas, le prix à payer en contrepartie est élevé : voler une grosse somme d’argent, placer une bombe, tuer une enfant, violer une femme... La fable est donc absolument amorale, et ne semble avoir pour fonction que de pousser à la réflexion. Si les personnages accusent l’homme d’être un monstre, celui-ci s’en défend en évoquant le fait qu’il se contente de les nourrir. En effet, tous se croient bons, jusqu’au moment où ils se trouvent confrontés à l’obligation de faire du mal, bien que leur dessein puissent être des plus nobles. Là est donc toute l’ambiguïté et la complexité de leurs situations : qui sont-ils ? se trompent-ils ? sont-ils justes ?
 
IMPASSIBLE, FACTUEL, au début, on sent l’homme de plus en plus sensible à ce qui touche les personnages, affaibli, lassé, jusqu’à sa "libération" par la serveuse, personnage également énigmatique. Elle aussi serait-elle finalement métaphorique ? symbolique ? Il en va de même pour l’imposant carnet de notes que l’homme utilise. Selon Genovese, "l’agenda est un archétype". Il y retranscrit tout ce que les personnages lui racontent, dans les moindres détails, pour en noircir la totalité des pages, et surtout il est celui qui, à l’instar d’un vieux grimoire, apporte les solutions. L’homme ne serait alors que l’outil, et le carnet, le meneur.
 

Intérieurs

Si Perfetti Sconosciuti se déroulait déjà dans un espace confiné, The Place se double d’un véritable défi d’acteur pour proposer un huis clos encore plus sombre et métaphysique. Pour réaliser la prouesse de ne pas lasser son spectateur, durant les quelque 1h45 où l’on voit se succéder des plans qui se réduisent à des échanges entre deux personnages dans un bar, Genovese a fait appel à Fabrizio Lucci – pour la photographie – et à Chiara Balducci – pour les décors et le scénario – auxquels il doit l’intensité de l’émotion dramatique. the place, paolo genovese, film, cinema, huis clos, metaphysique, bien et mal, valerio mastrandrea, marco giallini, vittoria puccini, the booth at the endEn effet, le tournage dans un espace relativement étriqué a rendu d’autant plus difficiles les prises de vues. Pour Genovese, "c’est la scénographie d’un bar qui se trouve en Italie, mais qui pourrait être ailleurs, en France, en Allemagne, aux États-Unis, dans n’importe quel endroit. Et même photographiquement, nous avons cherché à rendre l’air d’un temps suspendu, réel, mais en même temps avec un brin de magie, en utilisant des couleurs douces, pour donner l’idée d’une atmosphère raréfiée".
 
Ce choix du tournage en intérieur permet au spectateur d’être en immersion et de suivre, par la contrainte des plans, l’évolution psychologique des personnages, leurs réactions, l’introspection de chacun d’entre eux. Le réalisateur propose un important travail sur les gros plans, sur la variation des cadrages, sur les regards, les émotions et les silences, presque aussi parlants que les dialogues tant ils nous renseignent sur leurs craintes, leurs choix, leurs mensonges. Ce choix des gros plans, témoins les plus probants de cette lutte intérieure  apparaissait comme une nécessité à Genovese : "Quand j’ai tourné cette histoire, une phrase de Dostoïevski m’avait impressionné : ‘’il n’y a rien de plus fascinant que de voir sur le visage d’un homme la lutte entre le bien et le mal’’. […] C’était nécessaire de filmer au plus près le visage des personnages pour rendre de la manière la plus profonde possible cette lutte entre le bien et le mal".
 
Dès lors, la caméra de Paolo Genovese nous place au plus près de cette spirale, de cette lutte, de ce questionnement permanent, jusqu’à nous plonger dans l’esprit des personnages, nous renvoyant à nos propres contraintes, nos propres contradictions. Amoral, certes, mais le film de Genovese ne porte pas de jugement, s’il n’apporte pas de réponses. Finalement, beaucoup renoncent à leurs désirs et n’achèvent pas leur tâche, pour réaliser que leur vie pourrait s’améliorer d’autres manières. Même l’homme qui paraissait omnipuissant se trouve libéré de sa mission. Comme s’il s’agissait de montrer que chacun dépend de quelque chose qui le dépasse, d’une transcendance, à laquelle le spectateur seul sera libre de donner une forme et  un nom.
 
E. C.
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À Paris, le 27 janvier 2019

La bande-annonce du film

À propos du film

The Place, un film de Paolo Genovese
Avec Valerio Mastrandrea, Marco Giallini, Vittoria Puccini, Rocco Papaleo, Alba Rohrwacher
Sortie le 30 janvier 2019
Sélectionné au Festival du film italien de Villerupt
Nominations aux David di Donatello Awards 2018




Crédits photos : Maria Marin

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