L`Intermède
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C'est à travers les différentes représentations de la nudité féminine au fil des siècles que Thomas Schlesser, dans son Histoire indiscrète du Nu féminin, publiée chez Beaux-Arts Editions, aborde l'histoire de l'art. De la Renaissance au XXe siècle, le corps féminin, entre attraction et répulsion, a fait l'objet d'une quête insatiable des plus grands artistes. Que nous disent donc ces regards d'hommes posés sur des corps de femmes ?

Le projet de Thomas Schlesser n'est pas tant d'aborder "la nudité d'un point de vue uniquement esthétique, mais de considérer la place politique du corps, et son évolution sociale à travers les âges, entre norme et transgression." La représentation du corps féminin et de sa nudité est en effet indissociable du contexte historique, politique et religieux dans lequel elle s'inscrit. Ce dont le parcours chronologique qui ordonne l'ouvrage rend précisément compte, soulignant les différentes ruptures historiques qui scandent l'histoire du nu féminin. Ainsi la Réforme luthérienne explique-t-elle les oeuvres austères des peintres d'Europe du nord au début du XVIe siècle. Étroit, blafard, malingre, le corps de la femme y porte les stigmates de la faute. Chez Albrecht Dürer (1471-1528), la femme nue se fait sorcière et avec Jérôme Bosch (1450-1516), elle devient créature lubrique, compagne des pires monstres reptiliens et coupable des pires péchés. Vil et inquiétant, le corps féminin représente alors une menace, contrairement à la Contre-Réforme qui ouvre paradoxalement la voie à une célébration de la chair, le XVIIIe siècle favorisant le libertinage tandis que la Révolution prône un retour à la pudeur et le XIXe libère les fantasmes masculins... Chaque époque marque ainsi une nouvelle césure dans la représentation de la nudité féminine.

Les corps eux-mêmes évoluent au cours une histoire indiscrète du nu féminin, nu, féminin, peinture, thomas schlesser, beaux-arts éditions, beaux-arts, livre, publication, rétrospective, histoire du nu, courbet, ingres, titien, renoir, schdes siècles, tantôt minces, tantôt gras, poilus ou glabres, nobles ou canailles. Pour l'auteur, ces représentations varient parce qu'elles sont "tributaires de l'évolution des moeurs, des morphologies et de l'hygiène au cours des siècles." Les chapitres thématiques, qui coupent avec bonheur le fil chronologique de l'ouvrage, viennent d'ailleurs illustrer ces thèmes transversaux de la nudité que sont la corpulence, la pilosité, ou encore l'érotisme. Les corps charnus et duveteux des peintres réalistes contrastent avec les corps imberbes et idéalisés de la Renaissance, la minceur des beautés symbolistes rompt avec les formes généreuses et flamandes de Rubens (1577-1640). L'idéal féminin, quoique éternel comme le veut l'adage, présente donc de multiples facettes.

La nudité féminine est avant tout fille d'Ève, "l'éternelle coupable", selon Thomas Schlesser. Première femme de la création, nue, tentatrice et pécheresse, c'est elle qui précipite l'homme dans la faute originelle. Cette figure de la nudité maléfique et dangereuse parcourt en fil rouge tout l'art occidental et, de l'Ève de Cranach l'Ancien (1528) à l'Eden de Pierre et Gilles (1993), Ève demeure un thème pictural obsédant et l'archétype de la nudité féminine. Elle est ainsi la mère de figures féminines qui, au fil des siècles, ont hérité de la tare originelle une histoire indiscrète du nu féminin, nu, féminin, peinture, thomas schlesser, beaux-arts éditions, beaux-arts, livre, publication, rétrospective, histoire du nu, courbet, ingres, titien, renoir: le Mal. Le peintre suisse Füssli (1741-1825) représente des femmes possédées par le démon, chevauchées par des créatures maléfiques qui les surprennnent dans leur sommeil, en plein Cauchemar. Les Symbolistes de la fin du XIXe siècle créent une beauté féminine mortifère et castratrice ; et chez Gustave Moreau (1826-1898), le corps de Galatée est majestueux mais glaçant. Au XXe siècle, les sexes féminins de certaines toiles de Picasso (1881-1973) sont pourvus de dents menaçantes, et les bouches y sont voraces...

Jouant avec cette tradition des femmes fatales, le Pop Art des années 1960 désamorce l'inquiétante étrangeté féminine en la désacralisant. La Table de l'artiste britannique Allen Jones figure une femme à quatre pattes, offerte, soumise : la femme-objet par excellence. Un bon moyen d'exorciser les peurs ancestrales liées au corps féminin ? Cette variété des représentations fantasmatiques et angoissées de la nudité féminine contraste fortement avec la calme uniformité de la représentation du nu masculin pendant des siècles. "De l'Antiquité au XIXe siècle, l'image du corps masculin est monolithique,  rappelle Thomas Schlesser. Elle oscille entre le corps souffrant du Christ et le corps triomphant des héros et divinités antiques. Plus héroïque qu'érotique, c'est un corps glorieux, mathématisé, géométrisé." C'est donc à la nudité féminine que revient la charge d'incarner la sensualité occidentale.

Et c'est à la Renaissance que le corps féminin, dans le sillage des Vénus antiques, puise sa superbe : "Vénus renaît et, dans son sillage, le désir masculin s'assume, le plaisir féminin s'affirme, la beauté du corps triomphe." La Naissance de Vénus de Botticelli (1445-1510) ouvre la voie à des siècles de célébration du nu féminin, et des plaisirs de la chair qu'il suggère. Chez Titien (1490-1576), la Vénus d'Urbin pose sa main sur son sexe, et ses doigts se perdent dans l'ombre de l'entrecuisse, tandis qu'avec l'École de Fontainebleau, Gabrielle d'Estrée pince délicatement le téton de sa soeur (1594) et que, bien plus une histoire indiscrète du nu féminin, nu, féminin, peinture, thomas schlesser, beaux-arts éditions, beaux-arts, livre, publication, rétrospective, histoire du nu, courbet, ingres, titien, renoirtard, Boucher (1703-1770) couvre de rose les fesses gourmandes de ses maîtresses. Une des gageures de la représentation du nu : rendre le frémissement de la chair. Pour cela, la palette des carnations à travers les siècles est riche : la blondeur vigoureuse des peaux de Rubens répond aux chairs généreuses des femmes de Renoir, la blancheur marmoréenne des nus d'Ingres s'oppose à la chaude vibration des corps de Courbet. Car ces palpitations de couleurs racontent aussi la passion sensuelle qui a animé les maîtres pour leurs modèles, célèbres ou anonymes : Raphaël et la Fornarina, Gauguin et ses vahinés, Dali et Gala. La nudité féminine y est désirable car la femme représentée y est désirée.
 
Cet érotisme du nu déborde dans les multiples tableaux orientalisants en vogue au XIXe siècle qui présentent des harems de fantaisie, pleins à craquer de femmes nues, lascives et offertes au mâle. Cuisses, seins et chutes de rein infinies, les corps s'assouplissent en dépit des lois de l'anatomie et ne semblent plus voués qu'à la caresse. Le fantasme du saphisme, dans la lignée des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire (1857), exacerbe le plaisir concupiscent du spectateur qui contemple une nudité féminine redoublée, et nourrit l'imaginaire érotique de Gustave Courbet à Egon Schiele. Ici la nudité féminine est une invitation au jouir, sans pudeur. Oeuvre indiscrète entre toutes, L'Origine du monde de Courbet (1866) condense toutes les une histoire indiscrète du nu féminin, nu, féminin, peinture, thomas schlesser, beauxproblématiques de la représentation du nu féminin. Ce sexe de femme représenté en gros plan, ouvert, abandonné, dont les couleurs rendent crûment les subtiles variations de la chair, interroge le spectateur, et le renvoie à son origine : la matrice. Thomas Schlesser rappelle que "cette toile a longtemps été cachée, masquée par divers panneaux qui lui servaient d'écrins de protection, comme si elle contenait un grand mystère. Jacques Lacan, qui en a été le propriétaire à une époque, a d'ailleurs nourri cette énigme. Elle est une plongée dans l'intimité féminine d'autant plus troublante que le reste du corps, le visage en particulier, demeure absent. C'est à la fois une oeuvre repoussoir et une oeuvre irrésistiblement attirante." Cette tension entre répulsion et attraction qui, à elle seule, condense le mouvement du désir.
 
Anne Delaplace
  Le 08/10/10
 
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Une histoire indiscrète du Nu féminin, Cinq siècles de beauté, de fantasmes et d'oeuvres inédites de Thomas Schlesser
Beaux Arts éditions
2010
39 €










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Légendes images
Vignette sur la page d'accueil : Boucher, L'Odalisque, 1745
1
Titien, La Vénus d'Urbin, 1538
2
École de Fontainebleau, Portrait présumé de Gabrielle d'Estrées et de sa soeur la duchesse de Villars, 1594
3 Ingres, Le Bain turc, 1862
4 Renoir, Les Grandes Baigneuses, 1884-87
5 Courbet, L'Origine du Monde, 1866
6 Schiele, Deux femmes s'embrassant, 1911