L`Intermède
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Blabla, botox, burlesque
Quiconque a l'habitude de lire un dossier de presse accompagnant la sortie d'un long métrage s'est forgé une carapace contre les armes de promotion massives qui se déploient sans décence sur des pages et des pages de blabla insipide à base de "dès que j'ai lu le scénario, j'ai été conquis",
"l'équipe de tournage a été formidable et très chaleureuse, c'était comme une famille", "ce réalisateur est le fils spirituel de Kubrick, Truffaut et Kurosawa réunis" et autres "c'est certainement le plus beau rôle de ma carrière, Cannes, me voilà". Peu importe si c'est vrai, du moment qu'on vend du rêve par hectolitres, qu'on se brosse dans le sens des extensions capillaires, qu'est-ce qu'on est fort, qu'est-ce qu'on est beau, qu'est-ce qu'on s'aime, vous n'avez JA-MAIS vu ça. Le problème, c'est quand l'hypocrisie bascule dans la publicité mensongère, et qu'elle s'étale sur 99327 caractères - espaces non compris. La preuve par l'horreur avec le dossier de presse de Burlesque, de Steven Antin, qui sort ce 22 décembre sur les écrans français.

"Il faut une légende... pour révéler une star", prévient d'emblée l'affiche, alignant côte à côte les monstres - au sens propre ou figuré - Cher et Christina Aguilera, dont seules les lèvres sur-gonflées ont les faveurs de la couleur. C'est sûr, c'est plus classe. Et tant pis si ça fait ressortir les plis de graisse injectée dans les babines de l'actrice-chanteuse de 64 ans : les seules rides que celle qui confond son visage avec un bol de botox n'arrive pas à cacher, sous peine de tout faire gicler à la moindre bise claquée. Deux femmes qui sont pourtant "si simples et naturelles que c'en est surprenant", affirme, sans rire, la comédienne Kristen Bell. Au-delà des considérations esthétiques et des bonnes blagues, une question fondamentale : l'histoire parachutée de cette paysanne de l'Iowa qui veut devenir une star et débarque chez la vieille tenancière d'un cabaret surendetté d'Hollywood pour le sauver de la faillite serait-elle une légende ? Ce serait faire fi des centaines de croûtes - Showgirls, Coyote Ugly... - dont le réalisateur Steven Antin plagie allègrement les plus mauvaises idées en pensant qu'il réinvente la poudre à fossettes.

"C'est l'histoire d'un destin comme nous en rêvons tous, dans un univers fait de lumière, de paillettes, mais aussi de sentiments puissants qui font les vies ou les détruisent." Bonjour, portes enfoncées, clichés à gogo et poésie d'horoscopes. A l'image des dialogues du film, écrits à la truelle et qui donnent  à chaque séquence musicale l'apparence d'un appareil respiratoire sans lequel les poumons du spectateur seraient hors d'usage, saturés de l'hyperglycémie rose barbapapa qui transpire de chaque séquence sentimentale / réglement de compte / confidences entre deux âmes esseulées - faites votre choix -, le dossier de presse aime à aligner des vérités générales et insipides aussi précises et pertinentes que les conseils de Madame Soleil. 

"Les producteurs savaient que seule une mégastar pourrait donner son panache au film. Ils ont donc poursuivi Cher sans relâche jusqu'à ce que l'actrice oscarisée accepte de faire son retour au cinéma." STOOOP. Cher, mégastar ? Cher, panachée ? Ils avaient des acouphènes et une conjonctivite quand ils l'ont recrutée, ou bien ?

"Dotée d'une voix incomparable, d'un humour légendaire et d'une présence charismatique, Cher est une artiste fascinante et dynamique possédant un immense talent." Et chbam, ils récivident. Combien d'avocats Cher a-t-elle recruté pour mettre la pression à l'équipe ?

"Cher a dit : 'J'ai été riche et j'ai été pauvre. C'est mieux d'être riche.'" Visiblement, le virus des clichés a contaminé toute l'équipe du film. Et la neige, c'est froid. Et la guerre, c'est mal. Et il faut sauver les bébés phoques, hein, Brigitte Bardot.

"Je savais que Cher se sentirait proche de ce personnage et de cet univers. Elle incarne l'émancipation des femmes, et c'est de cela dont il est question dans Burlesque." Steven Antin a beau prétendre avoir potassé l'encyclopédie du burlesque, la dimension féministe et transgressive de ces shows à mi-chemin entre le striptease potache et la farce nés dans les années 1920 semble crouler sous les kilos de fond de teint de ses actrices. Dans une lumière veloutée, sous un ciel plus coloré qu'un clip de Lady GaGa sponsorisé par Chupa chups et à travers des vitres et miroirs écaillés pour l'aspect "vintage", tout est fait pour rendre l'image floue et les silhouettes sculpturales des danseuses aussi charnelles qu'une tranche de pain azyme. Si Mathieu Amalric, avec Tournée, embrassait à bras le corps la chair de ses danseuses qui semblaient avoir vécu dix vies, les pantins du Burlesque Lounge brillent plus par la diversité de leurs porte-jartelles en dentelles, éventails en plumes d'autruche, bustiers en satin et perles et talons demesurés que par un quelconque mélange de charme coquin et de l'art de montrer juste ce qu'il faut, c'est-à-dire un peu plus que pas assez mais un peu moins que trop. Sur l'excellente bande originale du film, les chorégraphies se muent en pirouettes hystériques où chaque mouvement s'accompagne d'un déboîtement de la hanche et d'un torticolis à force de faire tournoyer les tignasses, alors que les clins d'oeil putassiers rivalisent avec les moues excessives. Le tout saupoudré d'un montage-clip où chaque plan n'excède les 0,33 secondes, au cas où l'on se rendrait compte que les danseuses sont aussi impliquées qu'une otarie est passionnée par Généalogie de la morale de Nietzsche. En même temps, de la part du réalisateur des clips des Pussycat Dolls et des Girlicious, également producteur exécutif du télé-crochet The Pussycat Dolls Present : The Search For The Next Doll, on n'attendait pas du Marilyn Monroe. 

"Sean [Stanley Tucci] est le bras droit de Tess [Cher], son confident, son ancien amant et son meilleur ami." Tout être humain ayant vu d'un côté Stanley Tucci et de l'autre Cher sait au plus profond de son être que jamais, ô grand jamais, aucune interaction de l'ordre du sexuel entre les deux ne pourrait advenir. Passe encore le fait qu'une jeune fille n'ayant jamais rien fait de sa vie se retrouve avec la voix d'ogresse de Christina Aguilera - qui aurait été nettement plus inspirée de naître noire avec cinquante kilos en plus pour être prise au sérieux, malheureusement -, qu'elle se retrouve en colocation avec le plus beau garçon de l'univers pendant six mois sans qu'il se passe quoi que ce soit ou encore que Cher, découvrant l'organe généreux de sa protégée, décide de créer tout un spectacle en vingt-quatre heures. Mais soyons sérieux deux minutes, il y a des limites à la crédibilité.

"Trois des actrices principales étant blondes, nous avons décidé de leur donner des apparences radicalement différentes afin qu'elles puissent se démarquer les unes des autres durant leurs scènes communes. Julianne Hough est ainsi devenue rousse tandis que Kristen Bell devenait brune, Martin Samuel s'étant en partie inspiré de ses recherches sur les artistes de spectacles burlesques d'autrefois." On ne doute pas qu'il a fallu des heures et des heures dans la bibliothèque de la Columbia University pour comprendre que les cheveux blonds, ça n'est pas tout à fait la même chose que des tifs bruns ou roux... mais de là à penser que, mon dieu, trois blondes dans la même séquence, il faudrait quand même pas que le spectateur s'y perde... Belle conception de l'émancipation de la femme, hein, Cher.

"Martin Samuel : 'Ce qu'il y a de merveilleux dans le fait de créer des coiffures de différentes époques, c'est la nostalgie. Les gens voient des choses qui font naître des émotions en eux et évoquent des souvenirs de leur passé.'" Il en tient une sacrée couche, dites donc, ce Martin.

"Habiller les acteurs de Burlesque a représenté une somme de travail considérable pour le chef costumier Michael Kaplan, qui a notamment collaboré à Blade Runner, Flashdance, Fight Club et Star Trek." C'est ce qu'on appelle une reconversion réussie. Bravo, Michael. Mais de la part de quelqu'un qui affirme sans broncher que Christina Aguilera "a vraiment très bon goût" - oui, cette Christina Aguilera-là - rien ne nous étonne plus. 

"La lumière pourrait être vue comme un personnage dans ce film." Ou comment ce qui se voulait être un compliment résume ironiquement la vacuité abyssale du scénario qui ne devrait pas vendre plus que ce qu'il n'a à offrir : certes plombé par des dialogues de telenovela et une impression générale de vulgarité vaguement périmée et racoleuse, Burlesque est un divertissement-pop corn honnête, avec des scènes de danse dynamiques, une partition soignée et une Christina Aguilera et une Cher en divas comme on les aime : insupportables.
 
Johan Delors
Le 21/12/10
 


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  Burlesque
, comédie musicale américaine de Steven Antin
  Avec Christina Aguilera, Cher, Stanley Tucci...
  Sortie le 22 décembre 2010
  1h56

 














Bande-annonce du film



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Crédits photos : Sony Pictures