L`Intermède
Cloître de Saint-Trophime ArlesWithout sanctuary, lynchage obscène
Pendant 25 ans, James Allen a rassemblé les photographies de lynchages de Noirs américains. Pour la première fois, grâce au Center for civil and human rights, les clichés sont montrés hors des États-Unis.

Aux Rencontres d'Arles, au fond de la cour du Palais de l'Archevêché, un escalier conduit le festivalier face à une immense porte en bois. Consigne : "Poussez fort". Avec, de l'autre côté, l'un des plus beaux cloîtres d'Occident : celui de Saint-Trophime, composé de galeries romanes et gothiques
regorgent de sculptures. Au fond de la cour, un second escalier mène vers une première terrasse. Puis, il faut encore monter quelques marches, avant d'accéder aux photographies de l'exposition Without Sanctuary.

L'horreur de près
Une dizaine de visiteurs tourne autour d'une cimaise placée au centre de l'ancien dortoir. Un silence monacal. Une marche funèbre. La petite taille des photographies (8 x 12 cm) oblige à s'approcher dangereusement de la scène. L'horreur saute alors en pleine face : des corps pendants, certains déchiquetés par des coups de fouet ou de bâton. A l'origine de ces exécutions sommaires, une dispute, une bousculade, une suspicion de vol ou de meurtre. Les accusés sont conduits au gibet, sans aucune autre forme de procès. La branche d'un arbre, l'armature d'un pont, le coude d'un réverbère servent de potence.

Contrairement à ce qu'il se passe lors des cérémonies rituelles
du Ku Klux Klan, qui embrasent une croix devant la maison de leur future victime, les bourreaux ici ne portent pas de masques. Ils agissent en pleine journée, sur les places publiques, dans les gares. Les massacres sont faciles à accepter, les victimes ne sont "rien que des nègres".

Without sanctuaryCartes postales
On vient assister en famille à cet abominable spectacle. Hommes chapeautés en costumes, adolescents cravatés, jeunes filles en robes blanches immaculées. Aucun regard ne se détourne des corps, aucune main ne protège les yeux de ces visions de l'atroce. Non, on fixe le Noir, on le montre du doigt. On sourit, on se félicite. Face au photographe, aucune honte.

Certains clichés témoignent des crémations qui peuvent suivre. Feu de joie populaire, les enfants s'amusent avec les cendres. Editées parfois en cartes postales, ces images sont envoyées aux familles pour se féliciter : "Well John - This is a token of a great day we had in Dallas, March 3, a negro was hung for an assault on a three year old girl. I saw this on my noon hour. I was very much in the bunch. You can see the negro hanging on a telephone pole" ; "This is the Barbecue we had last night my picture is to the left with a cross over it your son Joe".

Cette collection, à l'origine privée, présente les preuves irréfutables des massacres qui ont eu lieu des années 1880 au début de la Deuxième Guerre Mondiale : entre 4000 et 5000 lynchages. Mais le travail du Center for Civil and Human Rights ne s'arrête pas à la compilation de ces images et à la livraison brute de leur horreur : il effectue également un important travail d'identification des victimes pour que, près d'un siècle après, leur histoire soit connue.

 Damien Thomasse
Le 22/08/09

Strange fruit Bitter fruit Billie Holiday Aber Meerepol 1937 1939
Without sanctuary, jusqu'au 30 août
Rencontres d'Arles
Cloître Saint-Trophime, 13200 Arles
Exposition du Center for Civil and Human Rights - Atlanta, Georgie, Etats-Unis.
Toutes les photographies citées dans l'article sont visibles sur
le site de la collection.
Ouvrage : Without Sanctuary, édité chez Twim Palms Publishers.

La chanson "Strange fruit" (ci-contre) évoque le sort des hommes pendus dans les arbres.











D'autres articles de la rubrique Instantanés

Marc Riboud, l`instinct de l`instant. Exposition au musée de la vie romantiqueRobert Mapplethorpe Polaroids 1970 1975 modern art oxford henry art gallery mary and leigh block museum of art photo picture pictures photography


Crédits et légendes photos :
Vignette sur la page d'accueil : Lynchage d'Augustus Goodman, 4 novembre 1905, Bainbridge, Georgia.
Photo 1 : Cloître de Saint-Trophime (Ville d'Arles)
Photo 2 : Lynchage de Lige Daniel. 3 août 1920, Centre du Texas