L`Intermède
Festival de Deauville : Take shelter, de Jeff Nichols, remporte le Grand Prix.

SAMEDI 10 SEPTEMBRE, Olivier Assayas et son jury ont remis le Grand Prix du Festival du cinéma américain de Deauville 2011 au nouveau film de Jeff Nichols, Take Shelter. Cette histoire d'un père de famille qui voit sa vie basculer quand il commence à avoir des cauchemars récurrents d'une tempête à venir avait déjà remporté le Grand Prix de la Semaine de la Critique, au dernier Festival de Cannes. Une descente aux enfers aux frontières de la folie, sur les écrans français le 4 janvier.

Par Claire Cornillon


LE BRUIT DU VENT souffle dans la salle alors que le titre du film - qui signifie "se mettre à l'abri" -, se détache sur l'écran noir comme un mauvais présage. Un ouragan approche, une pluie jaune tombe du ciel vitreux. Ce n'est pas la première fois que Curtis Laforche (Michael Shannon) fait ce rêve d'une tempête qui se lève et rend les gens violents. Sur le quotidien plane cette ombre grandissante et oppressante, alors que les nuages s'amoncellent à l'horizon. Et peu à peu, le cauchemar de la nuit envahit le jour, se faisant hallucination, comme une contamination. Il ne reste à Curtis qu'une seule solution : se barricader, dans sa logique, dans sa vie, et finalement dans son abri anti-atomique qu'il veut à tout prix agrandir et aménager. Lui qui croit devenir fou poursuit pourtant sans faille son objectif, comme poussé par une force inéluctable.


Menace et paranoïa

LES RÊVES ne sont pas que des manifestations psychiques : lorsqu'il se réveille, Curtis en ressent toujours les douleurs. Il n'est ni un cérébral ni un bavard, et tout le jeu de l'acteur Michael Shannon a été d'inscrire ce que le personnage vit dans son corps. "Jeff ne veut jamais, du moins dans les films que j'ai fait avec lui, que les personnages disent ce qu'ils ont en tête, souligne l'acteur, venu défendre le film à Deauville. Donc ils s'expriment physiquement." Ici, tout passe par le regard et par cette incarnation de l'angoisse à même la chair. Sa chair à lui, celle d'un homme banal qui s'enlise dans une paranoïa extraordinaire. Mais aussi celle de sa famille : sa mère, devenue schizophrène à l'âge de 30 ans, et sa fille, qu'il cherche avant tout à protéger. Mais la protéger de quoi ? Car ce qui se dessine, progressivement, c'est une transfiguration morbide du quotidien. Michael Shannon, dont la récente paternité a, dit-il, joué dans le fait qu'il accepte de tourner dans Take shelter, estime qu'au coeur du film se trouve la question de la responsabilité parentale, et la peur de ne pas réussir à protéger ses enfants du monde alentour. Nul besoin d'une catastrophe naturelle ou d'un take shelter, take, shelter, jeff nichols, jeff, nichols, michael, shannon, michael shannon, film, cinéma, festival, deauville, canne, grand prix, semaine de la critique, critique, analyse, interviewévénement extraordinaire pour trouver la mort, il suffit finalement de traverser la route au mauvais moment. C'est bien ce que les cauchemars et hallucinations de Curtis mettent en scène : cette angoisse du quotidien qui peut tuer sa fille, dont tous les éléments sont hostiles en puissance. Le chien affectueux se transforme en bête féroce, le meilleur ami en assassin. 

À LA PROFONDEUR DES PLANS LARGES qui s'ouvrent sur de grands espaces s'oppose la logique d'enfermement de Curtis. L'homme apprécié de ses collègues, mari et père aimant, s'isole chaque jour  un peu plus, devenu une énigme. Ce sont les troubles qui font démarrer le film, qui lui impulsent sa marche. Comme s'il n'y avait rien avant et que tout était joué d'avance. Et pourtant, rien de prévisible ne se produit. Cet homme au passé douloureux dont la mère a sombré dans une schizophrénie paranoïaque, dont la fille souffre de surdité et dont le père est mort un an plus tôt, pourrait en effet connaître des troubles mentaux. Il craint précisément de reconnaître les symptômes de sa mère dans ces crises d'angoisse qui l'empêchent de respirer. "Il y avait toujours cette panique qui me saisissait", lui explique-t-elle. Mais est-ce bien de cela dont il s'agit ? Ces rêves, ces visions, ne seraient-elles pas d'une autre nature ? Des questions qui se posent tout autant à sa femme (Jessica Chastain, récompensée par le prix Nouvel Hollywood au festival) : peut-elle avoir confiance en son mari ou ne serait-ce pas là alimenter sa psychose ? Est-elle finalement à l'abri avec cet homme ou deviendrait-il lui-même un danger pour elle et sa fille ? Comme les deux faces d'une même pièce, les deux réalités sont possibles.



Incertitude

LE MYSTÈRE DEMEURE. Take take shelter, take, shelter, jeff nichols, jeff, nichols, michael, shannon, michael shannon, film, cinéma, festival, deauville, canne, grand prix, semaine de la critique, critique, analyse, interviewshelter n'est pas une simple allégorie, ni seulement une métaphore du devenir parent ou de l'enlisement paranoïaque de la société des médias. C'est tout cela et aussi quelque chose d'autre, d'indéfinissable. La force du film de Jeff Nichols naît précisément de son indécision continuelle qui emporte telle une tornade sans laisser le temps de se poser sur un sol stable.  "Je n'ai jamais envisagé le rôle simplement en considérant que Curtis était fou, précise Michael Shannon. Il y a tout un spectre de possibilités." Et à cette indécision répond l'incertitude poétique du genre. De fait, les incursions, à travers les scènes de cauchemars, du côté du thriller voire du fantastique déstabilisent. L'oeil ne sait plus à quoi se fier. Les frontières entre le rêve et la réalité se dissolvent et l'esthétique du film devient à mesure indéfinissable, comme si finalement tout pouvait apparaître à l'écran au plan suivant. La peur naît de la confrontation directe avec le danger mais l'angoisse est suscitée par ce possible derrière la porte fermée, cet inconnu qui est peut-être menaçant, cette incertitude qui s'infiltre insidieusement à l'intérieur.

"TOUT COMME DANS SHOTGUN STORIES [son premier film], ce film joue sur la notion de genre, explique Jeff Nichols. Take Shelter revisite le genre du thriller. Je voulais combiner des éléments de ce genre dans un drame, en mélangeant des moments typiques du genre à une narration plus calme." Michael Shannon se rappelle que sur le tournage, cette dimension de thriller, d'horreur était absente : "Il est intéressant de voir comment cela s'est rajouté par la suite, en post-take shelter, take, shelter, jeff nichols, jeff, nichols, michael, shannon, michael shannon, film, cinéma, festival, deauville, canne, grand prix, semaine de la critique, critique, analyse, interviewproduction", explique-t-il. Et il est vrai que ses flashs relèvent presque parfois du film de zombie, ou du film catastrophe, à la fois dans leur contenu et dans leur couleur. Comme si, précisément, le film de genre devenait un soubassement possible du film réaliste.

C. C.
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à Deauville, le 11/09/2011


Take Shelter, thriller de Jeff Nichols
Avec Michael Shannon, Jessica Chastain, Tova Stewart...
1h56
Sortie le 4 janvier 2012
 
Dossier spécial : Deauville 2011


 



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