Eu égard à l’importance du format court dans l’innovation et la création, l’AFCA décerne depuis 1977 un prix dédié aux courts-métrages d’innovation, le Prix Emile-Reynaud. Un titre qui tend à affirmer l’indépendance de l’animation à l’égard de la prise de vues réelles : Emile Reynaud est connu pour avoir donné vie, avant même le cinématographe des frères Lumière, à des « pantomimes lumineuses » grâce à son « théâtre optique », qui projetait sur écran des dessins donnant l’illusion du mouvement. La sélection 2023 des courts-métrages concourant à ce prix prestigieux fut à l’image de cet éminent ancêtre. Différentes techniques participent ainsi à l’exploration de thèmes communs, comme la nostalgie et l’enfance, le deuil et la quête de soi. La nostalgie et l’enfance (sinon l’adolescence) sont au cœur de La Grande Arche, Via Dolorosa, Eté 96, La Saison pourpre et Prends chair. Pour donner vie au premier, Camille Authouart s’est adonnée durant un an à un safari dessiné dans les méandres du « quartier impopulaire » de la Défense. Lié dans l’imaginaire collectif à ces grandes dalles de béton et hauts gratte-ciels renfermant les sièges sociaux de grandes, voire très grandes entreprises, ce quartier est également l’endroit où la grand-mère de la réalisatrice, en 1959, a élu domicile. Ayant, grâce à son aïeule, appris à aimer cet endroit, elle y guide le spectateur en lui livrant une forme de journal crayonné, qui suit les allées et venues des cadres qui hantent les buildings, mais aussi l’immobilité des SDF que plus personne ne voit.
L’animation de Camille Authouart repose en effet en grande partie sur une opposition entre des décors mobiles et des personnages fixes. Elle nous dit ainsi l’ambiguïté de ce quartier qui abriterait le plus grand musée à ciel ouvert d’Europe (les crayons de couleur de la dessinatrice s’arrêtent sur des œuvres de Mirò ou de Calder), mais aussi des va-et-vient de personnes qui se croisent sans se côtoyer, ignorant les œuvres d’art qui les entourent. Les choix chromatiques de l’artiste, qui font la part belle aux couleurs acidulées, témoignent de sa tendresse pour cette fourmilière humaine.
C’est toutefois la technique de La Saison pourpre, de Clémence Bouchereau, qui mérite une attention particulière. Cette histoire de petites filles qui, livrées à elles-mêmes dans la mangrove, découvrent progressivement l’adolescence, nous est racontée en noir et blanc grâce à une technique encore peu utilisée, mais qui revient au goût du jour : l’écran d’épingles. Il n’existe que quelques exemplaires au monde de cet imposant outil constitué d’un écran formé de petits tubes transparents comprenant des épingles. En jouant sur l’ombre portée de ces dernières, les artistes créent avec cet écran des images en noir et blanc au rendu légèrement tremblé. Le CNC possède l’un de ces écrans d’épingle, surnommé l’Epinette, conçu par Alexandre Alexeïeff et Claire Parker pour créer Le Nez, inspiré de Gogol, en 1963. C’est sur cet écran que Clémence Bouchereau a animé La Saison pourpre.
Le travail de la réalisatrice est frappant dans sa précision comme dans son travail du visible et de l’invisible. Qu’un bout de bras paraisse, et le spectateur imagine le reste du corps qui s’anime. Ce jeu de suggestion apparaît également dans la bande son de Pierre Sauze, qui nous fait entendre le cri des oies que les enfants chassent, mais aussi les rires et les orages. L’importance du hors-champ témoigne d’une véritable foi dans la capacité du public à mettre en branle sa propre imagination.
Le thème de la quête de soi apparaît quant à lui dans Un genre de testament de Stephen Vuillemin et lauréat du Prix Emile-Reynaud. Une jeune femme y découvre sur internet une animation de dessins inspirés de photographies qu’elle avait postées sur les réseaux sociaux. Elle cherche alors à découvrir ce qui est à l’origine de ce film pirate. Il s’avère que la voleuse est son exacte homonyme et vient de mourir d’un cancer. La narratrice (l’histoire est racontée par une voix off) s’identifie alors à cet étrange double et se met à ressentir elle-même, à l’arrière de son crâne, des douleurs inexpliquées.
La réussite du film repose essentiellement sur l’humour du récit et le hiatus entre ce qui est dit et ce qui est vu. L’histoire de cette quête est en effet accompagnée d’un squelette tantôt inquiétant, tantôt malicieux, tandis que des insectes rendent les fleurs tout aussi menaçantes. Le dessin et les couleurs franches, mais sombres, participent de cet univers où le fantastique affleure sur la pointe des pieds, laissant au spectateur le choix – ou non – d’y adhérer.
Ainsi, par une sélection variée et innovante, le Prix Emile-Reynaud nous invite donc à explorer les dernières productions du cinéma d’animation, afin d’offrir à petits et grands les potentiels artistiques de ce genre qui, quoi qu’on puisse en penser au premier abord, ne peut être restreint à un divertissement de l’enfance.
Julia Wahl,
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le 12 novembre 2023
Le prix Emile-Reynaud,
22ème Fête du cinéma d'animation,
Automne 2023 Sélectionnés au Prix Emile Reynaud La Grande Arche, Camille Authouart, 12 min. Prends chair, Armin Assadipour, 17 min. Maurice's bar, Tom Prezman, Tzor Edery, 15 min. Eté 96, Mathilde Bédouet, 12 min. La Saison pourpre, Clémence Bouchereau, 9 min. Un Genre de testament, Stephen Vuillemin, 16 min. Via Dolorosa, Rachel Gutgarts, 10 min 30.