L`Intermède
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L'Oeil du Loup,
D'après le roman de Daniel Pennac,
Scénarisé et mis en dessin par Mathieu Sapin,
En librairie le 19 octobre 2023.


En deux mots

Au début des années 80, Daniel Pennac est enseignant. Il longe tous les matins avec son cartable de prof les grilles de la Ménagerie du Jardin des Plantes. Dans l’enclos qui donne sur la rue, il voit deux loups. Mais un matin, il n’y en a plus qu’un seul, qui fait des allers-retours. Le soir, Pennac observe la même scène. Intrigué il y retourne la nuit, et constate que le loup marche toujours, incessamment, de long en large. Interrogeant les gardiens, il apprend alors que la louve est morte et que depuis, le canidé tourne en rond et se refuse à manger. L’histoire de cet animal en deuil sera le prélude à L’Œil du loup, célèbre roman publié chez Nathan en 1984, qui rencontra très vite un grand succès – notamment auprès de jeunes lecteurs – et fut écoulé à un million d’exemplaires.
 
L’Œil du Loup retrace l’histoire d’une rencontre entre un loup, Loup Bleu, et un garçon, Afrique, au zoo : le garçon observe de l’autre côté de l’enclos cet animal borgne qui erre dans sa cage. Loup est décontenancé, de plus en plus étonné, mais ne s’ouvre pas à l’Homme, qu’il méprise et redoute. Le garçon est tenace et, scrutant sans répit l’animal, réussit à obtenir son regard, et inspirer sa confiance. Regard par lequel chacun va accéder à l’histoire de l’autre et contempler la projection de sa vie. Le dessin de Mathieu Sapin restitue fidèlement le procédé cinématographique du fondu enchaîné utilisé par Pennac : la pupille du loup se transforme et devient Flamme Noire, sa mère. Les taches de couleurs de l’iris deviennent des louveteaux, et le lecteur est transporté dans les Barren Land en Alaska, à l’époque de l’enfance de Loup Bleu. De la même manière, au chapitre 3, le loup va avoir accès à l’enfance du jeune garçon : deux enfances, deux drames parallèles, d’égale intensité, qui s’illuminent réciproquement.

Les thèmes abordés par le roman en 1984 et que l’on retrouve très fidèlement dans la bande dessinée sont encore très actuels : le rapport que les hommes établissent avec le vivant – domination des animaux, exploitation de la nature –, la nécessité de fuir pour survivre dans un autre environnement, l’exil et le déracinement, l’écologie – le rétrécissement de l’habitat des animaux sauvages, la destruction des forêts primaires… – mais aussi l’altruiste et l’écoute, le rôle de l’amitié sur le destin des personnages. Mathieu Sapin fait le choix, tout comme Pennac, de traiter ces sujets tragiques sans tomber dans le misérabilisme, attaché au ton de l’auteur avec un « dessin rond qui correspond à cet équilibre » (Mathieu Sapin), en traitant les choses graves avec un trait léger.

Si Mathieu Sapin a déjà adapté des œuvres littéraires – Les Malheurs de Sophie de la Comtesse de Ségur ou encore Une fantaisie du docteur Ox d’après Jules Verne –, c’est la première fois qu’il travaille à partir du texte d’un auteur vivant. Naturellement, une collaboration se met en place, et les échanges entre les deux hommes permettent de nourrir la narration visuelle. En effet, l’attitude physique de Toa le Marchand est par exemple liée à la manière dont Pennac le mimait. Quant à la représentation du loup, le défi était de le personnifier, de lui attribuer des attitudes humaines et de le rendre reconnaissable entre plusieurs loups, sans pour autant en faire un personnage Disney.

Le travail sur l’écriture, lui, a été facilité par la brièveté du roman, permettant une adaptation exhaustive. Mathieu Sapin souhaitait en effet reprendre les mots, l’exact découpage de Pennac – notamment les quatre chapitres avec la trame narrative – et ne pas proposer de réécriture, mais plutôt servir le texte. Mais si, dans la bande dessinée, on utilise souvent les paroles rapportées directement dans les bulles, comment adapter un récit où les personnages n’échangent que par le regard ? Mathieu Sapin utilise par conséquent beaucoup les bulles de pensées et les cartouches où un narrateur omniscient, rapporteur de ce qui se passe entre l’enfant et l’animal, intervient. L’histoire se déroule donc à la lumière de ces deux regards, délicatement mise en image, où l’on assiste à la construction d’une amitié par l’échange, par une invitation à revenir au monde, et à rouvrir les yeux.

 

Émilie Combes 
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le 7 octobre 2023

 
L'Oeil du Loup,
D'après le roman de Daniel Pennac,
Scénarisé et mis en dessin par Mathieu Sapin,
Mis en couleur par Clémence Sapin, 
Editions Nathan
En librairie le 19 octobre 2023
80 pages
19,90 €


 
Crédits photos © Mathieu Sapin / Nathan.



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