
Julius décrit à Olaf une jeune femme – Marie Steuber – qui passe dans la rue. À peine ont-ils déploré sa tenue et sa "pâleur de petit écran" que celle-ci fait irruption dans leur salon. Arrivent ensuite des personnages dont on ne sait s’ils ont à voir où non avec le reste de la dramaturgie : l’Homme qui a perdu sa montre, l’Impatiente, le Chauffeur de taxi, la Femme qui sommeille, l’Homme au manteau d’hiver et le Parfait Inconnu. La seconde partie, c’est le temps. Composée de huit courtes scènes, elle retrace sans aucune chronologie le parcours de Marie dans des lieux clos – chambre, appartement, bureau –, et relate ses désirs de tendresse, ses angoisses, ses histoires avortées et finalement, l’impossibilité de la rencontre. Dans un décor qui à certains égards évoque les toiles d’Edward Hopper, espace et temps sont à la fois présentés dans un entremêlement hermétique et magnifiquement réunifiés par Alain Françon.
Et d’un coup, ce lieu de calme, ce lieu d’observation, où trônent simplement deux fauteuils, une table basse et la colonne, se transforme en un lieu d’agitation, où les gens entrent, sortent, se rencontrent, se séparent, sans que rien, en apparence, ne les relie, hormis l’intériorité de l’espace.
Les séquences retracent son histoire de femme, complexe, discontinue, sans pour autant proposer de "collage postmoderniste" comme on peut en trouver dans de nombreuses pièces contemporaines. Le spectateur doit alors faire un effort de reconstitution de la narration et surtout du sens, au milieu de cette discontinuité. Si Strauss déconstruit les logiques et les habitudes narratives, il y a dans sa dramaturgie, une verticalité qui ouvre un horizon de sens. "La chambre", ce serait ce lieu aléatoire, dominé par la présence d’une colonne mystérieuse, qui rappelle un temps antique, un théâtre classique. Elle serait aujourd’hui le refuge d’êtres en errance, qui se croisent, se manquent, se séparent, et dont Julius et Olaf, points fixes dans leurs gros et confortables fauteuils en cuirs, seraient les gardiens. "Le temps", ce serait celui de l’histoire en bribes de Marie, réelle ou fantasmée. Et Marie, ce serait "la" femme, toutes les femmes, à la fois fascinante et monstrueuse, à l’instar de Médée, ou au contraire merveilleuse et gardienne d’une clé de compréhension du monde, à l’instar d'Alice. Mais c’est aussi une femme qui s’égare, tout autant qu’elle se retrouve.
