L`Intermède
De deux visages, l'un
Après un séjour au MOMA de New York d'avril à septembre, la collection des toiles et esquisses du peintre belge James Ensor (1860-1949) s'installe au musée d'Orsay, à Paris, jusqu'en février 2010. L'occasion de faire (re)découvrir le parcours chaotique de ce peintre du XIXe siècle.


Le "peintre des masques" qu'est James Ensor naît à Ostende, sur la côte belge, en 1860. L'anecdote veut que l'artiste précurseur de l'Expressionnisme, a pour mère une vendeuse de souvenirs et notamment de masques, qu’elle vend aux touristes huppés de sa petite ville. Ces masques effrayent certainement l‘enfant dans l‘arrière-boutique.  Devenu adulte, ce "peintre des masques" remet probablement à plat les visages des vivants qui l'ont marqué dans ses jeunes années.

Avant cela, à 17 ans, le jeune homme plie bagage, emporte quelques pinceaux, prend son courage à deux mains et part dessiner à l'Ecole des Beaux Arts de Bruxelles. L'artiste en herbe s'y fait un camarade de talent, le futur peintre Fernand Khnopff, mais aussi un caractère. Ensor se trouve en fait très vite indigné par le style académique de l’Ecole des Beaux Arts qui l’instruit. Aveuglé par sa "boîte à myopes", le surnom qu’il lui trouve, Ensor jette inopinément ses toiles, abandonne le style académique et retourne créer seul à Ostende sous la lucarne de sa mère.

En 1883, son ami Khnopff le rappelle et le convainc de poursuivre avec Octave Maus, lui et vingt autres, son projet de "chef d'oeuvre". James, dont l'orgueil est charitable, se laisse flatter et revient finalement s’installer à Bruxelles pour signer le manifeste des "XX". La Belgique, stipulent ceux que l’on appellera plus tard "les Vingtistes", est un jeune Etat sans culture dont il est temps de décréter l’indépendance artistique. C’est à l’artiste que doivent revenir, conclut Ensor, les pleins pouvoirs légitimes. Dans le texte : "Maintenant on crie sur tous les toits : soustraction de Flandre, addition de France, division de Belgique, devise grenouillère gravée au creux des vases de vos bébés et cafetières de vos aimées [...] Flamands et Wallons, Mésopotamiens, oubliez vos querelles de langues et tel le suisse à langue tiercée, vivez en paix, ronflez en cadence, bouffez vos cornichons, salez vos lauriers."

Une série d'exposition avec les Vingtistes au Palais des Beaux- Arts de Bruxelles s'engage alors pour Ensor. L'homme y affirme son art, précoce et génial, fait sécession provisoire avec la demeure maternelle et rejoint un temps l‘élan national. Ensor n'est plus l'enfant silencieux, caricaturant les vacanciers d'Ostende, mais un jeune peintre, désormais capable de fasciner un Palais des Beaux-Arts et de représenter la Belgique.

Le 2 février 1884, il dévoile ses prodigieux Masques, sa Dame en détresse et son Lampiste. Sa caricature carnavalesque de la société belge épuise alors tous les styles - de l'impressionnisme au symbolisme en passant par l'imitation des grands maîtres Jérôme Bosch, Bruegel l'Ancien ou Goya. Ensor aiguise ses pinceaux et démasque le surfait national, le toc de Léopold II et le faux d'un peuple qui n'en est pas un. Mais il n'intéresse pas simplement les Belges et la toile sans unité de sa nation. Ensor nous interroge tous. Le "peintre des masques" dérange, avec ces grimaces d'êtres qui nous dévisagent et nous figurent défigurés. Identique à tous, le masque d'Ensor nous rappelle notre identité imparfaite de semblables, notre angoisse de ne jamais pouvoir ressembler parfaitement à personne.

Cinq ans plus tard, les Vingtistes décident de mettre fin à leur manifeste esthétique. 1889 correspond également à l'époque où James Ensor se fait exclure du cercle pour une Entrée du Christ à Bruxelles jugée trop polémique. Grand bien lui fait. Le peintre comprend ce rejet esthétique comme la preuve d'un talent caustique qu'il retourne aiguiser chez sa mère. Le siècle suivant lui rend grâce, couronnant l'ensemble de son oeuvre, picturale et littéraire. Et c’est ainsi que le talent du "peintre des masques" se fait démasquer, et applaudir.

Camille Legrand
Le 23/10/09
 
James Ensor, jusqu'au 4 février 2010
Musée d'Orsay
1, rue de la légion d'honneur
75007 PARIS
Tlj sauf lundi : 9h30-18h
Nocturne le jeudi (21h45)
Tarif plein : 9 euros
Tarif réduit : 7 euros
Moins de 26 ans : gratuit


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