L`Intermède
Le choix de la rédaction de L`Intermède
 
Le Bruit des loups,
Création et interprétation Etienne Saglio
Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine
En tournée jusqu'en juin 2023



En deux mots
 
Comment « reboiser notre imaginaire » ?  Comment convoquer une nature sauvage et mystique afin de repeupler une flore intérieure qui n’a cessé de s’appauvrir chez les adultes que nous sommes devenus ? Tel est le point de départ du sublime Bruit des loups, dernière création d’Etienne Saglio directeur de la Compagnie Monstre(s) depuis 2007. « Dresseur de fantôme », le metteur en scène-comédien use de magie nouvelle pour nous emporter dans un voyage fascinant à la source de notre imaginaire où nos repères se disloquent et nos esprits s’évadent.

Tout commence au sein d’une scénographie épurée et graphique : un espace clos, où tout est aseptisé. Mais cet intérieur au sol en damier noir et blanc, et la porte en fond de scène, ne sont pas sans rappeler l’univers merveilleux de Lewis Carroll. De même, l’attachant Goupil qui semble orchestrer l’histoire évoque le rôle traditionnel du renard narrateur de nombreuses fables. Peu de doutes donc, nous sommes dans le conte, et d’emblée placés dans une situation d’attente, celle de l’ouverture vers un ailleurs, d’une « quête initiatique pleine de symboles et d’épreuves ». 

Dans cet espace froid où règnent la rectitude et la géométrie, un homme tente désespérément de balayer les feuilles de son arbuste taillé. Mais celles-ci ne cessent de proliférer miraculeusement, comme autant de volonté de la nature de se rappeler à lui. Puis soudain, c’est une souris qui s’immisce dans ce monde dépouillé, comme une pensée sauvage dans l’univers de l’adulte. Elle est la vie qui perturbe la propreté du monde intérieur. C’est alors que la porte qui constituait initialement l’accès à un placard devient le seuil d’un ailleurs sauvage et mystérieux : elle laisse entrevoir dans une brume qui se diffuse peu à peu dans le monde de l’adulte, une forêt archaïque peuplée de loups et de géants, celle de notre passé.




Peu à peu, grâce à une ambitieuse alternance – puis fusion – des décors qui tend à confondre l’univers de la forêt et le monde clos de l’adulte, de projections vidéo qui apportent une saisissante profondeur de plateau, et d’hologrammes qui permettent à un renard et à un cerf de prendre vie sur scène, Etienne Saglio permet à la forêt de se matérialiser devant nous, à l’instar de nos souvenirs d’enfance. Et c’est bien de cela dont il s’agit, retrouver les délices et la magie de cet âge – prendre son envol grâce à une balançoire dans les arbres, danser avec la végétation, se cacher dans les feuilles mortes, s’endormir auprès d’un feu –, mais aussi ses peurs et ses angoisses – le loup, symbole de la vie sauvage qui veille sur la forêt ; le géant, personnage archétypal dont on ne sait s’il est dangereux ou protecteur, un vol de chauves-souris, ou encore un orage qui tonne jusqu’à nous faire vibrer la poitrine et en sentir les rafales de vent sur le visage.

Si le personnage-enfant évolue en harmonie avec le monde sauvage et apprivoise le règne végétal et animal, le personnage-adulte, lui, s’acharne à le soumettre, comme la souris qu’il veut à tout prix éliminer ou la plante réfractaire qu’il brutalise pour la rempoter. Avec la mise en scène matérielle et sensorielle de cette forêt, où se mêlent des images chargées de symboles qui questionnent notre rapport à la nature et à l’émerveillement, Etienne Saglio tente par la magie « d’habiter pleinement le réel, [de redonner de] la saveur aux choses qui nous entourent […] [de nous rappeler] que le monde existe dans notre interprétation subjective », pointant ainsi du doigt la dissolution de notre lien avec la nature, à la sortie de l’enfance.

Dans une oscillation entre malice et mélancolie, soutenue par la création musicale de Madeleine Cazenave tout aussi envoutante et propice à la rêverie que ce paysage immersif, Le Bruit des loups réussit le pari de nous reconnecter avec les forêts réelles et imaginaires qui sommeillent en nous, nous invitant à renouer – au moins l’espace d’un instant – avec notre univers intérieur, et à tendre l’oreille dans un spectacle sans parole, à la narration visuelle et musicale, aux murmures de nos rêveries d'autrefois.
  

Émilie Combes
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le 20 novembre 2022

Le Bruit des loups,
Création et interprétation Etienne Saglio
En tournée jusqu’en juin 2023
 
Découvrez ici les informations sur le spectacle
  

En tournée :

 › jeu 8 décembre - ven 9 décembre Dijon (21) / Opéra de Dijon
› mar 13 décembre - mer 14 décembre /  Villefontaine (38) / Théâtre Le Vellein, scènes de la CAPI
› 20 janvier 2023 - 21 janvier 2023 Rueil-Malmaison (78) / Théâtre André Malraux
› 31 janvier 2023 - 1 février 2023 Gap (05) / La Passerelle
› 29 mars 2023 - 31 mars 2023 Lorient (56) / Grand Théâtre de Lorient
› 5 avril 2023 - 7 avril 2023 Dunkerque (59) / Le Bateau Feu
› 23 mai 2023 - 25 mai 2023 Grenoble (38) / MC2
 

Crédits photos © Prisma Laval

 
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