L`Intermède
Exposition, Bill Viola, Grand Palais, vidéo, nine attemps to achieve immortality, Tristans ascension, the dreamers

POUR LA PREMIÈRE RÉTROSPECTIVE FRANÇAISE de Bill Viola, le Grand Palais a réuni plus de vingt œuvres magistrales du vidéaste américain, tandis que sa création vidéo pour Tristan und Isolde était montrée à l'opéra Bastille du 8 avril au 4 mai. Suite aux grandes rétrospectives dont l'artiste avait fait l'objet à New York, Londres, Tokyo ou encore Rome, l'exposition parisienne présente un large choix d'œuvres couvrant quatre décennies, depuis The Reflecting Pool (1977-79) jusqu'à The Dreamers (2013). Même si Bill Viola a joui dès ses débuts d'une certaine reconnaissance dans le paysage artistique français, il a fallu attendre le travail passionné du commissaire Jérôme Neveu, en collaboration avec la directrice du studio Bill Viola, Kira Perov, pour que l'artiste bénéficie d'une exposition de cette envergure à Paris.


Par Zoé Carle

C'EST À UNE PROMENADE MÉTAPHYSIQUE
 qu'invitent les oeuvres de Bill Viola, à une réflexion sur le temps et les émotions. Le vidéaste entend faire œuvre ouverte et laisser chacun s'approprier son travail à sa façon, en présentant des installations immersives où le visiteur peut plonger à sa guise. Comme l'explique la co-commissaire de l'exposition, Kira Perov, il existe mille manières d'aborder le travail de Viola... et tout Exposition, Bill Viola, Grand Palais, vidéo, nine attemps to achieve immortality, Tristan`s ascension, the dreamersautant de s'y perdre : le spectateur peut la traverser et passer d'une impression visuelle rapide à une autre ou s'y immerger pendant plusieurs heures, sans que l'une ou l'autre de ces approches soit indiquée comme "la bonne" par les commissaires d'exposition ou par l'artiste lui-même. Il s'agit avant tout de contempler un "paysage", selon le mot de l'artiste ; un concept qui fait directement écho à celui de flânerie, prônée par la scénographie : le visiteur évolue devant des écrans monumentaux ou miniatures, libre de s'arrêter pour profiter de la vue ménagée dans l'espace-temps de la vidéo ou bien au contraire de passer à la scène suivante.


Temps

SELON LE COMMISSAIRE de l'exposition, Jérôme Neutres, le projet fondamental de Viola est de substituer les images de sa propre quête métaphysique à celles de la société du spectacle, grâce à l'investissement total de ce nouveau média qu'est la vidéo et qui permet un rapport nouveau à la temporalité. Et, de fait, tout le travail de Bill Viola semble orienté par cette réflexion sur le temps, dimension qu'introduit la vidéo par rapport à l'image fixe, photographie ou peinture. Nine Attempts to Achieve Immortality, réalisée en 1996, est révélatrice de ce rapport très personnel au temps qui s'écoule et de la possibilité de fixer les instants. Par un travail sur la respiration, Bill Viola, ici performeur, se présente face au spectateur dans la quête d'un possible arrêt du temps, que permet in fine le média vidéo lui-même par la possibilité qu'il offre de "sculpter le temps" : "Le temps, explique l'artiste, est la matière première du film et de la vidéo. La mécanique peut en être des caméras, de la pellicule et des cassettes, ce que l'on travaille, c'est du temps. On crée des événements qui vont se déplier sur une sorte de support rigide qui est incarné dans une cassette ou de la pellicule, et cela constitue l'expérience d'un déroulement. En un sens, c'est comme un rouleau, qui est une des formes les plus anciennes de communication visuelle."

L'ARTISTE A TRÈS TÔT compris les potentialités de la vidéo, dont il dit souvent qu'il est né en même temps qu'elle, et ce sans jamais renier ses inspirations classiques. De nombreux travaux se présentent même comme des réécritures d'œuvres célèbres du patrimoine pictural ou des réappropriations de dispositifs propres aux primitifs italiens et flamands : Catherine's room (2001) est ainsi une prédelle moderne, montrant une femme dans son intimité quotidienne sur cinq panneaux horizontaux, quand The Quintet of the Astonished est un clin d'œil au peintre flamand Jérôme Bosch. The Sleep of Reason (1988) constitue une référence directe à Exposition, Bill Viola, Grand Palais, vidéo, nine attemps to achieve immortality, Tristan`s ascension, the dreamersGoya et à son sommeil de la raison qui engendre des monstres, tandis que la pièce monumentale Going Forth By Day (2002) est un hommage au maître italien Giotto, duquel Viola dit avoir appris le rapport entre irréalité figurative et réalité intérieure du spectateur. Cette dernière œuvre, point d'orgue de la visite au Grand Palais, est exposée dans une grande pièce où sont projetées cinq séquences simultanément, directement sur les murs, à la façon des fresques de la Renaissance qui étaient peintes à même les murs. Pour entrer dans la salle, il faut traverser un rideau de lumière projeté sur la porte, avant de pénétrer dans une sorte de chapelle moderne ouvrant à une réflexion sur la mort et la résurrection. L'effet monumental permet une immersion visuelle et sonore totale, inspirée des grandes réalisations architecturales et picturales de la Renaissance.



Immersion

DE NOMBREUSES PIECES exploitent ainsi cette dimension monumentale pour produire une impression physique complète : The Sleep of Reason, Tristan's ascension et Fire Woman, tandis que d'autres pièces jouent sur la miniature – Catherine's room notamment. Les installations monumentales, si elles sont particulièrement notables par leur dimension spectaculaire, ne sont qu'un aspect du travail du vidéaste qui s'exprime dans des formats variés avec une grande créativité et une grande cohérence. Le dernier travail réalisé par Viola, The Dreamers, montre sept personnes de tous âges immergées dans l'eau – élément fondamental de l'univers créé par l'artiste – et les yeux fermés, tandis que la lumière filtrée par le liquide vient se refléter sur leurs corps et leurs vêtements. Loin des effets tonitruants de certaines pièces, cette dernière œuvre s'inscrit dans la continuité de la réflexion amorcée par The Reflecting Pool et prolongée par Going Forth By Day, sur cet état transitoire entre la vie et la mort qui intéresse Viola et qui est lié à son imaginaire de la noyade. "A 6 ans, je me suis presque noyé dans un lac alors que j’étais en vacances avec ma famille, raconte le vidéaste. Ça a été un moment important pour moi : je n’avais jamais rien vu d’aussi beau, j’étais entouré par l’eau, je descendais, et j’étais heureux. J’ai réalisé seulement, bien plus tard, que j’aurais pu mourir !" Le montage des vidéos fait qu'à aucun moment on ne voit les personnages reprendre leur souffle et qu'ils semblent ainsi pris dans un moment indécis, entre vie et mort.

PÉTRIR SON TRAVAIL de références aux maîtres italiens est un moyen, pour Bill Viola, de mettre l'art de la vidéo au même rang que d'autres pratiques artistiques consacrées. Mais c'est surtout une façon de faire revivre et éprouver autrement les toiles classiques : "Les peintures anciennes n'étaient qu'un point de départ. L'appropriation ou la reconstitution ne m'intéressaient pas – ce que je voulais, c'était entrer dans ces Exposition, Bill Viola, Grand Palais, vidéo, nine attemps to achieve immortality, Tristan`s ascension, the dreamerspeintures … les incarner, les habiter, les sentir respirer. En fin de compte, il a plus été question de leur dimension spirituelle que de leur forme visuelle." 


Z. C.
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A Paris, le 29 mai 2014

Bill Viola
Exposition au Grand Palais

Jusqu'au 21 juillet
Galeries Nationales du Grand Palais
Tlj (sf mar) 10h - 22h
Tarif plein : 13 €
Tarif réduit : 9 €
Rens. : 01 44 13 17 17

 
 




 
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