L`Intermède
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VINGT ANS APRÈS la publication de C'est la Petite Bête, premier tome d'une série de livres aussi enjoués que poétiques à destination des tout-petits, Antonin Louchard remet sa drôle de créature au bout de son pinceau et lui fait vivre de nouvelles aventures dans deux volumes parus en avril dernier (Pin Pon la Petite Bête et La Chanson de la Petite Bête) et deux autres que nous réserve le mois d'août, entre autres plaisirs estivaux. antonin louchard, littérature jeunesse, editions saltimbanque, la chanson de la petite bete, pin pon la petite bete, bonjour chez vous monsieur caca, je veux voler, humourBelle occasion pour L'Intermède de revenir sur le parcours de cet artiste plasticien et auteur de talent dont les oeuvres ravissent aussi bien les très jeunes que ceux qui les accompagnent dans la lecture.

Par Marion Point

CE QUI FRAPPE AVANT TOUT dans les livres d’Antonin Louchard, et ce qui leur donne toute leur saveur, c’est l’humour et le goût pour la facétie qui en structurent les histoires depuis Têtes à classe, son premier livre publié en 1993, jusqu’à Bonjour chez vous Monsieur Caca paru en janvier de cette année. Un humour à la fois tendre et impertinent d’abord avec Bouh !, Le dessin, Le Pire Livre pour apprendre le pot, Je suis un lion ou Supercagoule. Dans cette série de petits formats publiés au Seuil, Antonin Louchard met alternativement en scène un lapin, un caneton ou une poulette, aussi sûrs d’eux que râleurs et insolents. On rit alors de voir le premier affirmer haut et fort qu’il sait déjà dessiner bien qu’il ne produise, en guise de carotte, qu’un gribouillis bleu. On sourit en tremblant quand le deuxième, indémontable, clame qu’il est un lion et ordonne à un crocodile de dégager de son chemin. Et on s’amuse follement de la troisième quand elle hurle au scandale de devoir porter une cagoule qui gratte mais qu’elle trouve une ruse pour la refiler à un loup menaçant et se débarrasser de lui.


Des mots pour rire

UN HUMOUR TRIVIAL, parfois, porté par des titres comme Cékikapété ou Monsieur Caca et irrévérencieusement exploité dans l’album Sur la bouche. Dans ce court récit qui reprend la célèbre histoire du prince changé en grenouille et dont la délivrance doit venir du baiser de sa belle, Antonin Louchard transforme le conte de fée en un jeu poétique qui, de page en page, invite le lecteur à multiplier ses embrassades : "Je suis un prince riche et charmant qu’un jour un sorcier très méchant en vilain crapaud a changé… Embrasse-moi sur le nez.", "Pour mettre un terme à ma détresse je dois retrouver la princesse qui saura me faire un bisou… Embrasse-moi sur les joues." Les rimes s’enchaînent ainsi jusqu’à l’injonction finale "vite pour que le charme soit rompu… Embrasse-moi sur…". Mais les attentes créées par les jeux sonores – attentes de l’adulte du moins – sont déjouées par l’abandon de la rime à la page suivante : "La bouche !" Toutefois, l’irrévérence se joint bientôt à l’esprit de malice puisque, une page plus loin, le sort, au lieu d’être levé devient plus maléfique et métamorphose le crapaud en étron !

UN HUMOUR PROCHE DU NONSENSE anglais et du surréalisme, enfin, qui est à l’origine de pépites comme La Promenade de Flaubert ou Ceci est un livre. Quand Flaubert part en morceaux sous le souffle du vent puis est recollé bien aléatoirement par sa femme, le narrateur de Ceci est un livre nous invite à reconstituer le fil de l’album par une série d’associations d’idées et de jeux de mots passant de la "pie" au "pis" ou du "pape" au "pope" puis au "roi de la pop". Ici, au-delà de l’humour, c’est le plaisir de la langue et la magie du verbe qui opèrent. En effet, pour Antonin Louchard, il est quelque chose de l’ordre du "mystère" dans ce qu’une histoire ou une comptine peut donner à entendre et, souvent, ce que l’on en retient, ce n’est pas le sens mais l’alchimie des mots. Ceci est un livre, est avant tout cela, une recherche de la fantaisie qui conduit chaque enfant à retenir le "Tire la bobinette et la chevillette cherra" du Petit Chaperon rouge sans en comprendre un traître mot. On ne se tord pas de rire ici, mais on sourit et on savoure les jeux poétiques qui mènent d’un mot à un autre.



Prendre l'enfance au sérieux

PAR AILLEURS, POUR ÊTRE PÉTILLANT et souvent franchement drôle, Antonin Louchard n’en a pas moins des choses importantes à dire. À la question de ce qu’est un bon album pour la jeunesse, il répond : "C’est un album pour les enfants qui est aussi un album sur l’enfance, un album ou l’enfance palpite et vit." Ainsi, loin de la mièvrerie intrinsèque à de trop nombreuses publications destinées aux tout-petits, Antonin Louchard crée des albums qui abordent "des sujets graves et sérieux avec malice et légèreté". Hors de question, par exemple, de flatter les je-sais-tout ; ainsi, Le Pire Livre pour apprendre le dessin, qui s’achève par une caricature grimaçante du jeune héros trop sûr de lui, leur démontre qu’il faut savoir en rabattre un peu. antonin louchard, littérature jeunesse, editions saltimbanque, la chanson de la petite bete, pin pon la petite bete, bonjour chez vous monsieur caca, je veux voler, humourDans cette même veine, l’auteur n’hésite pas à aborder des sujets beaucoup plus profonds et peu traités par la littérature pour les très jeunes. Marginalité, abandon ou encore ravages de la société de consommation sont ainsi au cœur de trois albums récents. La marginalité, c’est celle de Monsieur Caca dont le patronyme engendre des moqueries quotidiennes et le tient à l’écart de tous ceux qu’il croise et qui n’ont d’attention que pour son nom. L’abandon, c’est celui que vit le protagoniste de Je veux voler : seul sur sa branche, un jeune corbeau réclame l’attention de son père et exige des leçons de vol, mais personne ne daigne lui répondre et, au bout d’un moment, la silhouette noire qui tournoyait au-dessus de l’arbre s’éloigne, laissant l’oisillon seul face à ses expériences et sa recherche de modèle. La chute de l’histoire - qui suit celle du petit volatil - a beau être comique, elle est fondamentalement triste : à côté de l’ombre de son géniteur qui semble se rapprocher, l’enfant-corbeau aperçoit la lointaine silhouette d’un cycliste et réclame, comme en quête d’un père de substitution : "Tu m’apprends à faire du vélo ?" Quant aux rouages et aux conséquences de la société de consommation, aussi surprenant que cela puisse paraître, ils sont dépeints avec humour et poésie dans le récit-fable Pourquoi les lapins ne portent pas de culotte. Alors qu’il ne parvient pas à se démarquer de ses rivaux, Zou, par un de ces miraculeux hasards de la vie, se retrouve vêtu d’une culotte rouge qui attire immédiatement l’attention de la lapine que tout le clan convoite et lui vaut ses faveurs. Mais c’est sans compter le mimétisme et le désir des autres. Aussitôt, tous les lapins se mettent à rôder dans les jardins des hommes pour y voler des culottes et bientôt, certains les accumulent : le bien se raréfie, l’inflation gagne. On ouvre des banques, on crée des milices pour les protéger, des clans se constituent, menés par des chefs aux pleins pouvoirs et tout le monde se surveille. Comme il ne s’agit que de lapins et de culottes, on rit, mais la démonstration est faite et l’auteur accomplit la prouesse d’offrir aux très jeunes lecteurs un des rares albums satiriques qui leur soit proposé !


Associer les images

ENFIN, CE QUI REND CES ALBUMS SI BEAUX et ce qui constitue finalement le cœur du travail d’Antonin Louchard, c’est le traitement de l’image. D’abord journaliste scientifique et sans formation artistique, Antonin Louchard est un plasticien autodidacte qui a publié ses premières illustrations vers l’âge de quarante ans. C’est cela, peut-être, qui le pousse à ne pas se limiter à une seule technique ou un seul style et à multiplier les approches et les expériences plastiques. Ainsi, si beaucoup de ses albums sont travaillés à la tablette graphique, notre auteur a aussi composé plusieurs livres qui sont de véritables invitations à explorer les possibilités des arts plastiques. En ce sens, Tout un monde qu’il a réalisé avec Katy Couprie peut être abordé comme un album-panorama des arts plastiques où se côtoient gouache, fusain, photogramme, papier mâché, crayon, figurines en plastiques, photographie en noir et blanc ou en couleurs, pastel gras, bois gravé ou eaux fortes exploités dans des images dont le style va de l’art brut à l’hyper-réalisme. antonin louchard, littérature jeunesse, editions saltimbanque, la chanson de la petite bete, pin pon la petite bete, bonjour chez vous monsieur caca, je veux voler, humourSi la diversité technique est telle, c’est qu’elle est au service d’un idée ambitieuse : explorer les rapports entre les images et créer, par effet de "concaténation", un livre-parcours où chaque page est associée à la suivante par un lien thématique ou formel. On passe ainsi d’une chaise à un pot pour enfant puis à des toilettes et à un syphon d’évier. Plus loin, les cerises d’un tissu deviennent les croches d’une partition qui nous mène au portrait d’un pianiste puis à un couple de danseurs. A chacun, ensuite, d’inventer ses histoires et de se laisser plonger dans la quête du détail, ce bout de ficelle du marabout qui nous entraîne de page en page.

CE PRINCIPE DU FIL EN AIGUILLE par l’image, on le retrouve dans un autre très beau livre publié treize ans plus tard : Je suis… Cette fois, c’est un personnage bordeaux qui traverse les pages, sautant d’une situation à une autre pour faire le tour des traits du caractère humain. Equilibré sur une corde de funambule, incroyable quand il la parcourt la tête en bas, exceptionnel quand elle se transforme en podium, gonflé quand il vole comme un ballon retenu par cette seule corde ou encore libre quand il est lâché dans les airs, ce personnage prouve qu’Antonin Louchard manie le pinceau et la plume avec brio pour "inventer des rapports texte-image" inédits et d’une grande poésie.

LA POÉSIE, AVEC LE PLAISIR DE L'IMAGE et l’humour sont d’ailleurs les trois ingrédients que l’on retrouve dans la saga de la Petite Bête dont les deux derniers albums viennent d’être publiés. Issu d’une célèbre comptine, le personnage doit sa naissance plastique au désir de l’auteur de "donner une identité à la petite bête, souvent assimilée à la coccinelle, à la bête à bon Dieu". C’est en 1998 que cette curieuse créature, cet homoncule qui rappelle le petit bonhomme de pain d’épice, voit le jour. Très simple d’un point de vue graphique, la Petite Bête d’Antonin Louchard s’est vite montrée pleine de possibilités que l’auteur a explorées une première fois dans une douzaine d’albums avant de la délaisser pour d’autres travaux. Mais pour le plaisir des lecteurs, ce drôle d’animal est parvenu à se frayer de nouveau un chemin dans l’esprit de son créateur et nous la retrouvons pour de nouvelles aventures en plein concert multi-instrumental (La Chanson de la Petite Bête) ou au volant d’un camion de pompiers et bien déterminée à sauver sa planète (Pin Pon la Petite Bête). Vingt ans après sa naissance, la Petite Bête n’a pas pris une ride et remporte toujours le suffrage des tout-petits qu’elle fait rire, rêver et chanter. Nous lui souhaitons longue vie et attendons avec impatience ses prochaines aventures !

M.P.
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À Paris, le 29 juin 2018


 
Nos albums préférés :

C’est la Petite Bête, Thierry Magnier, 1998

La Promenade de Flaubert, Thierry Magnier, 1998

Tout un monde, avec Katy Couprie, Thierry Magnier, 1999

Ceci est un livre, avec Martin Jarrie,Thierry Magnier, 2002

Pomme de reinette et pomme d’api, Bayard, 2005

Sur la Bouche, Thierry Magnier, 2011

Je suis…, Thierry Magnier, 2012

Je Suis, Thierry Magnier, 2012

Plouf la Petite Bête, Bayard Jeunesse, 2013

Tiens c’est pour Toi, Thierry Magnier, 2013

Je suis un lion, Seuil, 2015

Je veux voler, Seuil, 2015

Supercagoule, Seuil, 2016

Pourquoi les lapins ne portent pas de culotte, Seuil, 2016

Mon Petit Cœur, Seuil, 2016

Le Dessin, Seuil, 2017

La Piscine, Seuil, 2018

La Chanson de la Petite Bête, Saltimbanque, 2018

Pin Pon la Petite Bête, Saltimbanque, 2018

Bonjour chez vous Monsieur Caca, Saltimbanque, 2018



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