L`Intermède
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PEREIRA. Une petite ville de la zone cafetière colombienne, où il fait toujours chaud, très chaud. Une touffeur qui fait rechercher avec avidité chaque patio planté d'arbres, et rend précieuse l'ombre climatisée des chambres d'hôtel. Les participants au forum de cinéma se sont réunis dans une ancienne maison coloniale, transformée en café à la mode. L'ambiance est joyeuse, la plupart des journalistes, critiques, et réalisateurs se connaissent depuis des années – on parle fort, on rit. Au milieu de cette tablée, seul un homme se détache par son silence. C'est Marcos Loayza.

Par Edith Girval


MARCOS LOAYZA, réalisateur bolivien qui vit à La Paz, a été formé à l'école de San Antonio de Cuba. Il est l'auteur de plusieurs long-métrages primés, parmi lesquels Cuestión de fé, qui a notamment reçu le prix spécial du jury au festival de Biarritz. Il devrait être la star de ce festival. Et pourtant, il maîtrise si bien l'art de fuir les journalistes qu'il s'en tirera (presque) sans avoir eu à donner d'interview. S'il ne parle pas beaucoup, Marcos Loayza regarde. Intensément, avec une curiosité étrange, comme sur le qui-vive. Il écoute, observe, et, parfois, alors qu'il a l'air si discret, part dans un grand éclat de rire, un rire d'une franchise déroutante.


Sensibilités

Marco Loayza, réalisateur, bolivien, portrait, cuestion de fe, las bellas durmientes, cinema, festival de pereiraIL EST UN HOMME
de peu de mots, de peu de gestes. Il y a en lui un calme tranquille, qui semble le pousser à économiser chaque parole, à éviter tout superflu, pour ne garder que ce qui est vraiment valable, vraiment sincère. En tout, il pratique cette frugalité réfléchie, ce dépouillement volontaire – dans ses amours de cinéma comme dans ses amitiés humaines : "Quand on commence à faire du cinéma, explique-t-il, on est plus enclin à se choisir des "maîtres", des réalisateurs, des gens à imiter, mais les années passent, et le temps passe, et après avoir vu beaucoup de films, on n'en retient que quelques uns, quelques livres et quelques disques aussi, qui ont cette capacité à revenir nous émouvoir sans cesse. Qui nous procurent à chaque fois le même plaisir et la même surprise qu'au premier jour. Ce n'est pas que certains artistes soient plus mauvais que d'autres, mais seulement que certaines sensibilités sont plus proches des nôtres. Et au bout du compte, on se retrouve avec seulement quelques poétiques qui nous touchent, pas plus. Comme les amis. "

QUAND ON LUI DEMANDE qui sont ses réalisateurs fétiches, Marcos Loayza esquive – et la question semble presque vulgaire à qui l'a posée. Il finit par avouer à demi-mot une fascination pour les grands débuts et les glorieuses fins. Il aime les premiers films de Pedro Almodovar, de Martin Scorsese ou de Bernardo Bertolucci, parce que ce sont des périodes où ces artistes "ont tout leur élan, et que ces premiers travaux, pleins d'imperfections, préfigurent tout le reste de leur œuvre". À l'opposé, il affectionne aussi nombre d'oeuvres crépusculaires - les derniers films de Manuel de Oliveira, ou de Clint Eastwood, "qui parviennent dans la maturité, comme Goya, à produire un art libéré des préjugés, et qui (dans le bon sens du terme) font ce qui leur plaît. C'est ce que j’appelle, ajoute-t-il, la lucidité tardive, sans doute la meilleure manière de vieillir."

Marco Loayza, réalisateur, bolivien, portrait, cuestion de fe, las bellas durmientes, cinema, festival de pereiraON NE SAIT PAS TROP quel âge peut avoir Marcos Loayza. Il a encore le rire et le regard pétillant d'un gamin qui fait des bêtises. Un peu comme le personnage principal de son long métrage Cuestión de fé (1995) : Domingo, un sculpteur de statuettes religieuses qui s'embarque dans un étrange road-trip, une gigantesque vierge amarrée à sa camionnette, a lui aussi, malgré les ans et l’embonpoint, un air de mauvais garçon qui se fait gronder. Il a grandi en Bolivie, "un pays marqué par la pauvreté et une certaine tranquillité, mais qui garde l’espoir malgré tant de coups reçus. Grandir dans ce pays donne une certaine frustration, explique-t-il, mais aussi beaucoup de force ; c'est très difficile, dans ces circonstances, de ne pas voir les ressorts de l'âme humaine, et c'est cela la matière de l'art."



Patience

C'EST PEUT-ÊTRE AUSSI CELA qui lui donne autant de patience. Il semble écrire ses scénarios "à l'envers" : au lieu d'engraisser une histoire un peu étique ou boiteuse, il préfère procéder par élimination. C'est d'un lent processus de sélection, de maturation, que naissent ses récits : "Cela me prend beaucoup de temps d'écrire, je mets beaucoup d'histoires à la poubelle ; puis je laisse mûrir celles qui restent, et le temps et la mémoire font leur travail de décantation sur chacune d'elles, en éliminant encore quelques-unes. J'ai plusieurs ébauches en même temps, et au bout d'un certain temps, j’en choisis une, et je me mets à y réfléchir sérieusement, j'y pense tous les jours, pendant beaucoup de jours d'affilée." Quelques mois plus tard, une fois le scénario écrit, et patiemment corrigé, le travail de dégraissage recommence : lui qui n'a jamais fait un film de plus de 90 minutes, "élimine beaucoup de choses" pendant cette phase de relecture finale, pour ne garder que l'essentiel – qui devra encore "reposer" avant dtre prêt à "prendre vie" au cours du tournage.

MAIS C'EST AUSSI LA PERSÉVÉRANCE pour faire des films malgré les difficultés financières. Sans infrastructure, ni subvention, dans un pays qui n'a pas les moyens de faire du cinéma une priorité, on ne devient pas réalisateur par appât du gain. C'est bien plutôt une lutte quotidienne : cela fait huit mois que Marcos Loayza cherche à rassembler les 10% de budget qui lui manquent pour terminer son dernier film, Las Bellas durmientes. On comprend dès lors qu’il veuille donner à voir des "histoires qui valent la peine d'être contées, parce que toutes les histoires ne méritent pas de faire cet énorme investissement en temps (plus d'une année) et en argent que nécessite un film."



Affinités

Marco Loayza, réalisateur, bolivien, portrait, cuestion de fe, las bellas durmientes, cinema, festival de pereiraLE TOURNAGE LUI-MÊME est comme un plaisir luxueux, que rien ne doit venir gâcher : il choisit avec soin chacun de ses collaborateurs, préférant toujours "les gens qui [lui] plaisent, et à qui [il] plaît" à ceux qui, même bourrés de talent, seraient par malheur dépourvus de qualités humaines. Tout est affaire d'affinités électives, jusqu'aux personnages de ses films : "Quand on écrit un scénario, explique-t-il avec un certain humour, on sait qu'on va être obligé de cohabiter un certain temps avec les personnages qu'on est en train de créer ; et si je dois avoir des gens à la maison, pendant des mois, j'aime autant que ce soit des gens agréables et sympathiques, et surtout empathiques, et non pas d'avoir comme invité un psychopathe, un tyran égocentrique, un proxénète ou une personne détestable. C'est pour cela que je préfère travailler avec des personnages plus attachants, plus proches, quotidiens." 

LE DERNIER JOUR DU FESTIVAL de Pereira, au moment des adieux, dans le petit fast-food à patacones d'un centre commercial moderne, où s'échangeaient à nouveau les rires, les mails, et les promesses de s'écrire, Marcos Loayza n'était pas là. Il avait disparu avec discrétion, avant que le rideau ne se relève pour saluer. On ne s'est pas dit au revoir, et c'était très bien ainsi.

E.G.

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à Pereira, le 28/01/2013

 




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Crédits photos : 
Vignette sur la page d'accueil : Marcos Loayza par Alejandro Loayza Grisi