L`Intermède
Le choix de la rédaction de L`Intermède
 
Ukraine Fire,
Dakh Daughters,
Festival International des Arts de Bordeaux métropole
Scène Nationale Carré-Colonnes



En deux mots
 
Pour sa 7ème édition, Le FAB – Festival international des Arts de Bordeaux métropole –, qui défend les écritures contemporaines sous toutes leurs formes et fait la part belle aux démarches hybrides et inclassables, a invité sur la Scène Nationale Carré-Colonnes les Dakh Daughters. Ce groupe de musique ukrainien est constitué de quinze artistes – comédiennes, chanteuses et musiciennes – issues du théâtre de Dakh à Kiev. Si la formation du groupe remonte à 2013, c’est en 2014 qu’elles commencent à acquérir une renommée nationale puis internationale en chantant sur les barricades de la place Maïdan lors de la révolution « Euromaïdan ». Depuis le 24 février 2022, leur spectacle Freak Cabaret, qui a connu un immense succès en France lors de leurs précédentes tournées – 2016 et 2017 –, a été renommé Ukraine Fire. Aujourd’hui en exil, elles brûlent les planches des théâtres européens, prêtant leurs voix à la souffrance du peuple ukrainien dans un spectacle à l’esthétique punk, aux tonalités rock et aux racines folkloriques, qui s’engage pour la paix.
 
C’est de bout en bout du concert que les Dakh Daughters s’inscrivent dans une démarche engagée, où « l’art doit dire la vérité » (Entretien pour la « Sourdoreille »). Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le spectacle commence par la projection d’un montage-vidéos du conflit actuel qui s’achève sur les pleurs d’un enfant errant sur la route – si le montage-vidéos cherche, malgré tout, à restituer une narration chorale, l’image par laquelle celui-ci se termine  semble plutôt vouloir subjectiver l’expérience de la catastrophe évoquée. Puis dans le noir complet, une voix se fait entendre, narrant le récit – en ukrainien surtitré – d’une femme ayant fui avec ses deux enfants. La voix s’étrangle, se brise régulièrement. Une faible lueur éclaire soudain la scène, avant que les musiciennes et chanteuses, jusqu’alors immobiles, se lèvent et demandent solennellement une minute de silence pour les souffrances du peuple ukrainien. C’est alors qu’elles entonnent leur première chanson, « Euromaidan », qui retrace la révolution à laquelle elles ont participé. La tonalité politique du concert est perceptible jusqu’à son terme, avec la projection de slogans tels que « Arm Ukraine now » et « Ensemble nous devons sauver l’Ukraine » qui permettent aux Dakh Daughters de dénoncer le conflit mais surtout d’illustrer le combat d’un peuple en lui donnant les accents d’une épopée moderne.
 
L’esthétique punk des Dakh Daughters se reconnait à la manière dont elles mêlent tous les genres musicaux, assumant l’apparent chaos qui se dégage de cet ensemble et flirtant avec la dissonance. Tout est propice au détournement, notamment lorsque les archers sont dégainés comme des épées de guerre. Leurs costumes de poupées de porcelaine gothiques et leurs visages peints en blanc aux joues rouges et aux longs cils noirs participent de cet étonnant mélange de références allant du théâtre No aux groupes rock ou punk en passant par Pierrot de la lune et les masques du théâtre antique. Cette importance du costume est typique des groupes punks des années 80-90, et le choix des tutus, des porte-jarretelles noirs, des collants blancs effilées ou déchirés, s’inscrit dans ce mouvement. A la fois poupées fragiles et inquiétantes, les Dakh Daugthers revendiquent une démarche artistique populaire et humoristique, mêlant grotesque et sublime afin de clamer haut et fort leur désir de paix et de vérité.
 
A travers leur musique et leurs chants, ce sont les notions d’héritage et d’identité qui se trouvent questionnées, convoquant tout autant des textes classiques – comme le 35e sonnet de Shakespeare – que des chants folkloriques ukrainiens. Ces poèmes ou récits chantés, scandés, rappés, interrogent toujours la lutte universelle et intemporelle de l’Homme pour la défense de sa liberté et de ses appartenances. Ainsi, les Dakh Daughters parviennent à élaborer une poésie de la colère au rythme des tambours de guerre, des sanglots des violons et de l’espérance forcenée de « l’Ukraine en feu ».
 
“No more be grieved at that which thou hast done: – Donbass!
Roses have thorns, and silver fountains mud: – Donbass!”
Dakh Daughters, Rozy/ Donbass, reprise du 35e sonnet de Shakespeare
 

Marie Le Bec
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le 11 octobre 2022
 
Ukraine Fire,
Dakh Daughters,
Festival International des Arts de Bordeaux métropole
Scène Nationale Carré-Colonnes
 
 
Plus d’infos sur le groupe ici
 
 
Crédits photos © Pierre Planchenault



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