L`Intermède
L'art et la manière de faire des films : le making-of

Il y a deux catégories de personnes : celles qui ne veulent surtout pas connaître les astuces des magiciens, et celles que la découverte des rouages du numéro émerveillent encore plus. Les amateurs de making-of se rangent clairement dans la seconde catégorie. Avec le DVD, la pratique du bonus s’est développée de manière exponentielle et les making-of, qui existaient bien sûr déjà, trouvent là une place de choix à côté de l’œuvre dont ils présentent la naissance. Nous parlons ici de véritables documentaires sur la genèse du film, qui donnent à voir la construction des décors, l’élaboration des costumes, le tournage, l’enregistrement de la musique, et non pas les featurettes d’interview des acteurs racontant l’intrigue, qui font parfois office, malheureusement, de making-of. Ces documentaires sont une manière d’apercevoir, même de façon fugitive, le fascinant processus de création collective qu’est un film, et ceux qui travaillent dans l’ombre et que l’on ne voit presque jamais : directeur de la photographie, assistant réalisateur, etc.

retour du roi Peter Jackson Making-ofDans le genre, le plus grand exemple à ce jour est sans conteste le making-of de la trilogie The Lord of the Rings, dans son édition collector 12 DVD. Cyclopéen : l’adjectif fétiche de Lovecraft semble peut-être le seul approprié pour décrire cette aventure d’une œuvre. Peter Jackson, le réalisateur, est ce que l’on appelle un "fan", et les éditions collectors de ses films - on pense aussi à celle de King Kong - correspondent à l’évidence à ce que lui attendrait pour ses films préférés. Chaque volet de la trilogie est ici accompagné d’une abondance extraordinaire de documents qui en dévoilent la création sous toutes les coutures. Un monument du cinéma, à l'image de l’œuvre elle-même. 

Le making-of de The Lord of The Rings est une manière de réenchanter la vie, de croire que tout est possible : des centaines de personnes qui travaillent pendant des années avec une telle minutie, une telle passion... on ne peut qu’être saisi par l’ampleur du projet et par le résultat qui se dessine lentement sous nos yeux. Le lieu de tournage est un site protégé ? Qu’à cela ne tienne, les mottes d’herbe enlevées pour les besoins de la construction des décors seront conservées dans des serres et réinstallées à la fin du tournage pour remettre les lieux dans l’exact état où ils avaient été trouvés. Des scènes de bataille épiques et impossibles doivent être tournées ? Il suffit de concevoir un logiciel révolutionnaire capable de générer des foules virtuelles où chaque individu a une action autonome. Et l’on pourrait continuer ainsi, sur des pages et des pages. En outre, on assiste tout au long de ces heures de documentaire à une aventure humaine sans pareille. Ainsi, les adieux des acteurs à la fin du tournage du troisième épisode sont tout aussi émouvants que ceux des personnages à la fin du Retour du Roi Abyss James Cameron making-of

Mais il y a d’autres making-of, moins riches et moins détaillés bien sûr, qui sont également précieux, comme celui de The Abyss de James Cameron, documentaire d’une heure disponible dans l’édition prestige du film. En effet, il faut être fou pour se lancer sur un projet comme The Abyss, et surtout pour le mener à bien. Le making-of est là encore une odyssée aussi palpitante que le film lui-même. On se demande par quel miracle le long métrage a pu être terminé, et comment les acteurs et l’équipe technique ont réussi à survivre à ce tournage. Il est facile d’imaginer les difficultés techniques et les problèmes de sécurité conséquents qu’engendrent toutes les prises de vue sous-marines : le film a en effet été tourné dans un immense réacteur de centrale nucléaire inachevé reconverti en bassin, dans lequel ont été construits les décors. Cameron voit grand, et va jusqu’au bout. La suite de l'histoire lui donne raison : un immense classique du cinéma de science-fiction est né de cette ardeur. Le charme du making-of tient aussi à cela : une aventure que l’on sait valoir le coup d’être suivie parce que l’on connaît l’œuvre dont elle est issue. Tout se finira bien. Le film existe.

Lost in la mancha making-ofSauf que parfois, tout ne se passe pas exactement comme prévu. C’est pourquoi, l’on ne peut pas ne pas citer l'exemple de Lost in la Mancha, de Keith Fulton et Louis Pepe (2002), documentaire étonnant s’il en est, making-of d’un film qui n’a pu se faire, récit tragique d’une série de catastrophes qui finissent par noyer le projet. Ce film-là est fascinant, mais laisse un goût amer précisément car on imagine quel chef d’œuvre aurait pu être cette adaptation du roman de Cervantes par Terry Gilliam, l’un des réalisateurs les plus talentueux et originaux de sa génération.

Car le making-of, aussi extraordinaire soit-il, n’a de sens qu’en lien avec l’œuvre qu’il présente et ne peut bien entendu s’y substituer. Il en est pourtant son complément incroyable. Il sublime le film en lui donnant la profondeur de ses coulisses.

Claire Cornillon
Le 06/08/09

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Légendes et Crédits photographiques:

1       
Le Retour du Roi (Affiche), Metropolitan Filmexport.

2       
Abyss, Fox.

3       
Terry Gilliam et Jean Rochefort, Haut et Court, photo de François Duhamel.