Tableau(x) hongrois
Il aura fallu trois ans de préparation pour exposer à Budapest, en ce mois de novembre, les "121 plus belles peintures hongroises", qui dressent un tableau de l'histoire de l'art hongrois entre le XIXe et le XXe siècle.
Ces 121 toiles sont accrochées dans la Galerie Judit Virág, rue Falk Miksa, siège réputé des antiquaires, des galeries d'art et des ventes aux enchères. Le flâneur ordinaire de cette rue est certes un esthète, mais aussi un client : le quartier n'est pas considéré comme le temple des contemplations esthétiques innocentes. D'ailleurs, la Galerie de Judit Virág détient les records dans l’histoire des ventes d’œuvres d’art en Hongrie. Dans ce milieu qui ne cache pas son caractère mercantile, le titre de l’exposition, aux accents tapageurs, pourrait ressembler à un énième coup de publicité bien pensé, visant à sortir de la crise qui n'a pas épargné le marché de l’art. Mais ces soupçons se voient vite balayés : l’événement se révèle, comme l'a baptisé la galeriste Judit Virág, une pure "exposition de réjouissance". Et la joie est à partager dans le cadre des programmes familiaux le dimanche et des ateliers pédagogiques organisés pour les écoles. Activité bien étonnante dans la rue Falk Miksa, mais d'autant plus sympathique...
Les pièces exposées, issues de dix collections publiques et des collections privées de trente particuliers, emplissent les trois salles de la galerie. Les tableaux occupent chaque espace, chaque coin, chaque petit blanc de mur, comme chez un collectionneur enthousiaste qui voudrait montrer tous ses trésors. L'ambiance est intime, légère. On croirait se promener dans l'appartement d'un amoureux fou de la peinture. C'est à la passion et à la volonté de Judit Virag que l'on doit la richesse de cette exposition. His
torienne d'art et experte de la peinture auprès des tribunaux, la galeriste a suivi son goût, sa sensibilité, et son admiration pour une époque artistique qui, de l’académisme à l’avant-garde, s'étend sur plus d'un siècle.
L’exposition vise à offrir un panorama (presque !) exhaustif de la peinture hongroise depuis la moitié du XIXe siècle. Ainsi, les plus grands peintres classiques de la tendance académique-réaliste comme Pál Szinyei-Merse, Károly Markó, Mihály Munkácsy, ou László Mednyánszky, côtoient les visionnaires-rêveurs expressionistes comme Lajos Gulácsy, et Tivadar Csontváry Kosztka. L’univers fin et chaud du post-impressioniste József Rippl-Rónai est juxtaposé aux champs géométriques de Dezső Korniss, et le fumeur d’opium de la peinture de Gulácsy contemple le Saint-Tropez mouvementé et chaotique de Tibor Csernus.
La grande diversité des oeuvres exposées ne s'offre pas avec facilité aux visiteurs. Mais plutôt que de chercher à tout prix un fil directeur, une méta-cohérence ou un message univoque, il vaut mieux feuilleter les catalogues discrètement déposés dans l’espace de l’exposition. En présentant les réflexions, poèmes, chansons des artistes et des personnages publics d’aujourd’hui, le catalogue, soigné, invite à dialoguer librement avec les œuvres une par une. La fine fleur de la peinture d’un siècle entre en écho avec la scène artistique contemporaine. Le lien se tisse, ouvert et libre, comme on aimerait que ce soit plus souvent le cas.
Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil : Endre Bálint, Triptichon I-III, 1973-1974
Photo 1 Judit Virag galerie, par Gordon Eszter
Photo 2 Béla Uitz, Lutte, 1922
Photo 3 Judit Virag galerie, par Gordon Eszter
