 La photographie dans le texte
La photographie dans le texte En écho aux ouvrages, quelques clichés accrochés dans l'exposition. Pour l'Italien Massimo Vitali, passionné des plongées larges et des loisirs collectifs "de masse", c'est un gigantesque panorama d'une plage au mois d'août, couverte de transats roses, parasols bleus et baigneurs lambdas dispersés le long d'un front de mer dessiné au béton. Karl Lagerfeld, un ami de longue date de Steidl, est representé par ses musculeux éphèbes romains surpris en poses lascives dans les ruines du Forum. Lewis Baltz, le désenchanté, n'a droit qu'à une image : un soleil rougeoyant sur un dinner baptisé "Luck", probablement paumé a cent miles de Nowhere, USA. Car la photographie n'est pas tout à fait le sujet central : ici, on s'intéresse plus à l'écrin qu'au bijou. Le livre est le corps vivant, le fruit d'une longue gestation, tandis que les tirages ne sont que des organes isolés ; le cœur de l'exhibition tient dans les témoins du travail mené par Steidl pour les réunir. Cela comprend notamment une variété d'esquisses au crayon, bariolées de commentaires au marqueur. On y trouve aussi diverses séries de couvertures en travaux, des chutes de tissus variées et des lettres amicales entre éditeur et auteur. Ainsi, la conception de Lewis Baltz WORKS, un coffret de dix livres rassemblant tout le travail du Californien sur les nouveaux paysages industriels, donne lieu à de longues hésitations sur la forme du boîtier, la couleur de la couverture et la place du titre. Au centre, en bas, à gauche ? En noir ton sur ton, en blanc sur noir pour le contraste ? Les lettres seront-elles imprimées ou gaufrées ? Le temps, les tâtonnements et la relation entre les deux partis sont essentiels, la qualité d'œuvre d'art du produit fini tenant dans cette réunion de passions, ce dialogue de sensibilités, la finesse des matériaux engagés et la recherche commune de la perfection.
En écho aux ouvrages, quelques clichés accrochés dans l'exposition. Pour l'Italien Massimo Vitali, passionné des plongées larges et des loisirs collectifs "de masse", c'est un gigantesque panorama d'une plage au mois d'août, couverte de transats roses, parasols bleus et baigneurs lambdas dispersés le long d'un front de mer dessiné au béton. Karl Lagerfeld, un ami de longue date de Steidl, est representé par ses musculeux éphèbes romains surpris en poses lascives dans les ruines du Forum. Lewis Baltz, le désenchanté, n'a droit qu'à une image : un soleil rougeoyant sur un dinner baptisé "Luck", probablement paumé a cent miles de Nowhere, USA. Car la photographie n'est pas tout à fait le sujet central : ici, on s'intéresse plus à l'écrin qu'au bijou. Le livre est le corps vivant, le fruit d'une longue gestation, tandis que les tirages ne sont que des organes isolés ; le cœur de l'exhibition tient dans les témoins du travail mené par Steidl pour les réunir. Cela comprend notamment une variété d'esquisses au crayon, bariolées de commentaires au marqueur. On y trouve aussi diverses séries de couvertures en travaux, des chutes de tissus variées et des lettres amicales entre éditeur et auteur. Ainsi, la conception de Lewis Baltz WORKS, un coffret de dix livres rassemblant tout le travail du Californien sur les nouveaux paysages industriels, donne lieu à de longues hésitations sur la forme du boîtier, la couleur de la couverture et la place du titre. Au centre, en bas, à gauche ? En noir ton sur ton, en blanc sur noir pour le contraste ? Les lettres seront-elles imprimées ou gaufrées ? Le temps, les tâtonnements et la relation entre les deux partis sont essentiels, la qualité d'œuvre d'art du produit fini tenant dans cette réunion de passions, ce dialogue de sensibilités, la finesse des matériaux engagés et la recherche commune de la perfection. Car c'est bien un idéal que poursuit Gerhard Steidl, depuis son début en imprimerie en 1967, suite à une rencontre éblouissante avec Andy Warhol et ses sérigraphies saturées de couleur. L'une des ses sources d'inspiration est l'imprimeur anglais William Morris (1834-1896), auteur d'un essai intitulé The Ideal Book, selon lequel "Le livre d'image n'est peut-être pas une nécessité absolue dans la vie d'un homme, mais il lui procure tant de plaisir, et il se trouve si intimement mêlé à l'art absolument nécessaire de la littérature, qu'il doit demeurer l'une de ces choses dont la production est, pour l'homme raisonnable, la plus digne d'effort." A cet effet, Gerhard Steidl a rassemblé trente-cinq personnes dans son imprimerie de Göttingen, près de Francfort où se croisent tous les jours les employés imprimeurs ou typographes et les plus grands photographes venus présenter leur projet de livre, un carton sous le bras. En 2008, le Sud-Africain Koto Bolofo met l'endroit en abyme et en boîte par une série de noir et blancs sur la ruche de "Steidlville". A la croisée du documentaire et de la poésie, son œil argentique saisit d'abord les choses, en gros plan, puis les personnages qui gravitent autour. Les imprimantes modernes à jet d'encre, ces grosses machines de plastique sobre aux lignes de voiture de course, crachent en parfait accord leurs larges pages noircies. Adoucie par un temps de pose allongé, une poignée de chutes de papier immaculé devient une cascade lisse coulant d'une main anonyme. Partout Gerhard Steidl règne en maître discret, seul dans le labyrinthe de dossiers qu'est son bureau ou présidant une réunion au bout d'une longue table de bois strié, portant immanquablement une blouse blanche aux manches retroussées et l'épais sourcil froncé sur quelque nouvelle épreuve.
Car c'est bien un idéal que poursuit Gerhard Steidl, depuis son début en imprimerie en 1967, suite à une rencontre éblouissante avec Andy Warhol et ses sérigraphies saturées de couleur. L'une des ses sources d'inspiration est l'imprimeur anglais William Morris (1834-1896), auteur d'un essai intitulé The Ideal Book, selon lequel "Le livre d'image n'est peut-être pas une nécessité absolue dans la vie d'un homme, mais il lui procure tant de plaisir, et il se trouve si intimement mêlé à l'art absolument nécessaire de la littérature, qu'il doit demeurer l'une de ces choses dont la production est, pour l'homme raisonnable, la plus digne d'effort." A cet effet, Gerhard Steidl a rassemblé trente-cinq personnes dans son imprimerie de Göttingen, près de Francfort où se croisent tous les jours les employés imprimeurs ou typographes et les plus grands photographes venus présenter leur projet de livre, un carton sous le bras. En 2008, le Sud-Africain Koto Bolofo met l'endroit en abyme et en boîte par une série de noir et blancs sur la ruche de "Steidlville". A la croisée du documentaire et de la poésie, son œil argentique saisit d'abord les choses, en gros plan, puis les personnages qui gravitent autour. Les imprimantes modernes à jet d'encre, ces grosses machines de plastique sobre aux lignes de voiture de course, crachent en parfait accord leurs larges pages noircies. Adoucie par un temps de pose allongé, une poignée de chutes de papier immaculé devient une cascade lisse coulant d'une main anonyme. Partout Gerhard Steidl règne en maître discret, seul dans le labyrinthe de dossiers qu'est son bureau ou présidant une réunion au bout d'une longue table de bois strié, portant immanquablement une blouse blanche aux manches retroussées et l'épais sourcil froncé sur quelque nouvelle épreuve. Prendre des photographies. Les rassembler en série. Produire un livre dont l'incarnation physique, sinon l'esprit, sera tôt ou tard condamné à prendre la poussière. Y compris le volumineux On The Road de collection illustré par l'artiste pop Ed Ruscha, publié par Steidl en 2010, dont les larges pages crémeuses abritent le texte de Jack Kerouac agrémenté de noir et blancs de stations-essence, de femmes en lingerie et de tartes aux pommes avalées par Sal Paradise lors de son premier voyage vers Denver. Un livre - à 7800 euros - pour l'étagère. Est-ce bien tout ? L'artiste Jim Dine tente en 2008 de s'affranchir de ce programme statique avec la performance Hot Dream, ou la publication par Steidl d'un livre par semaine d'images nouvelles de l'artiste pendant un an. Une installation signe l'aboutissement du projet. Cinquante-deux ouvrages minces reliés en lin gris pendent du plafond à hauteur de nombril. Autour sont affichés des échantillons de leur contenu, en format XXL, dont certaines photographies tombent droit du plafond comme des étendards. Beaucoup représentent des Pinocchios. Pinocchio de près, le visage peint en rouge, les traits à demi effacé comme par une vilaine vérole. Pinocchio menaçant dans une salle de bain glauque. Pinocchio aux traits fêlés, Pinocchio avec une bande de Pères Noël grimaçant comme des nains de jardin sadiques sculptés dans du plastique criard. Pinocchio dressé en noir et blanc, de profil, le bras levé et le nez long. Autours, de gigantesques textes tracés à la main qui semblent n'avoir ni queue ni tête, des images en couleurs d'entrailles de machines, des peintures de crânes bleus sur fond sépia… et d'autres Pinocchios. La librairie, sur laquelle débouche l'exposition, paraît bien rassurante après cette débauche de Chucky et d'écriture surréaliste en tons de feu… Les livres de Steidl s'empilent. Dans leur multitude, ils redeviennent presque des objets de consommation ordinaires. Le voyage est fini.
Prendre des photographies. Les rassembler en série. Produire un livre dont l'incarnation physique, sinon l'esprit, sera tôt ou tard condamné à prendre la poussière. Y compris le volumineux On The Road de collection illustré par l'artiste pop Ed Ruscha, publié par Steidl en 2010, dont les larges pages crémeuses abritent le texte de Jack Kerouac agrémenté de noir et blancs de stations-essence, de femmes en lingerie et de tartes aux pommes avalées par Sal Paradise lors de son premier voyage vers Denver. Un livre - à 7800 euros - pour l'étagère. Est-ce bien tout ? L'artiste Jim Dine tente en 2008 de s'affranchir de ce programme statique avec la performance Hot Dream, ou la publication par Steidl d'un livre par semaine d'images nouvelles de l'artiste pendant un an. Une installation signe l'aboutissement du projet. Cinquante-deux ouvrages minces reliés en lin gris pendent du plafond à hauteur de nombril. Autour sont affichés des échantillons de leur contenu, en format XXL, dont certaines photographies tombent droit du plafond comme des étendards. Beaucoup représentent des Pinocchios. Pinocchio de près, le visage peint en rouge, les traits à demi effacé comme par une vilaine vérole. Pinocchio menaçant dans une salle de bain glauque. Pinocchio aux traits fêlés, Pinocchio avec une bande de Pères Noël grimaçant comme des nains de jardin sadiques sculptés dans du plastique criard. Pinocchio dressé en noir et blanc, de profil, le bras levé et le nez long. Autours, de gigantesques textes tracés à la main qui semblent n'avoir ni queue ni tête, des images en couleurs d'entrailles de machines, des peintures de crânes bleus sur fond sépia… et d'autres Pinocchios. La librairie, sur laquelle débouche l'exposition, paraît bien rassurante après cette débauche de Chucky et d'écriture surréaliste en tons de feu… Les livres de Steidl s'empilent. Dans leur multitude, ils redeviennent presque des objets de consommation ordinaires. Le voyage est fini.