L`Intermède

Prima donna, l'opéra jusqu'à en perdre la voix
Le premier opéra composé par Rufus Wainwright se joue pour cinq représentations exceptionnelles au Palace Theater, à Manchester. Les deux dernières ont lieu ce soir et dimanche.

Le dernier album studio en date de Rufus Wainwright, Release the stars, ressemble à la bande-originale d'une comédie musicale dont il ne resterait que les partitions et les voix. Celles des choeurs abondants, bien sûr, mais surtout la sienne, légèrement pincée, naviguant entre les octaves, tenant les notes en vibrato jusqu'à ce qu'un léger soupir marque la fin d'une phrase. La voix de Wainwright porte déjà des traces de lyrique dans sa tessiture. C'est pourquoi on ne s'étonne pas qu'avec une belle réputation sur scène (concerts extra-larges, chorales invitées, lives édités en masse...), l'Americain ait ecrit et composé un opéra, Prima donna. Comble de notre excitation : bien que joué en Angleterre, le spectacle est en francais.

 Comme le titre l'indique, ce premier drame en deux actes a pour sujet l'opéra lui-même. Régine Saint Laurent, jadis grande cantatrice, vit recluse dans son appartement parisien. Depuis six ans, sa voix l'a quittée : alors qu'elle prêtait son chant au personnage d'Alienor d'Aquitaine, elle a perdu son instrument. Aujourd'hui, Madame Saint Laurent erre entre nuits agitées, angoisses et solitude. Que s'est-il passé pour que sa voix disparaisse ? Entourée de cinq personnages, dont deux silencieux, la "prima donna" va rejouer la nuit fatidique où sa vie a basculé.

Au milieu des décors baroques d'Antony McDonald, dont le kitsch révèle, au détour d'un jeu de lumière, des beautés qu'on ne soupçonnait pas, le jeu de couleurs flamboyantes est épatant. L'appartement de la chanteuse est à Bastille, et la journée est celle du 14 juillet, alors que les feux d'artifices sont en préparation. C'est bien une pyrotechnie bariolée que nous livrent Peter Mumford, chargé de la lumière, et le metteur en scène, Daniel Kramer, réputé pour ses comédies musicales. Que l'on adhère ou non aux parti-pris visuels, on ne peut que saluer le souci de créer à chaque instant des compositions picturales qui animent la scène, avec de réels instants de grâce.

Dans cet éclatant capharnaum de lueurs, Janis Kelly, chanteuse et comédienne anglaise particulièrement réputée dans son pays, offre au personnage principal sa splendide crinière rousse, symbole du tempérament de feu que l'on attend d'une première dame d'opéra. Bien que l'acoustique du Palace Theater ne donne pas toute l'ampleur nécessaire à sa voix, la soprane incarne avec distinction son rôle, vampirisant presque les autres comédiens sur scène, dont les personnages n'ont pas la même consistance. En outre, les chants de Jonathan Summers et William Joyner se distinguent difficilement, à plusieurs reprises, de la puissance acoustique de l'orchestre.

The Orchestra of Opera North, qui accompagne ici les voix, joue la partition mélodramatique sans grandiloquence. Wainwright nous a habitué à des morceaux riches, virevoltants, mais ici il cède à plus d'épure dans la melodie, même si celle-ci reste très travaillée. Le fait qu'il n y ait que quatre voix sur les planches a forcément une influence. Cependant, Prima donna, pendant ses deux heures de représentation, n'évite pas quelques essouflements. Sans doute les enjeux dramatiques, qui frôlent à plusieurs reprises le serrement de coeur sans pleinement l'atteindre - la scène où Madame Saint-Laurent tente à deux reprises le morceau qui marqua son aphasie, sans y arriver, constitue un sommet -, manquent-ils d'ampleur. Le recours à quelques scènes humoristiques n'est pas non plus heureux : il rend moins vibrant  le chemin de croix de la cantatrice pour recouvrer son chant.

Pointe aussi l'impression qu'à chaque instant, il nous est rappelé que nous sommes face à un opéra. Le meta-sujet, d'une part, mais aussi les personnages, archétypaux ; la scène, truffée de références au genre (Madame Butterfly, Le fantôme de l'opéra)... Tout cet appareil donne la sensation que Wainwright cherche à légitimer son travail. Chanteur de "variétés", il ne pourrait signer un opéra digne de ce nom. Le succès que le spectacle remporte à Manchester, et celui qu'il affichera probablement dès l'été 2010 au Canada, où il commencera une tournée, devraient le rassurer.

Bartholomé Girard, à Manchester
Le 17/07/09


Prima Donna
, au Palace Theater, Manchester
Écrit et composé par Rufus Wainwright
Mise en scène de Daniel Kramer
Avec Janis Kelly, Jonathan Summers, Rebecca Bottone, William Joyner...
Rens : 00448448472275

 

 








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Crédits photos : Clive Barda