L`Intermède
Le flux tendu
"C'est bien simple, mes dessins sont la clef de mon oeuvre, ma sculpture n'est que du dessin sous toutes les dimensions." Et pourtant, d'Auguste Rodin (1840-1917), aujourd'hui, c'est d'abord l'oeuvre sculptée qui est célébrée
. Ce à quoi veut remédier l'exposition Rodin, le plaisir infini du dessin au Musée Matisse du Cateau-Cambrésis. A l'initiative de Dominique Viéville, Directeur du musée Rodin à Paris, quelque soixante-six dessins ont été sélectionnés parmi les milliers que compte la collection de son musée, rappelant que la sensualité et l'érotisme des sculptures de Rodin se sont aussi couchées sur papier.

Si Nadine Lehni, Conservatrice du Musée Rodin, a conscience que la pratique dessinée de Rodin est "une partie restée très confidentielle de son oeuvre", pour le sculpteur, le dessin était davantage qu'un travail préparatoire : un véritable domaine de réflexion et une autre écriture, qu'il a découvert bien avant la sculpture, dès l'âge de 10 ans. En 1854, il suit un enseignement spécialisé en dessins et mathématiques pour, dès l'année suivante, dessiner avec justesse les détails du corps humain et animal. La sculpture attendra ses quinze printemps. Rodin prend alors pour premiers modèles ses proches ; surtout son père, Jean-Baptiste Rodin, qu'il modèle à la manière romaine avec un front haut, un regard fixe et des épaules façonnées selon une coupe franche. Alors qu'il poursuit son travail de sculpteur, en tant que décorateur et ornementaliste d'abord, Auguste Rodin produit un grand nombre d'esquisses qu'il découpe ensuite pour les assembler dans auguste rodin, rodin, dessin, dessins, exposition, musée matisse, matisse, Cateau-Cambrésis, fabrice deparpe, musée rodin, aquarelle, aquarelles, biographie, parcours, érotisme, nu, nus, danse, dansesdes albums factices. Il étudie par des croquis l'architecture gothique et classique, notamment celle des cathédrales qu'il visite à partir de 1877 dans le centre de la France. Mais il délaisse plume et pinceaux quand la sculpture ne lui en laisse plus le temps. Jamais Rodin n'arrivera à concilier les deux pratiques, au point qu'il n'a pu produire la majeure partie de ses oeuvres dessinées que lorsqu'il a cessé de sculpter, au tournant du XXe siècle.

Car à partir de 1896, les commandes de sculpture diminuant, Rodin s'adonne pleinement au dessin, encadré ou non, parfois laissé à même le sol de son atelier. "C'est une période au cours de laquelle le sculpteur confère au dessin, comme forme d'expression, un caractère spécifique et indépendant de sa sculpture", indique Dominique Viéville*.  Et comme le rappelle Dominique Szymusiak : "Rodin a beaucoup marqué la pratique du dessin chez Matisse." Tous deux recréent la femme et la danseuse qu'ils représentent, à partir de la littérature et de la poésie. Mais les deux hommes n'ont pas la même approche : quand Matisse concentre sa plume sur l'espace où apparaît le modèle, Rodin cherche l'éternité du temps qui dure dans le mouvement de la chair. Ses estampes atténuent les traits et ses esquisses fixent la marche infinie du corps. "Dans la réalité, le temps ne s'arrête pas", écrit-il dans L'Art en 1911, cherchant à créer dans la durée pour reproduire le geste. La série de sculptures intitulée Mouvements de danse a ainsi son équivalent sur papier. Car c'est bien la danse qui fait le lien entre son oeuvre sculptée et sa recherche dessinée. Là où Matisse s'intéresse aux Ballets Russes, Rodin est passionné par une Loïe Fuller ou une Isadora Duncan qui, au début des années 1900, se contorsionnent et libèrent leur gestuelle. Une attention à l'effort physique que l'on retrouve plus tard dans son intérêt pour les ondulations des corps menus, souples, précis et parés de bijoux des danseuses Cambodgiennes.

Les dessins n'étouffent pas le corps en le capturant dans la feuille et l'encadré, mais le maintiennent en vie dans sa respiration. Les croquis sont accompagnés de neuf sculptures des Mouvements de danse, ainsi que de celle - centrale - de Nijinski, qu'il dessinera aussi. "L'art n'est en soi qu'une volupté sexuelle, ce n'est qu'un dérivatif à la puissance d'aimer", écrit l'artiste dans ses carnets. Les modèles qu'il dessine sont donc toujours féminins, toujours nus, et les relations qu'il entretient autant avec ces femmes que leurs contours sur papier sont charnelles et intenses. Il conserve ainsi certains de ces dessins dans des boîtes étiquetées "musée secret" ou "collection privée". Les lignes ne sont pas assurées, l'intimité féminine est à peine visible mais expressive et voluptueuse. Les femmes saisies dans leur nudité trônent aussi au coeur de scènes saphiques : leurs corps se touchent, se superposent, se tordent les uns sur les autres mais sans violence, sans que la main de l'artiste ne les malmène. Il les capte plutôt, les restitue dans leur spontanéité, avec des lignes légères et superposées. Le nu est en effet décontextualisé, saisi comme en soi, aérien et dynamique. La plume, le pinceau ou le doigt de l'artiste ne plaquent pas le corps dansant mais le jettent sur le papier, le touchent en caressant la page et invitent le regard à en suivre les courbes et les cachettes. Les positions ainsi signifiées ne sont que suggérées, hors de toute anecdote et dans l'anonymat.

Selon Patrice Deparpe, Conservateur adjoint du Musée auguste rodin, rodin, dessin, dessins, exposition, musée matisse, matisse, Cateau-Cambrésis, fabrice deparpe, musée rodin, aquarelle, aquarelles, biographie, parcours, érotisme, nu, nus, danse, dansesMatisse, "Rodin refuse de figer le corps en mouvement, tout comme son imagination créatrice". La photographie, nouveau médium qu'il découvre avec curiosité, l'artiste l'utilise comme une trace, certes, mais aussi pour poursuivre sa création avec un autre langage. Il découvre que la gouache est utilisée pour retoucher la photographie et isoler un sujet à reproduire. Il s'empare alors du procédé pour créer une nouvelle image de ses sculptures : il redessine à l'encre et au crayon par-dessus les photographies de ses sculptures, par exemple. Simplement pour voir ce que cela pourrait donner, car il ne corrige pas ensuite ses oeuvres sculptées. Il crée comme il dessine, à flux tendu, ne cessant de reprendre et corriger ses créations, parfois des années après, en inversant l'angle et l'ordre.
 
Ce faisant, Rodin se fait l'inventeur du premier jet, technique révolutionnaire dans l'histoire du dessin par laquelle il regarde le modèle déambuler devant lui, dans un mouvement naturel qui ne répond qu'aux impulsions du corps et non aux ordres de l'artiste. L'excitation du corps animé passe dans le regard pour descendre jusqu'à la main qui dessine frénétiquement sur le papier. Il demande à ses modèles de ressentir, de penser, de danser, mais ne leur indique aucun mouvement simulé et factice. Les dessins de cette dernière période sont l'exacte antithèse de ses sculptures fermes, précises, massives faites à partir de poses décidées qui ont fait sa gloire. La seule ligne fixe qu'il garde de son travail sculpté, c'est la verticale depuis laquelle, comme Matisse, il pense les formes qu'il trace. "Je garde l'indispensable et supprime l'inutile." Ses modèles ne sont pas choisis pour leur beauté antique ou renaissante mais pour la perfection de leur corps féminin qu'il dessine d'après nature, sans pudeur superficielle et dans l'harmonie de leur évolution. Quand une attitude l'intéresse, il fait garder cette "pose essentiellement instable" au modèle, selon le mot de Clément Janin**, et dessine alors mais à l'aveugle, en ne fixant que la femme qui se tient devant lui.

Rodin conserve le plus souvent le premier jet intact, l'isole ensuite par transparence sur une autre feuille pour le retravailler. Il amorce alors la première phase de sa correction dans un véritable raffinement de sa plume, de sa mine de plomb ou de son pinceau. Il repasse, appuie, souligne, efface, emmêle ses traits. L'apparence de flou souligne en fait les contours et élargit le corps. Dans une seconde phase de correction, la couleur apparaît, mais pour mieux amplifier le mouvement. Il ne fait pas des aplats de couleurs pour emprisonner le corps dans une toile peinte. Il donne au contraire de la couleur au contenu, étoffe et épaissit, déborde les contours, floute et souligne ce que le regard voit d'abord - la chevelure, la toison, le tissu... La couleur ne cache pas mais dévoile. Ses corrections ne rendent pas plus net, mais plus vivant. La couleur intervient ainsi seulement à partir des années 1900 et par un rapide balayage de lavis qui vient conférer une irréalité au corps esquissé. Comme toujours, Rodin ne colore pas méthodiquement, mais par dégoulinades, auréoles, touches. Après 1910, il abandonne le pinceau et, dans une troisième phase de correction, c'est avec son doigt qu'il brosse et entoure d'une estompe de gris ses traits. Le corps s'auréole d'un halo sombre qui en fait comme une présence fantomatique, fantasmagorique et fantasmée. Parfois, il découpe ses dessins et les colle ailleurs, allant jusqu'à les renverser. Comme si, à la pesanteur du bronze qui coule, avait succédé une liberté totale dans le mouvement sur le papier.

 
Hélène Deaucourt, au Cateau-Cambrésis
Le 13/04/11

Rodin, le plaisir infini du dessin. Dessins, aquarelles et sculptures
, jusqu'au 13 juin 2011
Musée Départemental Matisse
Palais Fénelon
59360 Le Cateau-Cambrésis,
Tlj (sf mar) 10h - 18h
Tarif plein : 5 €
Tarif réduit : 3 €
Rens. : 03 27 84 64 50

* Préface du catalogue de l'exposition
** "Les Maîtres-Artistes", 15 octobre 1903, Rodin, La Fabrique du Portrait, Skira Flammarion


D'autres articles de la Rubrique Pages

Livre : Ce qu`aimer veut dire de Mathieu Lindon aux éditions P.O.L. Le feuilleton en ligne `Les Autres Gens` fête son premier anniversaire en sortant une version imprimée de la BD aux éditions Dupuis. Rencontre avec son créateur, Thomas Cadène.

Crédits et légendes images
Image 1 Deux femmes nues, l’une assis et, l’autre allongée Crayon au graphite, estompe et aquarelle sur papier 24,8 x 32,4 cm. Inv.D.5729 © ADAGP, Paris 2011
Image 2 Femme nue debout auprès de deux serpents Crayon au graphite, estompe, aquarelle et gouache sur papier, 49,1 x 31,5 cm. Inv. D.4563 © ADAGP, Paris 2011