
En effet, il s’agit de déconstruire les représentations des masculinités en replaçant chaque personnage, voire chaque scène de film, dans son contexte de production, afin d’en dénouer les détours, et surtout les brouillages. Car Minnelli et Demy n’ont eu de cesse de jouer sur les brouillages : ceux des frontières entre les genres cinématographiques, entre le cinéma grand public et le cinéma d’auteur (p. 7), et surtout des images mêmes qu’ils mettaient en scène. Sabrina Bouarour indique à cet égard : « les films de Demy et Minnelli sont marqués par une sensibilité queer à la fois présente et absente, qui relève d’une “épistémologie du placard” pour reprendre l’expression d’Eve Kosofsky Sedwick. » (p. 10) L’image du placard donnera toute sa cohérence à l’ouvrage, ne cessant de réaffirmer que toutes les subtilités et les détours méthodologiques ne sont que différents aspects d’un jeu de fluidité que le « placard » illustre parfaitement.
Demy imagine une grossesse au masculin, dans L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune (1973), deux ans après la signature du Manifeste des 343 salopes par, entre autres, Catherine Deneuve et Agnès Varda (qui, rappelons-le, était l’épouse de Jacques Demy). La sexualité est régulée, réprimée, mais « le conservatisme idéologique, qui pèse à la fois sur les femmes […] et [sur] les hommes, qui font face à une remise en cause des normes de la virilité traditionnelle, dessine les contours d’une période de brouillage normatif » (p. 44), au sein de laquelle la filmographie de Demy et Minnelli prend place.
Par ailleurs, le jeu mélodramatique des couleurs (pastels chez Demy, vives chez Minnelli) encourage une tension entre artifice et authenticité qui est le fondement, selon Susan Sontag, de l’esthétique camp (p. 97), indice de « l’affect lui-même » (Gilles Deleuze) (p. 98) – qui est justement l’une des caractéristiques qui permettent aux personnages des deux cinéastes d’échapper aux préjugés masculinistes.
Les vulnérabilités se répondent (p. 216), et permettent d’élaborer des « zones de résistance » face aux narrations dominantes (p. 217). Une réception « purement hétérosexuelle » de Tea and Sympathy est impossible : Tom pourrait faire « une bonne épouse » puisqu’il coud et cuisine, tandis qu’un magazine, dans la scène sur la plage, exhibe un questionnaire intitulé « Êtes-vous un homme ? ». C’est dans cette « indécidabilité genrée » (p. 222), qui culmine dans le travestissement de Tom en femme lorsqu’il participe à la pièce de théâtre, que se trouve l’esthétique camp. « Le féminin et le masculin sont ici dénaturalisés. Pour reprendre une terminologie butlerienne, les normes de genre sont réélaborées et resignifiées » (p. 227).

