L`Intermède
Basquiat : Le grand zapping
S'il n'avait pas été retrouvé inanimé sur le sol de son loft de Great Jones Street un après-midi d'août 1988 à seulement 27 ans, qui serait aujourd'hui Jean-Michel Basquiat (1960-1988), la cinquantaine révolue ?
Il aurait peut-être quitté New-York pour Hawaï, le seul lieu qui l'ait jamais apaisé. Calé sur un vieux fauteuil en osier tressé, trouvé dans un bazar, il roulerait probablement un petit joint de ses doigts légèrement plissés par le temps. Mais comme James dean (1931-1955), Jimi Hendrix (1942-1970) ou Janis Joplin (1943-1970), tous morts avant d'avoir passé les trente printemps, Jean-Michel Basquiat est un mythe figé dans le temps, laissant, pour solde d'une vie fulgurante, une oeuvre aussi immense - deux-mille dessins, mille tableaux - qu'insaisissable.  Alors que le documentaire Jean-Michel Basquiat : The Radiant Child de Tamra Davis est sorti sur les écrans français le 13 octobre, le Musée d'Art moderne de la ville de Paris expose jusqu'au 30 janvier 2011 une rétrospective composée d'une centaine de ses œuvres majeures : peintures, dessins, objets. Dix ans les crayons et pinceaux aux doigts, Jean-Michel Basquiat a renouvelé sans cesse son art et offert un témoignage nerveux et violent, qui fait de lui bien plus qu'un artiste underground.

1977. Les murs du quartier sud de Manhattan commencent à se revêtir d'étranges inscriptions signées SAMO© (Same Old Shit). Qui est donc ce mystérieux graffeur qui accouche sur les bâtiments de SoHo de phrases incisives ? Les graffitti sont inhabituels : des messages autant lyriques que critiques. Très vite, le tout New-York s'emballe pour ce mystérieux poète urbain. Jean-Michel Basquiat n'a que dix-sept ans et officie avec son complice Al Diaz ; à eux deux, ils ornent le béton d'une calligraphie inédite. Jean-Michel vient de quitter sa famille pour vivre le rêve de beaucoup de jeunes de cette époque, la célébrité, dans un New-Yorjean-michel basquiat, basquiat, exposition, rétrospective, parcours, biographie, galerie, musée d`art moderne, mam, paris, peinture, dessin, dessins, peintures, couronne, crâne, overdose, new yorkk où tout semble possible. Se nourrissant parfois de paquets de chips à cinquante cents et dormant chez ses petites copines occasionnelles ou sur des bancs, il vagabonde. Basquiat à l'ambition de devenir un "roi", comme en témoigne la répétition obsessionnelle des couronnes dans ses toiles et dessins. Très vite, il passe à la télévision comme le fameux SAMO et affiche son décalage : "Je me suis rasé le dessus du crâne, parce que mes parents n'allaient pas chercher un type avec la tête à moitié rasé." Son visage devient très vite célèbre via ses apparitions régulières sur le câble, dans les émissions de Glenn O'Brien.

"SAMO© as a neo form of art "
"SAMO© is dead", écrit-il sur un mur en 1979. Une première page est tournée. "Mon travail n'a rien à voir avec les graffiti, dira-t-il plus tard. C'est de la peinture, ça l'a toujours été. J'ai toujours peint. Bien avant que la peinture soit à la mode." Le jeune homme se lance dans la confection de cartes postales, celles qui tapissent la première salle de l'exposition. Les motifs de son art, tels l'effacement et le recouvrement, expriment déjà avec violence des questions d'identité. Né d'une mère Porto-ricaine et d'un père haïtien, Basquiat parle trois langues couramment - français, anglais et espagnol - et est très influencé par la culture africaine. C'est ce foisonnement de langues, de cultures, d'appartenances inconscientes qui insuffle un fourmillement vital à son œuvre dès le début :  "Je ne suis jamais allé en Afrique. Je suis un artiste qui a subi l'influence de son environnement new-yorkais. Mais je possède une mémoire culturelle. Je n'ai pas besoin de la chercher : elle existe." Sur ces petits formats de cartes de base-ball s'épanouit et s'affirme la puissance créatrice de Basquiat. Fasciné par Andy Warhol (1928-1987), sa conception de l'art et sa fameuse idée des "15 minutes de gloire" qui a porté tant d'artistes de cette génération comme Madonna, Keith Haring ou Francesco Clemente, Basquiat entre dans un café pour vendre ses créations cartonnées au père du pop art, attablé avec quelques amis. C'est le premier contact entre les deux artistes.

Il faut attendre l'exposition New York / New Wave (1981) pour que l'artiste troque SAMO pour Jean-Michel Basquiat comme nom d'artiste. De peintre assumé, précisément. Cette peinture, que certains qualifieront de primale au sens péjoratif de "primitive", séduit immédiatement les acheteurs, et toutes les oeuvres sont vendues. Un coup de pinceau étudié qui dessine des policemen, taxis, accidents de la circulation, buildings, boxers... jean-michel basquiat, basquiat, exposition, rétrospective, parcours, biographie, galerie, musée d`art moderne, mam, paris, peinture, dessin, dessins, peintures, couronne, crâne, overdose, new yorkjouant sur l'immédiateté du trait et l'influence de la rue. La collision entre deux voitures est un motif obsessionnel, réminiscence directe de l'enfance. A l'âge de huit ans, Basquiat se fait renverser alors qu'il joue dans la rue. Suite à une opération lourde, il subit une ablation de la rate. Sa mère lui offre le livre Gray's anatomy d'Henri Gray, qui influencera considérablement son travail. Chez Basquiat, l'être humain est figuré tant à l'extérieur qu'à l'intérieur par des filaments rouges qui représentent les vaisseaux, les artères, les organes. Il y a ce souci, presque mélancolique, de l'homme comme amas de chair, de sang et d'os voué à retourner à la terre. Témoins, les nombreux crânes qui, à la manière des Vanités, rappellent la course cruelle et inévitable du temps. S'il y a quelque chose de "primal" chez Basquiat, c'est cette vitalité grouillante qui explose sur la toile, cette urgence de vivre.

"SAMO© as an alternative to God."
Les tableaux se complexifient, les détails abondent et c'est tout un langage fait de signes récurrents qui émerge sur la toile. Tel un peintre fou, toujours en soif de création, il attaque au pinceau l'électroménager, des portes trouvées dans la rue, des volets qui côtoient, dans l'espace d'exposition, des peintures portant les stigmates de traces de chaussures. "Un réfrigérateur esquinté que Basquiat avait recouvert de dessins, de mots et de symboles, les lignes étaient en quelques sortes inscrites dans l'émail. C'est l'un des objets artistiques le plus étrange que j'aie jamais vu", dira le critique Jeffrey Dietch lors de sa première visite dans l'appartement de Basquiat. Jean-Michel Basquiat s'inspire de tout. Il travaille le téléviseur allumé, lit beaucoup, se forge une large culture, pioche dans sa mémoire des références picturales acquises durant l'enfance comme Pablo Picasso (1881-1973) - dont le Guernica l'avait éblouit - ou Léonard de Vinci (1452-1519) et ses inventions folles. Il absorbe les détails et flux de son époque pour les retranscrire dans une explosion de matières qui se chevauchent dans ses tableaux.

"SAMO© saves idiots." 

En 1981, la galeriste Annina Nosei lui propose de s'installer dans le sous-sol de la galerie et lui donne de l'argent pour qu'il achète des toiles grand format. C'est alors qu'il explore le contact à ce support, abandonnant les matériaux urbains. Le motif de la couronne, "Kings, heroes and the street" comme il est inscrit sur un mur de l'exposition, persiste, tandis que d'autres éléments plus New Yorkais s'estompent. Dans cet éclatement des couleurs et ce foisonnement organisé, des thèmes s'imposent : les mythologies vaudou (Haïti, son père) et biblique (Porto Rico, sa mère), la bande dessinée, la publicité, la musique bebop, sa vénération pour Charlie Parker et les athlètes noirs. Avec son art du montage, Basquiat empreinte au langage cinématographique. Il ajoute, efface, accole des symboles qui prennent sens par leur juxtaposition. Une sorte d'effet Koulechov : les images ne peuvent être interprétées que dans jean-michel basquiat, basquiat, exposition, rétrospective, parcours, biographie, galerie, musée d`art moderne, mam, paris, peinture, dessin, dessins, peintures, couronne, crâne, overdose, new yorkleur succession, et non indépendamment les unes des autres. Traces de pas sur le papier, utilisation improbable du stylo bille avec du pastel gras et recours à différentes formes d'expressions artistiques... Jean-Michel Basquiat, par ces collages et associations en tous genres, relève le juste phénomène naissant de son époque : le zapping. Il passe d'une chaîne à l'autre pour trouver l'inspiration et créer. Ses toiles reflètent le flux de plus en plus rapide des informations, sous les formes les plus diverses et qu'il devient difficile de hiérarchiser.  "Avec le temps, son oeuvre a pris de plus en plus de force et d'importance. Le temps l'a solidifiée", souligne Marie-Sophie Carron de la Carrière, commissaire de l'exposition au MAM. 

"SAMO© as an end to mindwash religion, nowhere politics, and bogus philosophy."
Jean-Michel Basquiat se rapproche d'Andy Warhol et intègre peu à peu son monde, délaissant ses amis de la première heure. L'excentrique artiste blond, profondément séduit par Basquiat, le prend sous son aile. Une grande amitié lie les deux hommes dans une admiration mutuelle, qui va jusqu'au quatre-mains. Entre 1984 et 1985, ils co-réalisent des toiles pour une exposition à Zurich et New-York. Warhol commence les oeuvres et Basquiat poursuit, dans une logique d'effacement et recouvrement. Ainsi, sur un fond argent, par référence au goût de Warhol pour le métal blanc, Basquiat peint un célèbre portrait de ce dernier en forme de banane Brown Spots (Portrait of Andy Warhol as a Banana). Le jeune artiste espère la reconnaissance internationale tant attendue. La presse l'assassine. Les critiques accusent Warhol de se servir de son jeune ami pour revenir sur le devant de la scène. Déjà légèrement paranoïaque suite aux abus de nombreux proches et parasites qui lui volent des objets pour les revendre, Basquiat s'éloigne de son mentor. Entre la mort de Warhol en 1987 et la sienne, un an après, les toiles se font de plus en plus sombres.

"Man dies" : l'expression se répète à l'infini sur ses travaux, en écho au leitmotiv lugubre des pattes de corbeaux. Comme une prophétie, Basquiat peint également Riding with death (1988), qui ne fait pas partie des toiles exposées au MAM : un tableau où il se se représente chevauchant le squelette de la mort. Isolé, déçu par les siens et épuisé par une vie qu'il a vécu plus intensément que de raison, Jean-Michel Basquiat meurt d'une overdose le 12 août 1988. Cette drogue qui revient sur ses toiles sous la notation "Ideal" ("dealer") et qu'il prenait pour peindre toujours plus. Toujours plus vite, toujours plus fort.
 
Florence Rochat
Le 08/12/10
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Basquiat
, jusqu'au 30 janvier 2011

Musée d 'Art moderne de la ville de Paris
11, avenue du Président Wilson
75016 Paris
mar-dim : 10h - 18h
Tarif plein : 11 €
Tarif réduit : 8 € / 5,5 €
Rens. : 01 53 67 40 00

Jean-Michel Basquiat : The Radiant Child,
documentaire de Tamra Davis

Sortie le 13 octobre 2010
Durée : 1h28











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Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil & photos 1, 2, 4 & 6 : Jean-Michel Basquiat, The Radiant Child © Pretty Pictures