L`Intermède
Henri Matisse, Auguste Rodin, sculptures, plâtres, études, portrait, buste, torse, dessins, tableaux, uvre, uvres, Musée Rodin, comparaison, parcours parallèles, rodin, matisseLes traces de Rodin
Depuis quelques mois, Rodin et Matisse ont entamé un dialogue rythmé en trois temps : un premier volet a pris place au musée Matisse de Nice - Matisse – Rodin, un parcours sans fin - et au musée des Beaux-arts de Nice - Les Rodin du musée : Regards photographiques - de juin à septembre 2009 ; aujourd’hui, le deuxième acte se joue à Paris, au musée Rodin, jusqu'au 28 février.

Sobrement intitulée Matisse & Rodin, l'exposition,  met en regard sculptures et dessins d’Auguste Rodin (1840-1917) et Henri Matisse (1869-1954), fondée sur le postulat d’une relation qui n’a, à première vue, rien d’évident : une seule rencontre connue entre les deux hommes, une différence d’âge et de génération non négligeable, et des domaines d'expression distincts - peinture pour Matisse, sculpture pour Rodin. Cependant, si le maître du fauvisme est davantage connu pour sa relation d’amitié-rivalité avec Pablo Picasso, sa fascination pour l’œuvre de Rodin, son aîné de presque 30 ans, laisse des traces dans son travail. Relation plus artistique que personnelle, les chemins de Matisse et Rodin ne se croisent qu’une fois malgré des fréquentations communes, comme le sculpteur Antoine Bourdelle qui fut membre de l’atelier de l’un et professeur de l’autre, ou encore le peintre australien John Peter Russell dont la femme posa pour Rodin et qui enseigna à Matisse le travail des couleurs en 1897 et 1898.

L'année suivante, le peintre prend l’initiative de montrer ses dessins à un Rodin déjà reconnu sur la scène nationale et bientôt renommé dans le monde entier après sa première exposition particulière qui se tient la même année, de mai à octobre, dans plusieurs villes européennes. Ne semblant pas y prêter l’attention désirée, celui-ci déclare que Matisse a une "main facile" et lui recommande d’exécuter des dessins plus soignés. Déçu, le plus jeune, qui affirme que "[s]on dessin au trait est la traduction la plus directe de [s]on émotion", ne reviendra plus solliciter l’avis de son aîné. L’exposition du musée Rodin, essentiellement composée des dessins, de bronzes et de plâtres Henri Matisse, Auguste Rodin, sculptures, plâtres, études, portrait, buste, torse, dessins, tableaux, uvre, uvres, Musée Rodin, comparaison, parcours parallèles, rodin, matissedes deux artistes, ainsi que quelques tableaux de Matisse, tente donc de démêler l’influence de l’éminent sculpteur-dessinateur sur l’œuvre du peintre-sculpteur.

Sept thèmes permettent de suivre les parcours des artistes en insistant sur leurs points d’accord, comme l'importance du modèle saisi sans mise en scène, préalable indispensable au processus de création, tout autant que de divergence, comme l’utilisation du fini non "lisse", qui tient davantage de la conservation des traces du processus de création pour le plus jeune que de l’accentuation de ces marques en vue d’accrocher la lumière revendiquée par Rodin. A l’image du premier couloir qui confronte littéralement les œuvres des deux artistes en plaçant d’un côté les dessins de Matisse, de l'autre ceux de Rodin, attirant le regard sur les similarités des traits rapides, témoins de l’instantanéité de ces croquis, la scénographie met habilement en valeur le dialogue entre les œuvres des deux artistes, qui représentent souvent leurs sujets dans des positions similaires, voire semblables. Ces thèmes, parmi lesquels "La passion pour le dessin", "L’approche du modèle", "La danse, l’équilibre et l’envol" ou encore "Figures et dos : recherches de simplification", épousent l’espace d’exposition non-linéaire, et tissent un fil entre les deux créateurs.

Henri Matisse est l’auteur d’une production sculptée de seulement quatre-vingt quatre œuvres - il a peint quelque mille deux-cent tableaux - qu’il a façonnées tout au long de sa production picturale. "J’ai fait de la sculpture parce que ce qui m’intéressait dans la peinture, c’était de mettre de l’ordre dans mon cerveau", affirme-t-il. Son travail sur toile est intrinsèquement lié à celui en trois dimensions, et l'accrochage de tableaux (Nu masculin - 1900 ; Académie d’homme - vers 1900-1901) notamment dans la section "Le Serf : une sculpture emblématique", permet Henri Matisse, Auguste Rodin, sculptures, plâtres, études, portrait, buste, torse, dessins, tableaux, uvre, uvres, Musée Rodin, comparaison, parcours parallèles, rodin, matissed'apprécier le va-et-vient entre les deux disciplines, chacune d’elles semblant être complémentaire au point de se demander si les tableaux sont une préparation des œuvres sculptées ou inversement. Pourtant, la sculpture n’est pas uniquement pour Matisse un moyen de développer sa peinture : il s’agit plutôt de poursuivre ses recherches à une échelle différente : "Pour exprimer la forme, je me livre parfois à la sculpture, qui permet, au lieu d’être placée devant une surface plane, de tourner autour de l’objet et de le mieux connaître."

Plus qu’une simple comparaison, Matisse & Rodin invite à découvrir l’évolution du travail de Matisse parallèlement à celui de Rodin : il partage avec ce dernier non seulement les mêmes maîtres - Matisse sculpte son Jaguar dévorant un lièvre (1899-1901) d’après celui d’Antoine-Louis Barye, qui fut le professeur de Rodin dès 1855 - mais également une sensibilité similaire quant à la préférence évidente pour des poses non conventionnelles, fruits de l’immédiateté du trait captant le naturel du modèle dans tout son érotisme et son déséquilibre brut. Toutefois, même lorsque leurs travaux se rapprochent, leurs volontés divergent : Rodin considère la sculpture comme un ensemble de morceaux, Matisse y voit un tout indissociable ; le peintre observe ses modèles pour leur donner ensuite la pause qui leur correspond le mieux, alors que Rodin désire rester au plus près de la vérité matérielle : "Je ne corrige pas la nature ; je m’incorpore en elle ; elle me conduit."

Leurs conceptions de la sculpture ne s'opposent jamais, mais sans se rejoindre tout à fait. Matisse s’inspire de son aîné, mais refuse de se conformer à ses idées, et nourrit une forme d'ambiguïté à son égard. Ainsi acquiert-il en 1899 un plâtre original de Rodin, le Buste d’Henri Rochefort (1884) d’après lequel il réalise immédiatement des Etudes et un Portrait, au travers desquelles il se réapproprie l’œuvre, lui prêtant des traits plus simples contenant une étincelle de vie contrastant avec la figure hiératique du buste. Cet héritage, cette inspiration des travaux de Rodin à la même époque (L’homme qui marche -1900 à 1907), sont également perceptibles concernant Le Serf (1900-1903) tant dans la posture de l’œuvre que dans son découpage tardif (1908) : les bras de la sculpture, tombés lors du transport de celle-ci, sont définitivement sectionnés par un choix délibéré de l’auteur, amputant la Henri Matisse, Auguste Rodin, sculptures, plâtres, études, portrait, buste, torse, dessins, tableaux, uvre, uvres, Musée Rodin, comparaison, parcours parallèles, rodin, matissesculpture comme l’a souvent fait son prédécesseur afin de donner une nouvelle dimension à l’œuvre, une concentration du geste débarrassé d’extrémités superflues. Le thème de la danse, récurrent, est un autre point de convergence pour l'inspiration des deux artistes : danses nouvelles et originales avec, en figures de proue, Isadora Duncan et Vaslav Nijinski pour le sculpteur, symbole de joie et de vitalité pour le peintre ; la liberté des corps représentés établit une correspondance supplémentaire entre eux dans tous les domaines de leur œuvre - dessin, peinture, sculpture, collage…

Leurs routes se séparent clairement quand Henri Matisse s’affirme avec plus d’aplomb au fil des années, tandis qu’Auguste Rodin esquisse à peine une simplification des formes par l’augmentation des dimensions de ses œuvres et l’utilisation de nouvelles techniques (comme le plâtre "unificateur") visible pour le Torse d’une jeune femme cambrée, grand modèle (1909). Le plus jeune, de son côté, ose y plonger complètement, comme en témoigne la série des quatre Nu de dos (1909 à 1930), au fil desquels les formes évoluent progressivement d’un rendu relativement classique vers une stylisation proche de l’abstraction. Pour les cinq Jeannette (1910-1913), la peau chiffonnée du premier buste, auréolée de rodinisme, se tend peu à peu au fil des essais, pour devenir tout à fait plane à la cinquième variation, marque de l'émancipation achevée.
 
Raphaël Saubole
Le 02/01/10

Henri Matisse, Auguste Rodin, sculptures, plâtres, études, portrait, buste, torse, dessins, tableaux, uvre, uvres, Musée Rodin, comparaison, parcours parallèles, rodin, matisse
Matisse & Rodin
, jusqu'au 28 février 2010
Musée Rodin
79 rue de Varenne
75007 Paris
Mar-dim : 10h-17h45
Nocturne le mercredi (20h45)
Tarif plein : 7 €
Tarif réduit : 5 €
Rens. : 01 44 18 61 10
Gratuit pour les résidents
de l'U.E. de moins de 25 ans


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Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil : Rodin, La voix intérieure, Plâtre vers 1894, Musée Rodin © musée Rodin - Photo : C. Baraja
Photo 1 Rodin, Torse féminin assis dit torse B, Bronze 1958, Musée Rodin © musée Rodin - Photo : C. Baraja
Photo 2 Rodin, Le Réveil, Bronze vers 1887, Musée Rodin © musée Rodin - Photo : Adam Rzepka
Photo 3 Rodin, Iris messagère des dieux, Bronze, 1895, Musée Rodin © musée Rodin - Photo : C. Baraja
Photo 4 Rodin, Mouvement de danse E, Plâtre brun, 1911, Musée Rodin © musée Rodin - Photo : C. Baraja
Photo 5 Vues de l’exposition Matisse & Rodin © Musée Rodin, Paris