L`Intermède
Tours et détours
Notre-Dame de Paris, Jeanne d'Arc, Les Liaisons dangereuses, Robin des Bois prince des voleurs… autant de classiques sur grand écran qui ont en commun des monuments historiques français comme toiles de fond, traversant et illuminant cathédrales, forteresses, châteaux-forts et palais en vingt-quatre images par seconde. La Conciergerie, à Paris, accueille l'exposition Monuments - Stars du Septième Art et fait voir l'envers de ces décors à travers une série de maquettes, dessins, photographies, affiches, costumes et décors reconstitués. Ou comment un mouvement de caméra peut donner vie à des pierres.
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Avant de tourner la moindre image, il faut choisir les comédiens. Mais le monument historique fait lui aussi l'objet d'un casting, pour trouver le lieu qui servira de décor idéal pour l'intrigue ou, du moins, qui permettra de reconstituer au mieux le cadre initial de l'histoire, la petite comme la grande. Car l'affluence touristique dans certains monuments et le temps qui fait son oeuvre, modifiant ou détruisant certains espaces, conduisent les cinéastes à élire d'autres lieux pour y poser leur caméra. La séquence du mariage entre Henri de Navarre (Daniel Auteuil) et Marguerite de Valois (Isabelle Adjani) dans La Reine Margot de Patrice Chéreau (1994), qui a lieu dans l'enceinte de Notre-Dame de Paris, a ainsi a été tournée dans la basilique de Saint-Quentin. Et le château de Millemont se substitue à celui de Versailles dans le Marie-Antoinette de Sofia Coppola (2006), les lieux étant beaucoup plus accessibles pour un plateau de tournage que le palais royal, qui accueille plus de monuments, stars du 7e art, stars du septième art, décor, décors, cinéma, monument, château, châteaux, palais, notre-dame de paris, les liaisons dangereuses, jeanne d`arc, exposition, conciergerie,trois millions de visiteurs par an. De même, pour réaliser la toile de fond de Vatel (2000, Roland Joffé), le décorateur Jean Rabasse a composé un décor destiné à représenter le château de Chantilly où se déroule à l'origine la grande fête organisée par le cuisiner légendaire, à partir d'une véritable mosaïque : treize châteaux de la région parisienne ont été retenus pour servir successivement de décor. La somptueuse fête qui marque le clou du long-métrage prend ainsi place dans le château de Saint-Cloud, méconnaissable.

Châteaux, palais ou villes entières sont donc, pour certains, des acteurs choisis dès les repérages, soit en raison de leur proximité avec la capitale - comme beaucoup de domaines éparpillés dans la région parisienne, souvent en bon état de conservation -, ce qui a un coût plus faible, soit grâce à la très haute suggestion de leurs lieux, identifiés immédiatement par les spectateurs comme appartenant à une époque historique précise et où les tournages restent malgré tout possibles, à l'instar de Carcassonne et du château de Pierrefonds, tous deux restaurés par Viollet-le-Duc qui y a transposé le Moyen-Âge fantasmé par le XIXe siècle et que l'on voit de La Merveilleuse Vie de Jeanne d’Arc de Marco de Gastyne (1926) au Destin de Youssef Chahine (1997), en passant par Robin des bois, prince des voleurs (Kevin Reynolds, 1991) ou encore Les Visiteurs (Jean-Marie Poiré, 1992). Pour appréhender ces espaces aux tailles hors-normes et peu malléables, la réalisation de maquettes permet de décider, même à petite échelle, des prises de vue à adopter. Ainsi, lorsqu'il tourne son Austerlitz (1960), Abel Gance fait construire un décor miniature à partir du Sacre de Napoléon (1807) de Jacques-Louis David pour y faire répéter la cérémonie à l'aide... de figurines. 
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Le travestissement des monuments commence alors : on les décore pour suggérer davantage l'époque - le château de Millemont a été entièrement meublé et décoré afin de reconstituer avec minutie Versailles pour le film de Sofia Coppola -, on les éclaire pour jouer de leur plasticité, on gomme des détails qui trahiraient la réalité des choses. Ainsi, pour Volker Schlöndorf, choisir le château de Champs-sur-Marne pour y tourner Un amour de Swann (1984) a nécessité de ne jamais montrer l'extérieur des fenêtres : le roman proustien veut que les amours de Swann et d'Odette se déroulent dans un somptueux hôtel particulier parisien, quand les fenêtres du château donnent sur la campagne. Sur le plateau de tournage en décor réel se mêlent ainsi fiction et réalité, mais le studio reste un espace de pure potentialité où toutes les merveilles sorties de l'imagination de l'équipe, dans les limites qu'imposent les techniques, sont possibles. En 1939 s'élève ainsi, dans les studios américains de la RKO, une immense Notre-Dame de carton-pâte adaptée aux besoins de la caméra et aux désirs graphiques du réalisateur William Dieterle pour y tourner son Quasimodo.

Les trucages numériques ont amplifié un phénomène qui existait déjà grâce au "matte painting" - une peinture sur verre qui sert de fond : celui de ne construire qu'une partie du décor et d'ajouter un fond, augmenter la partie supérieure du monument, ou carrément le transformer. On pense ainsi à la métamorphose de la rue Soufflot dans Bon voyage de Jean-Paul Rappeneau (2003) : en partant d'une photographie des lieux prise dans les années 2000, l'utilisation du matte 2 D a fait disparaître tout ce qui pouvait connoter l'époque contemporaine dans le décor historique (enseignes lumineuses, rue goudronnée, feux de circulation), et ressuscite le Paris des années 1940. A l'ère de l'incrustation dans l'image, il est même possible de jouer en costumes au milieu de nulle part, avec pour tout environnement des murs et des sols verts. C'est le parti-pris d'Eric Rohmer dans L'Anglaise et le Duc monuments, stars du 7e art, stars du septième art, décor, décors, cinéma, monument, château, châteaux, palais, notre-dame de paris, les liaisons dangereuses, jeanne d`arc, exposition, conciergerie,(2001), non par souci de réalisme pour reconstituer numériquement des paysages mais pour créer un effet graphique qui se joue de l'illusion cinématographique et rappelle davantage les décors de théâtre : Jean-Baptiste Marot a ainsi réalisé, en s'inspirant des rues de Paris, des toiles peintes pour les scènes extérieures.

Moins que le monument réel, c'est sa vivacité dans l'imaginaire collectif qui prime. Qu'importe, alors, qu'il faille déplacer des éléments pour obtenir la vue de Paris telle qu'on la souhaite : il faut avant tout que le lieu soit identifiable en un coup d'oeil. Et parfois, ce que l'on veut voir n'est pas tant la capitale mais le Paris d'Epinal d'Un américain à Paris ou celui de Ratatouille, où l'aiguille de la Tour Eiffel crève le ciel à chaque plan. Chaque lieu se rattache ainsi à un ensemble de motifs signifiants, dont la force évocatrice a été amplifiée par le cinéma. Ce que l'on recherche n'est pas tant la reconstitution exacte de telle ou telle cathédrale médiévale, par exemple, mais les gargouilles menaçantes dont les grimaces ont imprégné nos rétines. Les lieux deviennent, dès lors, tout autant que les personnages, écrins du rêve. Jusqu'à l'archétype, parfois, comme c'est le cas du château qui n'intéresse pas tant pour la reconstitution historique que pour son exotisme, pour le fait qu'il renvoie à un autre temps et à d'autres lieux, comme ceux des contes de fées. Un souffle magique semble alors s'engouffrer dans les couloirs des châteaux, comme celui de Raray dans La Belle et la Bête de Jean Cocteau (1946). Dans un long plan-séquence, les bougies s'allument, une à une, pendant que l'héroïne avance, monte les escaliers, et se fait dévorer par l'obscurité. 
 
Claire Colin
Le 25/01/11
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jusqu'au 13 février 2011
Conciergerie
1 Quai de l'Horloge
75005 Paris
Tlj  9h30 - 18h
Tarif plein : 8,5 €
Tarif réduit : 6 €
Rens. : 01 53 40 60 80








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Légendes et crédits photographiques:
Vignette page d'accueil : Cendrillon ou la pantoufle merveilleuse / Georges Méliès 1912 Georges Méliès, dessin sur papier d’après une scène du film (autour de 1930) Encre, lavis d’encre, aquarelle et gouache Collection Cinémathèque française Georges Méliès © Coll. Cinémathèque française
1 Cendrillon ou la pantoufle merveilleuse / Georges Méliès 1912 Georges Méliès, dessin sur papier d’après une scène du film (autour de 1930) Encre, lavis d’encre, aquarelle et gouache Collection Cinémathèque française Georges Méliès © Coll. Cinémathèque française
2 Charade / Stanley Donen 1963 Photographie de tournage de Vincent Rossell, avec le chef opérateur Charles Lang (de dos), Stanley Donen (partiellement caché), Audrey Hepburn et Cary Grant Collection Cinémathèque française Notre-Dame de Paris (Paris, Île-de-France)
3 Les Contes de Perrault (Paris, Jules Hetzel, 1864), avec gravure de Gustave Doré pour Peau d’âne. Ecole nationale supérieure des beaux-arts, Paris © RMN
4 La Belle et la Bête / Jean Cocteau 1946 Photographie de plateau d’Aldo Graziati Rossano, avec Jean Marais et Josette Day Collection TCD © 1946 SNC (Groupe M6) Comité Cocteau © Aldo Graziati Rossano
5 Notre-Dame de Paris / Jean Delannoy 1956 Raymond Voinquel, photographies de tournage avec Gina Lollobrigida et Anthony Quinn Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Paris Notre-Dame de Paris (Paris, Île-de-France), décor construit © Ministère de la culture et de la communication – Médiathèque de l’architecture et du patrimoine / R. Voinquel / dist. RMN