
Le 17 avril 1996, alors que des activistes de ce mouvement, qui milite depuis les années 1980 pour le droit des paysans non propriétaires à disposer de terres cultivables, bloquent une route fédérale, la police militaire intervient pour les déloger et exécute dix-neuf manifestants. Parmi eux, Milo Rau identifie Oziel, un jeune homme, Polynice moderne, meneur sacrifié d’une rébellion contre l’ordre établi. Pour Frederico Araujo, il était plus complexe d’incarner ce jeune homme, de l’honorer, de le faire revivre, que de jouer Antigone.
Antigone – Kay Sara – au côté d’un chœur composé de survivants du massacre contre le mouvement MST, devient alors une allégorie de la lutte pour la justice sociale et écologique, une résistante qui refuse de se plier à un ordre injuste, qu’il soit militaire, politique ou économique.
«?Il est des choses monstrueuses, mais rien n’est plus monstrueux que l’humain ». Ainsi commence par exemple la pièce, après le prologue – et la présentation, peut-être un peu trop narrative, du projet de création – avec à l’écran le chœur qui entonne son chant, tel une diatribe contre les protagonistes sur scène. Si l’on peut regretter que certaines vidéos soient un peu redondantes avec ce que jouent les comédiens, on comprend cependant que ces projections viennent prolonger la terre qui jonche la scène, reliant le spectateur de manière immersive, presque sensorielle, à la terre amazonienne. Ces scènes, si elles dévoilent les réalités brutales du monde moderne, restent fidèles à la force symbolique du mythe, notamment lors de la mise en scène de Tirésias, dont le corps se prolonge de manière spectrale grâce à la projection vidéo dans la fumée qui envahit la scène.
La vidéo agit alors comme une extension de l’espace scénique, un miroir de la réalité actuelle qui ne se contente pas seulement d’illustrer l’action sur scène mais en devient un prolongement, une amplification. Là où la pièce se déroule dans l’espace clos du théâtre, la vidéo ouvre une fenêtre vers le monde extérieur. Elle donne un poids supplémentaire aux luttes incarnées par les personnages sur scène. Cela transforme le théâtre en un acte de témoignage et de résistance, faisant en sorte que les luttes des peuples indigènes deviennent indissociables du récit théâtral.
