L`Intermède
Exposition seconde main, musée d`art moderne de la ville de Paris, oeuvres-sosies, copie, reproduction, variation, peinture, Mike Bidlo, Eric Doeringer, Sophie MatisseL'œuvre et son double
Il y a quelques mois, le Musée d'Art moderne de la Ville de Paris présentait les travaux de l'Américaine Elaine Sturtevant : l'artiste se saisissait d'œuvres connues et fortement médiatisées pour les reproduire, les rejouer, les réinventer. S'il est fréquent en musique et au cinéma - nombreux sont les variations sur un même thème, les remakes d'un même film -, ce questionnement sur le statut de la copie et de la reproduction est peu courant dans les arts plastiques. Il trouve aujourd'hui son prolongement avec l'exposition Seconde main, également au MAM de Paris jusqu'au 24 octobre, qui, à travers une sélection d' "oeuvres-sosies" réalisées  des années 1960 à aujourd'hui, "revisite l'accrochage en explorant le principe de copie, d'appropriation ou d'imitation", comme l'explique en préambule la commissaire Anne Dressen.

Cela ressemble donc à un jeu de piste : disséminées ça et là dans les salles du musée, des vignettes roses et bleues signalent la présence des œuvres de l'exposition. En écho, des bribes de textes sont reproduites aux murs et guident le visiteur dans ce dédale. De Michel-Ange - "Dieu seul crée, l'homme ne fait qu'imiter" -  à Dalí - "Ceux qui ne veulent imiter personne ne créent jamais rien" -, la question de la reproduction a traversé les siècles. Les horizons des peintres exposés sont tout aussi variés. L'ancienne Europe de l'Est, représentée par Braco Dimitrijevic, côtoie celle de l'Ouest et ses artistes comme André Raffay (1925-2010) ou Richard Baquié (1952-1996) ; l'Amérique de Reena Spaulings - un collectif formé en 2004 - converse avec la Chine de Yang Zhenzhong. Contrairement à celles des faussaires, par définition conformes à l'œuvre initiale, les "copies" proposées par l'exposition s'éloignent de leurs modèles autant qu'elles s'en inspirent.

C'est dans le fossé ainsi creusé entre l'original et sa réécriture que réside tout l'intérêt de l'œuvre "plagiée". Pour lui assurer sa singularité, les artistes emploient différentes techniques. Certains jouent avec les dimensions - le costume de feutre de Joseph Beuys, rétréci par Maurizio Cattelan (2000) - ; d'autres reprennent Exposition seconde main, musée d`art moderne de la ville de Paris, oeuvres-sosies, copie, reproduction, variation, peinture, Mike Bidlo, Eric Doeringer, Sophie Matisseune certaine technique, à l'instar du groupe britannique Art & Language, formé en 1968, réitérant le procédé du dripping cher à Jackson Pollock (1980) ; plus loin, l'originalité se situe dans l'effacement - Fayçal Baghriche reprend Le Saut dans le vide d’Yves Klein et en ôte le personnage principal, pour obtenir en 2004… un Saut dans le vide sans sauteur ! Enfin, l'association de deux travaux peut engendrer un troisième nouveau-né, hybride et inédit : Sherrie Levine croise une sculpture translucide d'après Brancusi avec une table de Gerrit Rietveld pour donner naissance au tableau Large Krate Table and Crystal New Born (1993-1994).

Les plasticiens travaillent "à la manière de", mais également "après" leurs prédécesseurs.  C'est d’ailleurs sur cette polyvalence du terme anglais "after" que joue l'Américaine Sherrie Levine lorsqu'elle intitule ses œuvres After Fernand Léger  (1985) ou encore After Piet Mondrian  (1984). Le français Olivier Babin s'amuse lui aussi de cette ambiguïté dans son tableau After but before (2008), qui reprend une "date painting" d'On Kawara, antidatée d'un jour. Vingt-quatre heures de différence pour abolir toute chronologie ou, à l'inverse, pour la souligner ? L'effet est à double sens : les artistes s'approprient les œuvres de leurs aînés, tout en les tenant à distance - et si Mike Bidlo s'inspire fortement du cubisme de Picasso, il prend soin, non sans ironie, d'intituler sa toile NOT Picasso (1987).  

Exposition seconde main, musée d`art moderne de la ville de Paris, oeuvres-sosies, copie, reproduction, variation, peinture, Mike Bidlo, Eric Doeringer, Sophie MatisseAu paroxysme de la démarche du copiste, les artistes du collectif General Idea, formé en 1969, s'approprient par exemple une toile de Marcel Duchamp, qui lui-même l'avait "copiée", puisqu'il avait apposé sa signature sur un tableau à l'origine anonyme. De la même façon, Sophie Matisse (arrière-petite-fille du peintre Henri Matisse, née en 1965) et Zhen Guogu proposent chacun une relecture d'une même œuvre de Roy Lichtenstein, Crak ! Now, mes petits… pour la France ! (1963) : la première en efface le personnage principal pour faire du tableau une "nature morte", le second le photographie et le repeint dans les moindres détails. Les deux artistes revisitent une œuvre certes originale, mais, comme le remarque Frédérique Entrialgo (Ecole Nationale des Beaux-Arts), "un original produit à partir d'une image publicitaire ou d'une bande dessinée qui fonctionne elle-même comme une copie reproductible à l'infini." De là à affirmer que toute œuvre n'est que la copie d'une œuvre précédente, le pas semble aisé à franchir…

Marcel Duchamp pousse à l'extrême ce raisonnement, puisqu'il s'interroge sur le statut des matières premières elles-mêmes : "Comme les tubes de couleur utilisés par l'artiste sont des produits manufacturés et tout faits, nous devons conclure que toutes les toiles du monde sont des ready-made aidés et des travaux d'assemblage." Désireux de créer une œuvre novatrice, mais héritiers d'un lourd patrimoine ancestral, les "contrefacteurs" adopteraient donc une posture vouée à l'im-posture ? Figure emblématique du mouvement des appropriationnistes, Sherrie Levine résume tout le caractère paradoxal d'une telle démarche : "Semblables à Bouvard et Pécuchet, ces éternels copistes, nous montrons le profond ridicule qui est, précisément, la vérité de la peinture. Nous pouvons seulement imiter un geste qui est toujours antérieur, jamais original. Successeur du peintre, le plagiaire ne porte plus en lui de passion, d'humeurs, d'émotions, d'impressions ; il transporte plutôt cette immense encyclopédie dont il s'inspire."

Exposition seconde main, musée d`art moderne de la ville de Paris, oeuvres-sosies, copie, reproduction, variation, peinture, Mike Bidlo, Eric Doeringer, Sophie MatisseMais Bouvard et Pécuchet tournent en rond et retombent sans cesse dans les mêmes écueils. Les imitations proposées par Seconde main, elles, participent d'un ré-apprentissage : de la peinture originelle émerge une nouvelle œuvre, un nouvel auteur, un nouveau "je". Ainsi, l"artiste Bertrand Lavier a filmé une peinture de Mark Rothko : le spectateur se retrouve alors face à une toile qui n'en est plus une et dont la texture est désormais celle de l'image cinématographique. La peinture est devenue film. C'est encore l’œuvre initiale et c'est déjà autre chose. Recouvrant le sillon tracé par Rothko, Bertrand Lavier donne naissance à une œuvre à la fois palimpseste et palindrome : sous la copie affleure l'original et l'une ne saurait se lire sans l'autre ; on ne peut saisir NOT Picasso sans avoir saisi Picasso. Les organisateurs de l'exposition l'ont bien compris, eux qui ont accroché les "œuvres-sosies" à côté de leurs jumelles. Dépoussiérées par le regard neuf que leur apporte la "copie", rajeunies par la confrontation physique entre le modèle et son double, les toiles du musée reçoivent par là-même un hommage dénué de tout cynisme.
 



Exposition seconde main, musée d`art moderne de la ville de Paris, oeuvres-sosies, copie, reproduction, variation, peinture, Mike Bidlo, Eric Doeringer, Sophie MatisseSeconde main
, jusqu'au 24 octobre 2010
Musée d'art moderne de la ville de Paris
11 avenue du Président Wilson
75016 Paris
Tlj (sf lun) : 10h-18h
Nocturne jeudi (22h)
Entrée libre
Rens. : 01 53 67 40 00






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Légendes et crédits photographiques :
Photo de la page d'accueil : Mike Bidlo, Not Warhol (Brillo Boxes, 1970), 1991. Courtesy Gallery Caratsch, Zurich
Photo 1 Mike Bidlo, Not Picasso (Girl with cock, 1938), 1987. Courtesy Galerie Andrea Caratsch, Zurich
Photo 2 Mike Bidlo, Not Manzoni (Merda d’Artista, 1969), 2006. Courtesy Galerie Andrea Caratsch, Zurich
Photo 3 Yang Zhenzhong, Rineke Dijkstra, CC Gallery, 2004. Courtesy Shangh’art, Shanghai
Photo 4 Eric Doeringer, Keith Haring, 2001. Courtesy de l’artiste et {CTS} Creative Thriftshop
Photo 5 Yang Zhenzhong, Cindy Sherman, CC Gallery, 2004. Courtesy Shangh’art, Shanghai