L`Intermède
Maupassant, le Horla, Max Darcis, théâtre Darius Milhaud, festival d`Avignon, théâtre, pièce, texte, démon, psychologie, moi, inconscient, cruauté, combat, monologue, paris, lettre à un fou, charcotLa somme de toutes les peurs
Seul dans sa maison, un homme se débat. Contre qui, contre quoi ? Une puissance invisible le vampirise lentement, aux frontières de la folie et du surnaturel. A la fois interprète et metteur en scène, Max Darcis reprend le Horla de Guy de Maupassant (1850-1893). Après le Festival d'Avignon en juillet, c'est au théâtre Darius Milhaud, à Paris, de l'accueillir jusqu'au 15 février.

Attaqué par une créature venue d'on-ne-sait-où, un homme perd progressivement ses forces, puis ses moyens intellectuels. Jour après jour, il glisse vers la folie, dans une lente agonie que raconte le Horla sous la forme d'un crescendo implacable. "Je le sens près de moi, m'épiant, me regardant, me pénétrant, me dominant et plus redoutable, en se cachant ainsi, que s'il signalait par des phénomènes surnaturels sa présence invisible et constante." Ce dialogue de l'homme avec l'invisible, voilà qui ne pouvait qu'intéresser Max Darcis, figure originale de la scène calédonienne pratiquant régulièrement la méditation, qui adapte le texte de Maupassant pour la première fois en 1985 pour répondre à la commande d'un autre comédien. Cette fois-ci, de passage à Paris, il livre sa nouvelle mouture. Entre le corsaire et le troubadour, cet angevin à la moustache fine et aux long cheveux disposés en couronne a sillonné le monde avec la passion de la scène pour principal bagage. Le sourire qu'il rapporte des îles n'est sans doute pas étranger à son charme, à l'opposé du personnage auquel il prête ses traits.

Au sujet de sa passion pour le texte de Maupassant écrit en 1887, Max Darcis n'est pas avare : "Que faisons-nous aujourd'hui quand nous allons sur la lune ? Nous sommes encore pris dans cette considération de l'infini, de l'infiniment grand comme de l'infini petit", explique-t-il. Le rapport à l'invisible est toujours une préoccupation des gens d'aujourd'hui, c'est pour cela que je veux faire connaître ce texte." Comme Maupassant, qui a écrit trois versions du texte - la première sous le nom de Lettre pour un fou en 1885 -, Max Darcis n'a cessé de retravailler son adaptation. Celle qui est aujourd'hui jouée au théâtre Darius Milhaud en est la troisième, et une quatrième est Maupassant, le Horla, Max Darcis, théâtre Darius Milhaud, festival d`Avignon, théâtre, pièce, texte, démon, psychologie, moi, inconscient, cruauté, combat, monologue, paris, lettre à un fou, charcoten cours de préparation. "Pour la version actuelle, j'ai fait le choix d'une mise en scène contemporaine, avec un décor très épuré, pour souligner la portée toujours actuelle du texte", poursuit celui qui enseigne depuis plusieurs années à Nouméa en Nouvelle-Calédonie. Six mois de travail pour une performance d'une heure sans aucun temps mort. Un long travail d'assimilation au quotidien, de méditation. Il en surgit un texte puissamment fait chair par cet homme au visage élastique.

Le texte de Maupassant saisit par l'irruption du fantastique, voire du métaphysique, dans un cadre naturaliste qui oriente le lecteur sur une fausse piste. "Après deux goélettes anglaises, dont le pavillon rouge ondoyait sur le ciel, venait un superbe trois-mâts brésilien, tout blanc, admirablement propre et luisant." On s'installe dans le pays normand. La Seine, le vent et le soleil : autant d'éléments qui annoncent un récit bucolique comme les affectionne l'auteur de Pierre et Jean (1887). La toile impressionniste d'un beau jour d'été, en somme ; mais, doucement, l'angoisse et la terreur viennent déchirer les cadres attendus de l'histoire. Et Max Darcis de restituer, sur les planches, les multiples possibilités de lecture que la pièce offre. Chacune d'entre elles reflète les préoccupations de Maupassant : texte sur la solitude d'un homme, le Horla est un dialogue interminable de l'homme avec lui-même, qui se torture de longues heures durant où l'esprit travaille à vide, suscitant doute après doute. Comment ne pas y retrouver quelque chose de l'auteur lui-même, qui ramait pendant de longues heures sur la Seine immobile, dans une solitude propre aux démons dont la nouvelle Sur l'eau témoigne ? Les rares moments où le narrateur parvient à s'échapper de sa propriété et retrouve la foule des villes sont les seules respirations qu'offre le texte. Mais aussitôt, comme par une invincible attraction, il retourne sur son lieu de solitude, pour retrouver sa folie et son hôte venu d'ailleurs - de lui-même ?

Le Horla reprend les thèmes majeurs de l'époque. On y retrouve le vif intérêt de Maupassant pour les recherches en psychologie de son époque. Il suit assidument, alors, les cours de Jean-Martin Charcot à la Salpétrière, et a lu attentivement les traités sur le magnétisme animal. En cette fin de siècle, la société européenne découvre avec effroi l'existence des forces intérieures et extérieures qui Maupassant, le Horla, Max Darcis, théâtre Darius Milhaud, festival d`Avignon, théâtre, pièce, texte, démon, psychologie, moi, inconscient, cruauté, combat, monologue, paris, lettre à un fou, charcotagissent sur l'homme, à son insu. La raison est attaquée par les théories des aliénistes ; les expériences de magnétisme, dont le texte se fait l'écho, brisent la croyance en une maîtrise par l'homme de sa volonté. L'occasion pour les vieilles questions philosophiques de ressurgir : "Voyons-nous la cent-millième partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les édifices (...) l'avez-vous vu et pouvez-vous le voir ? Il existe pourtant."

Si nos faibles sens ne nous donnent qu'un aperçu étroit et distordu de l'univers, pourquoi une créature invisible serait-elle inconcevable ? Alors que la première version du texte, Lettre à un fou, insiste sur la dimension psychologique de l'expérience du narrateur, les suivantes iront davantage vers une interrogation métaphysique sur la position de l'homme dans l'univers. Habilement, cruellement même, l'auteur suspend toute interprétation définitive. Tout au long du récit persiste le doute sur l'essence de cette créature. Est-elle le fruit d'une imagination aliénée ou la véritable apparition de l'éclaireur d'un autre monde? On ne le saura pas, le récit ne faisant que balancer entre doutes et hypothèses.

Et si... ? La question lancinante du narrateur s'agrippe au spectateur. Apogée du texte, le fantasme d'une créature située au-dessus de l'homme qui fait de lui son jouet comme le corps de Max Darcis, malmené pendant plus d'une heure. Autour du couple de chaises qui constitue l'unique élément de décor, le comédien tourne sans fin. Il s'accroche aux bois, tordant son corps dans toutes les directions. Créature hostile qui vient d'un autre monde, le horla s'empare de l'homme pour en faire son esclave. "L'homme, depuis qu'il pense, a pressenti et redouté un être nouveau, plus fort que lui, son successeur en ce monde." Comme une seconde révolution copernicienne, la découverte de l'infiniment grand et de l'infiniment petit l'éjecte de la place centrale qu'il occupait au centre de l'univers. Maupassant anticipe les scènes que décrira H.G. Wells dix ans plus tard dans la Guerre des Mondes (1898) : cette fois-ci, les extraterrestres colonisent la terre par centaines et font de l'humanité leur bétail. Par un renversement anthropologique vertigineux, l'humain se retrouve la tête en bas, maillon négligeable de l'échelle des êtres. Nietzsche proclame "la mort de Dieu" ? Maupassant hurle que le "règne de l'homme est fini".
 
Augustin Fontanier
Le 13/11/10

Maupassant, le Horla, Max Darcis, théâtre Darius Milhaud, festival d`Avignon, théâtre, pièce, texte, démon, psychologie, moi, inconscient, cruauté, combat, monologue, paris, lettre à un fou, charcot
Le Horla, jusqu'au 15 février 2010
Tous les mardi à 19h
Mise en scène et interprétation : Max Darcis (Compagnie Aletheïa)
Théâtre Darius Milhaud
80 Allée Darius Milhaud
75019 Paris
Tarif plein : 17 €
Tarif réduit : 10€
Rens. 01 42 01 92 26






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Crédits photos : Eric Dell'Erba