L`Intermède
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LE CHORÉGRAPHE ISRAÉLIEN Adi Boutrous est de retour au Théâtre de la Ville (Les Abbesses) avec une reprise, Submission (2018), et une toute nouvelle création, One More Thing, où il s'agit, entre autres, de "danser l'empathie et en finir avec la violence glorifiée". Un rendez-vous à ne pas manquer, d'autant plus qu'il représente une parfaite entrée en matière pour celles et ceux qui s'apprêtent à découvrir la programmation de ces prochains mois, scandée par la participation d'artistes aussi emblématiques que Sue Buckmaster, Akram Khan, Fabrice Lambert, Kaori Ito et Yoshi Oïda.

Par Guido Furci

Creuser les gestes...

PEUT-ON PENSER LES CORPS indépendamment du corps social ? Peut-on interroger l’identité, le conditionnement culturel et l’affirmation de soi sans tenir compte du fait que ce que ces notions signifient dépend aussi de la place que l’on décide de leur accorder dans nos vies respectives ? Y a-t-il un rapport de complémentarité entre "dissociation" et "répétition" ? Autrement dit, y a-t-il moyen de conceptualiser la différence sans tomber dans le piège d’une recodification, éventuellement calquée sur le modèle (langagier) dont on cherche à s’éloigner ou, tout simplement, que l’on essaie de remettre en cause ? Autant de questions que la dernière performance d’Adi Boutrous – sans aucun doute l’un des chorégraphes les plus incisifs et courageux de sa génération – adresse, de manière plus ou moins volontaire selon les cas, non seulement au spectateur, mais aussi au dispositif théâtral par lequel la communication est censée s’établir et se greffer sur le réel.

QUATRE DANSEURS COURENT, se cherchent, défient la gravité, jouent, participent à ce qui ressemble à un "rituel de passage", prennent soin les uns des autres, évoluent dans un espace périmétré, et pourtant dépourvu de barrières visibles. Le public les observe – en l’occurrence masqué, ce qui rend l’expérience encore plus intense, dans la mesure où, sur scène, ce sont justement les masques qui tombent les premiers. danse, adi boutrous, theatre de la ville, identite, israel, Ariel Gelbart, Jeremy Alberge, Uri Dricker, chorégraphie, corps social, maculinité, alterite, rencontreL’équilibre de chacun dépend – du moins par moments – de celui du groupe. Il en va de même pour la dynamique des chutes, les changements de trajectoire ou les modalités des affrontements. Qu’ils soient voulus, évités de justesse, désirés avec acharnement, ceux-ci scandent la narration – une narration sans histoire, mais remplie des ébauches d’un éventail d’histoires possibles – et, ce faisant, entraînent sans cesse des modifications de rythme et de registre. La musique, quant à elle, parfois escorte, oriente, conduit ; dans d’autres situations elle contribue à marquer un décalage important entre ce qui est montré et ce qui est suggéré.


... Not with a bang, but with a wimper

QUAND IL N'Y A PAS DE SONS, on entend mieux les pas, les mouvements avec les déplacements d’air qu’ils produisent, la respiration des interprètes. Il serait pour le moins réducteur d’envisager One More Thing au prisme de son contexte de production, du parcours de recherche entamé par Adi Boutrous dans ses précédents travaux, ou de la biographie de ce dernier – qui avait marqué les esprits en France grâce à son rôle d’"Arabe israélien" dans We Love Arabs de Hillel Kogan (Festival d’Avignon off, 2016). En effet, il est clair que tous ces éléments de contextualisation peuvent avoir un intérêt – ce que la critique n’a jamais manqué de souligner d’ailleurs – ; ceci étant, leur accorder trop d’importance risquerait d’offusquer la portée d’une réflexion qui renvoie avec insistance à ce qu’il y a de plus atavique : l’origine de l’amour et de la violence, l’envie et la peur de l’autre, le besoin et la crainte de s’abandonner à l’inconnu, la nature ambivalente du partage, le sens de "ce qui fait lien". Quand il n’y a pas de sons, on entend les habits se frotter, les mains se serrer ou se séparer, les formes se faire et se défaire. Face à cette action, inévitablement synesthésique, tout donne l’impression d’être secret, mais rien n’est à décoder – et surtout pas les interrogations adressées directement à l’auditoire. On nous fait vite comprendre qu’expliquer serait une contradiction en termes, tellement le parti pris esthétique consiste ici à explorer systématiquement "ce qu’il y a dans les plis". On nous fait vite comprendre aussi que s’il n’y a pas d’ajouts ou de paratextes (gloses, didascalies, livrets d’accompagnement), c’est parce que le spectacle dans son ensemble, dès son titre, acquiert le statut "d’une dernière chose à dire". Quand il n’y a pas de sons on entend chuchoter. De l’intimité d’une chambre à coucher ou d’un champ de bataille on nous fait signe : "Hey, one more thing !" C’est le début d’un échange qui peut ne durer qu’un instant, ou se réitérer à chaque variation sur le thème – et dont les contenus, manifestement, touchent à l’universel.

G. F.
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à Paris, le 10 octobre 2020

Voir le site du Théâtre de la Ville
Voir le site d'Adi Boutrous


One More Thing
Chorégraphie d'Adi Boutrous
Interprétée par Adi Boutrous, Ariel Gelbart, Jeremy Alberge et Uri Dricker

Jusqu'au 12 octobre 2020
Théâtre de la Ville (Les Abbesses)
31 rue des Abbesses, Paris 18e
Dim 18h, lun 20h
Tarifs : jusqu'à 22 €
Rens. : 01 42 74 22 77




Crédit photo : Ariel Tagar

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