(Anatole de Bodinat), le meilleur ami de ce dernier, est agent littéraire. Derrière ce trio qui semble ne se préoccuper que de conversations mondaines et de parties de squash, se profile l'éternel schéma du vaudeville : la femme, le mari et l'amant. Mais le dramaturge britannique prend garde de ne pas tomber dans les lieux communs : pas de vulgarité, pas de scène de ménage à proprement parler. Le mari ne semble même pas jaloux de la trahison de sa femme, et c'est plutôt l'amant qui est bouleversé d'apprendre qu'Emma a révélé à Robert une liaison…qui semble être achevée depuis déjà deux ans.
Dès lors, le décor peut rester le même, car il ne s'agit pas de figurer le passé pour lui-même mais de montrer comment il hante les consciences et pèse désormais sur le présent des personnages : les meubles recouverts de draps blancs sont ainsi, pour Mitch Hooper, le moyen de "suggérer le travail de la mémoire" : il symbolisent l'ancien studio de Wessex Grove, lieu de rendez-vous des amants qui finit par devenir une maison à l'abandon, à l'image de leur relation qui s'étiole. Derrière ces simples draps blancs, le non-dit que recouvre chaque parole des personnages. "Le texte d'une pièce de Pinter est la partie visible de l'iceberg", souligne le metteur en scène. L'apparente vacuité des répliques, ramenées parfois à de simples messages visant à vérifier la fonction phatique du langage - s'assurer que l'autre a bien entendu ou est bien présent -, cache en réalité tout un monde de sous-entendus, que le personnage est incapable d'avouer ou tout simplement de reconnaître. Et pourtant, derrière ce jeu d'apparences, c'est le désir brûlant de reprendre une liaison qui se dissimule. La trahison dans la pièce, ce n'est peut-être pas simplement l'adultère, la femme qui trahit le mari, le mari qui en fait de même, l'amant qui trahit son meilleur ami, la maîtresse qui trahit l'amant en révélant leur liaison, ni même l'amant qui trahit la maîtresse, incapable de changer de vie et d'envisager leur studio de Wessex Grove comme une nouvelle "maison" puisque chacun a déjà de son côté "une maison, avec des enfants… et des rideaux"... La trahison, c'est avant tout celle des mots, qui révèlent malgré eux l'innommable. Le signifié excède sans cesse le signifiant. Aussi Pinter s'intéresse-t-il davantage aux silences et béances du langage qu'à l'entrée en dialogue, de toute façon vouée à l'échec.

