L`Intermède
Grace Kelly, belle de jour
Le Victoria & Albert Museum, à Londres, est réputé pour ses collections et ses expositions de mode. Avec Grace Kelly - Style icon, jusqu'au 26 septembre, le musée expose la garde-robe
d'une des femmes les plus photographiées du XXe siècle. Autour de trois leitmotivs chronologiques - l'actrice, la mariée et la Princesse - , les visiteurs sont invités à (re)découvrir les robes qui ont habillé les grands moments de la vie d'une icône qui porte en son nom même l'élégance.

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garde-robe, grace de monaco, princesse, star"Il n'y avait en elle aucune frivolité", dira le Prince Rainier peu après sa première rencontre avec sa future épouse qui, à l'occasion du festival de Cannes en 1955, se rend en France et accepte de participer à une séance de photographie avec l'héritier de Monaco, mise en scène par Paris Match. Dans un pays comme la Grande Bretagne, où la mode est affaire de futilité, n'est-il pas paradoxal de célébrer "l'icône de mode" Grace Kelly (1929-1982), plus que l'actrice ou la femme politique ? Pour Jenny Lister, commissaire de l'exposition Grace Kelly - Style Icon, c'est bien comme ambassadrice de la beauté et de la délicatesse que la Princesse de Monaco a marqué les esprits. Et nul secret pour un tel succès : "Des pièces classiques et pratiques, assemblées avec une grande simplicité, tout en portant une attention dévouée au plus imperceptible détail." Ce qui, pour la comédienne et princesse, relevait de l'intuition, peut-être aussi d'un certain héritage familial, était aux yeux du public le résultat d'une finesse atemporelle, accessible et lointaine à la fois.

Grace Kelly a reçu de ses parents d'origine irlandaise une éducation catholique, héritage qui se devine au fil de son parcours stylistique, à l'instar de cette paire de gants blancs que l'actrice, puis princesse, a porté avec constance. Jenny Lister rappelle par ailleurs que Grace Kelly "a été récompensée par divers prix pour ses chapeaux, attribut par excellence de la classe sociale dont elle est issue, au point de devenir un emblème de l'industrie chapelière". En outre, le caractère soigné est ce qui donne cette fausse apparence de simplicité qui émane de l’actrice, à laquelle le public porte une adoration infaillible. C'est justement parce que Grace Kelly préfère aux tenues provocantes et "tapageuses" d'une Marilyn Monroe le raffinement d’une robe de satin turquoise, délicatement plissée dans le bas du dos, assortie d'un simple bijou perlé - portée à la remise des Academy Awards en mars 1955, à l'occasion de laquelle l'actrice fut distinguée pour son rôle dans le film The Country Girl de George Seaton - que la star attire les projecteurs. Sans que le moindre centimètre carré de peau ne se laisse voir, l'actrice ne s'autorise, comme seule extravagance, que l'ornementation brodée de la dentelle beige sur sa robe de satin crème, et réussit pourtant à dégager une sensualité irrésistible.

Nul doute que c'est cette intelligence "sexy" qui éveille bientôt l’intérêt d'Hollywood, plus particulièrement des studios Metro-Goldwyn-Mayer (MGM), qui passent Grace Kelly sous contrat dès 1952. Avant de passer devant la caméra, la jeune femme a déjà eu l'occasion d'éprouver son goût et son sens de la mode comme mannequin. Par sa silhouette élancée et son sourire de "girl next door", elle inspire confiance et rivalise de fraîcheur, portant les dernières créations de l'époque avec une facilité désarmante. Toutefois, c'est sa collaboration avec les créateurs de l'industrie du cinéma, plus étroitement avec Edith Head - créatrice en chef de la Paramount - et Helen Rose - créatrice en chef de la MGM -, toutes deux primées aux oscars pour leurs costumes, qui nourrit le plus son goût. Edith Heath parlait ainsi de Grace Kelly : "Je n’ai jamais travaillé avec quelqu’un qui comprenait avec une acuité plus intelligente ce que nous faisions". Avec justesse et sensibilité, Grace victoria and albert, museum, grace kelly, exhibition,
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starKelly choisit ses costumes pour mettre en valeur tel ou tel trait de caractère des personnages qu'elle incarne. A l'image de Lisa Fremont, une mannequin ayant fait carrière à New York qui, sous la direction d'Alfred Hitchcock dans Fenêtre sur cour, tombe sous le charme du photo-reporter L. B. Jeffries, cloîtré dans un fauteuil roulant, dans sa chambre. Alors que James Stewart reste en pyjama d'un générique à l'autre, Grace Kelly change de costume pour chaque nouvelle scène, et l'évolution de ses robes refléte le caractère changeant de la relation qui s'épanouit entre Lisa et le photographe. Lors des premières prises, elle dévoile tout son charme à l'aide de tissus sensuels ou de couleurs suggestives. Ainsi, l'exposition montre un ensemble composé d'un corsage près du corps, assorti d'une jupe de tulle noir, le tout enrobé d'un léger tissu de la même couleur, transparent. Plus tard dans le film, les habits plus décontractés suggèrent l'amour réciproque qui lie désormais les deux personnages.

Parmi les tenues exposées et instantanés réalisés sur les différents tournages, le Victoria & Albert Museum projette quelques extraits de films, notamment du dernier long métrage de l'actrice, High Society ; l'occasion de prendre toute la mesure des allures de défilé de mode que revêtaient certains films de l'époque. La commissaire précise bien que "l'exposition est naturellement construite autour du style Grace Kelly, mais profite de cette occasion pour célébrer une époque : celle des années 1950, âge d'or d'Hollywood et de ses stars démiurges". On retrouve par exemple dans une des vitrines l'ensemble de bain que Grace Kelly porte dans High Society et qui rappelle la volupté des déesses antiques. Pendant la décennie des Ava Gardner, Audrey Hepburn et autres Marilyn Monroe, le cinéma de Hollywood domine l'industrie du prêt-à-porter, imposant sans efforts ses tendances, et ce qui est porté à l'écran est copié à l'infini pour des millions de femmes aux Etats-Unis et ailleurs. Le public féminin raffole particulièrement des modèles arborés par Grace Kelly, simples mais luxueux. Le catalogue d'exposition raconte par ailleurs une anecdote saisissante pour illustrer ce mimétisme quasi frénétique. En effet, la composition du trousseau - dont sont issues la plupart des tenues exposées - fait l'objet d'une attention médiatique inédite, obligeant Grace Kelly à effectuer ses achats tôt le matin en raison des hordes de paparazzi qui suivent chacun de ses pas. A l'annonce de la principauté qu'à Monaco le noir ne convient qu'aux cérémonies de deuil, l'industrie de la mode panique à l'idée de voir ses ventes de vêtements noirs chuter drastiquement !

Lorsque la "reine d'Hollywood" part pour Monaco en 1956, le soin qu'elle avait mis à choisir ses habits pour ses personnages de fiction est désormais dédié à sa nouvelle fonction de Princesse. Sa robe de mariée incarne à merveille le passage du glamour d'Hollywood à la digne allure de l'aristocratie monégasque. Grace Kelly, sublime, arbore une robe dessinée par Helen Rose, dans laquelle elle ne révèle aucune nudité, respectant en cela la chasteté qu'exige la cathédrale accueillant la cérémonie, mais dont la haute gaine de soie nacrée souligne la fragilité sensuelle de celle qui la porte. Aucune minute de ce conte de fée n'échappe au grand public qui admire une Grace Kelly au sommet. Aux côtés du Prince Rainier, la jeune mariée s'applique désormais à sélectionner des tenues appropriées pour être un chef d'Etat convaincant. Fidèle à son amour victoria and albert, museum, grace kelly, exhibition, exposition,
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icon, icône, garde-robe, grace de monaco, princesse, starpour l'élégance empreinte de simplicité, la Princesse introduit néanmoins une séries de changements. Auprès de maisons de couture françaises, notamment Christian Dior, dirigé par Marc Bohan depuis 1961, Kelly commande costumes et robes du soir pour répondre à ses obligations. Le costume vert de Givenchy dont elle se pare lorsque son mari et elle rendent visite au couple Kennedy à la Maison Blanche en mai 1961 est resté célèbre. Un turban blanc coiffe une robe de fine laine sans manche, resserrée à la taille par un noeud qui se glisse subrepticement sous la veste d'un même vert vif. Juste à côté, dans la vitrine, trône un ensemble de tweed vert et rose pâle conçu par Chanel, dont les créations confortables étaient portées avec plaisir par la Princesse lors de réunions de famille.

On connait ses multiples paires de lunettes, son fameux sac Hermès, rebaptisé "Grace Kelly bag", ou encore ses chapeaux. Mais ce ne sont pas les seuls accessoires dont Kelly se pare : Van Cleef & Arpels devient bientôt le joailler de prédilection de la couronne monégasque, et lui livre de somptueux sautoirs, mais également des broches parfois empreintes d'humour, tel ce petit caniche qu'elle aime ajouter à ses ensembles unis ou, comme le montre une photographie de famille, à une robe "Mondrian" d'Yves Saint-Laurent. Le design révolutionnaire de cette robe montre l'audace dont la Princesse peut faire preuve. Photographiée en 1968 pendant le bal de la Croix Rouge, tradition ré-animée par ses soins, Grace Kelly attire doublement le regard avec sa robe de soirée aux voiles colorés, dont les manches et le haut du cou se terminent par une myriade de joyaux multiformes et bariolés, et sa coiffure extravagante dessinée par le coiffeur parisien Alexandre. L'année suivante, au cours d'une interview, Grace Kelly surprend son interlocuteur en affirmant que son style a demandé du temps pour s'affirmer, elle qui a pourtant été célébrée dès son plus jeune âge pour son goût assuré. Pour Jenny Lister, ce paradoxe tient à la distance que la star entretenait à l'égard de son propre style : "Loin des projecteurs et commentaires au sujet de son génie vestimentaire, Grace Kelly appréciait, en réalité, la simplicité de tissus savamment arrangés." Une façon de dire que l'élégance ne se déguise pas, mais se revêt sans détours.
 
Asmara Klein, à Londres
Le 26/05/10

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Grace Kelly – Style Icon, jusqu'au 26 septembre 2010
Victoria & Albert Museum
Cromwell Road
London SW7
Tlj : 10h-17h
Nocturne Vendredi (21h30) 
Tarif plein : £ 7,40
Tarif réduit : £ 4,90
Rens. : +44 207 942 2000
 
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Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil : Grace Kelly, Photograph by Erwin Blumenfeld New York, 1955 © The Estate of Erwin Blumenfeld 2009
Photo 1 Grace Kelly with her Academy Award for Country Girl, 30 March 1955 © Everett Collection/Rex features
Photo 2 Grace Kelly in Rear Window with James Stewart, 1954 © Everett/Rex features
Photo 3 Engagement of Grace Kelly and Prince Rainier of Monaco, 1956 © Snap/Rex features
Photo 4 Grace Kelly and Prince Rainier of Monaco, 1956 © Snap/Rex features