
Ces regards croisés, c’est d’abord celui de Nicholas Winton âgé, posé sur de vieilles photographies d’enfants, qu’il scrute au moyen d’une loupe, face à ceux, transperçants, de ces mêmes enfants, qu’il a tenté de sauver. En effet, ces jeunes, pour la plupart juifs, étaient réfugiés à Prague en 1938 après l’invasion des Sudètes par l’armée nazie tandis que Nicky Winton travaillait à l’époque comme financier à Londres. Poussé par un désir profond (et confus, au début) d’aider, Winton se rendit à Prague. Son voyage ne devait durer qu’une semaine. On pourrait presque dire qu’il dura finalement toute une vie.
On comprend au fil du film les raisons de la fièvre accumulatrice de documents de Winton. Son combat à l’aube de la Seconde Guerre mondiale pour sauver les enfants juifs tchèques fut une véritable bataille administrative, contre et avec le gouvernement britannique, à coups de documents. Pour que les enfants puissent quitter la Tchécoslovaquie et être admis sur le sol du Royaume-Uni, une quantité ubuesque de documents était nécessaire : visas, photos d’identité, lettres des familles d’accueil, papiers officiels garantissant que les enfants seraient pris en charge financièrement par les familles… Sans ces documents, impossible de fuir. Pour Winton, donc, les documents sont une question de vie ou de mort. Pas étonnant qu’après avoir vécu dans l’angoisse du document manquant, il soit incapable de jeter quoi que ce soit.
Marquée tout du long par une lourdeur et une profondeur propre au sujet abordé, l’histoire se termine toutefois sur une note que l’on pourrait qualifier de positive. Winton est reconnu publiquement pour ses actes héroïques pendant la guerre. Surtout, il a pu rencontrer certains des enfants qu’il a sauvés, ce qui lui permet de faire un semblant de paix avec lui-même : il est désormais capable de se regarder en face.