
Pas d’angoisse, seulement la simple appréciation d’une violence que nous savons inéluctable. Dans le noir, le spectateur ne peut que déceler les comédiens, les identifier par les ombres que les jeux de lumière projettent sur les blocs désaffectés signifiant les hangars. C’est un « négatif du drame » (Christophe Triau) qui se joue, et la scénographie répercute le comportement des personnages, notamment celui d’Abad, plus muet que silencieux, dont on ne sait s’il va émerger de la brutale pulsionnalité ou la seule tendresse envisageable sur ce quai.
« Je suis prête à payer le prix que vous demanderez » dira Monique à Charles au centre de la scène, pour disparaître côté cour, et reparaître côté jardin après avoir accepté de « passer dans le noir » avec Fak. Si la Rolex et les cartes de crédit de Koch disparaissent rapidement, la tête de delco ou les clefs de la Jaguar, eux, passent de poche en poche, et suivent le même itinéraire d’un côté à l’autre de la scène.
Lourdeur et légèreté, les plumes derrière les fenêtres semi-opaques donnent le ton. Cris et chuchotements : Abad ne parle pas, mais les mots de Charles susurrés à son oreille ou les caresses sur son blouson sont amplifiés par haut-parleur. Tout sur les planches du Théâtre des Amandiers semble potentialité. Les maigres flaques sur l’avant-scène, les petits bassins d’eau côté jardin, semblent l’appel de l’eau visqueuse à la tombée du quai, eau qu’on entend – lorsque Koch y tombe –, dont on ne cesse de parler, mais qui n’apparaît jamais que dans le virtuel du numérique, à la fin de la pièce. Ces formes de métonymies appellent à « passer de l’autre côté », dans le monde de la civilisation, sur l’autre rive.


