
qu'Helmut Newton, 83 ans, emplafonne sa Cadillac le 23 janvier 2004, mourant sur le coup. Cet hôtel de Hollywood, sur Sunset Boulevard, a été sa résidence pendant plusieurs années alors qu'il travaillait pour le Vogue US. Derrière lui, quarante ans l'objectif à la main, et sa femme, June Newton dite Alice Springs, photographe aujourd'hui à la tête de la Helmut Newton Foundation ; celle-la même qui travaille à la mémoire de l'artiste australien d'origine allemande avec le Museum für Photographie, à la lisière du quartier chic de Charlottenburg, Berlin-Ouest. Newton est mort quelques semaines après avoir rencontré Matthias Harder pour lui confier les clés du musée ; les deux hommes ne se sont rencontrés qu'une fois. Et, depuis 2004, Harder a été co-commissaire de la dizaine d'expositions accueillies dans l'enceinte du musée berlinois, toujours avec la complicité artistique de l'ancienne épouse du photographe défunt.
trouver ses marques, mouvoir ses bras nus, écarter les jambes, laisser ses tétons refroidir sur le carrelage de la cuisine. Il prend le temps qu'il faut. Et quand elle trouve une pose qui l'intéresse, il l'interrompt, lui demande de ne plus bouger. En un quart d'heure, le "clic" de l'appareil ne résonne que deux fois. Newton n'est pas fait pour être reporter, ne cherche pas à saisir des instants ; il organise ses clichés comme des tableaux, en démiurge total dont le travail sur les contrastes, extrêmement marqués, est pensé dans le moindre reflet.
bord d'une terrasse, les amazones nues de Newton fixent l'objectif comme autant de créatures mi-femmes mi-monstres, prêtes à dévorer le premier venu. Sie kommen, célèbre série de cinq femmes nues, marchant vers l'objectif ou se tenant les jambes écartées, les talons enfoncés dans le sol (Vogue, Paris, 1981), se dresse ainsi en immense format dans l'escalier qui mène vers l'exposition. Le ton est donné.
prêtent à ses mises en scène inspirées par les films noirs et la "yellow press", ce journalisme friand de faits divers et crapoteux du début du siècle. Newton tient d'ailleurs le photographe de la nuit new-yorkaise Weegee (1899-1968) en maître, au même rang qu'un Brassaï (1899-1984) ou un Erich Salomon (1886-1944), qui capturent prostituées et malfrats nocturnes avec lyrisme. "Je travaille pour Match en ce moment, j'aime mieux ça que les magazines de mode, pour moi les magazines de mode ont perdu toute crédibilité, je préfère un journal de crimes et d'actualités", confie-t-il à Horvat. D'où ce célèbre cliché de Catherine Deneuve en héroïne de polar, menacée par un flingue, en rouge vif, publié dans Le Nouvel Obs (1983).
le château d'Arcangues, une certaine Roselyne à la robe noire fendue monte les escaliers sur la page de gauche et, sur celle de droite, garde la même pose mais a soulevé un peu plus haut la couture pour dévoiler ses fesses charnues (1975). A Paris, June Newton, à la fin du repas, allume une cigarette à table alors que son haut ouvert dévoile sa poitrine opulente (1972).
femmes, celles qui le fascinent, l'attirent, le touchent, porté par nul autre désir que celui de fonder une mythologie pétrie de corps gorgés de désir tout autant que de mort, de laisser s'exprimer les visions qu'il a eues lors de ce fameux coma de 1971, un "long rêve éveillé" comme le qualifie Matthias Harder : "Il y avait ces philosophes, ces penseurs, ces universitaires qui parlaient de son travail et tentaient de l'analyser… et Helmut Newton souriait, simplement."
