L`Intermède
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Jusqu'au 1er août, en plein cœur du Marais, la Galerie des bibliothèques - ville de Paris s'attache à retracer la naissance et le rayonnement d'un mythe, celui d'un jeune poète prodige qui traversa la société et la littérature de son temps avec la fulgurance d'une étoile filante : Arthur Rimbaud (1854-1891). "A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles", "On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans", "JE est un autre" : autant de phrases telles des maximes qui peuplent la mémoire collective, faisant de leur auteur un symbole de liberté, de contestation dans une société trop conformiste ou de rêve d'exotisme. Le très riche parcours mis en place par Claude Jeancolas au musée parisien, avec plus de trois cent cinquante documents, œuvres et objets, exceptionnels pour les uns, originaux pour les autres, rend compte de la présence désormais intemporelle d'un artiste iconique à la carrière poétique aussi géniale qu'éphémère.

Le mythe naît, déjà, de quelques objets : dans une petite salle plongée dans la pénombre se dévoilent les manuscrits de l'écrivain, documents particulièrement rares - Rimbaud n'avait pas l'habitude de conserver de copies des feuillets qu'il envoyait aux revues. Sur ces feuilles délicates jaunies par le temps court l'écriture déliée du jeune poète : "Voyelles" ou "Enfance IV" et "V", extraits des Illuminations, mais aussi la fameuse "Lettre du Voyant" envoyée le 5 mai 1871 à Paul Demeny où l'adolescent expose fiévreusement sa théorie de la poésie. Peu de ratures ou de corrections dans ce texte qui révolutionna la littérature. Un peu plus loin, la fameuse photographie de Carjat, prise en 1871, qui participe tout autant à la genèse de la légende rimbaldienne. Et une couverture d'un numéro de Paris-Match de 1954, accrochée aux murs, rappelle la grande exposition organisée la même année à la BnF et qui marqua l'essor de la popularité de Rimbaud. Comme le souligne le commissaire de l'exposition, Claude Jeancolas, "jusqu'en 1954, Rimbaud est un sujet de passions et de débats dans les cercles cultivés, essentiellement littéraires. L'exposition du centenaire à la BnF fait que des revues grand-public comme Paris-Match publient de grands reportages, élargissant ainsi l'intérêt à toute la population".

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contemporain, icône, une saison en enfer, icône, paris De ces quelques papiers, de cette simple photographie surgit, tout d'abord, un grand nom de la poésie : en témoignent les diverses éditions critiques ou ouvrages d'analyses consacrés au poète, mais aussi les enregistrements sonores de différents artistes ou personnalités, de Léo Ferré à Barbara en passant par Bertrand Delanoé, tout comme les multiples éditions en langues étrangères présentées au cours de l'exposition. Sur les murs, des citations d'écrivains qui, malgré les divergences dans leur style, leur conception de la littérature et du monde, tels que Marcel Proust, Paul Claudel, Pierre Drieu la Rochelle ou Jean-Paul Sartre, communient tous dans la même ferveur devant le génie rimbaldien. Les nombreuses couvertures de presse, qu'il s'agisse de revues spécialisées ou populaires, sont autant de preuves du rayonnement de l'icône Rimbaud, capable de susciter l'enthousiasme dans les cercles les plus fermés comme dans le grand public - il n'est qu'à voir l'intérêt qu'a déclenché, encore tout récemment, la découverte d'une photographie d'un Rimbaud adulte, dénichée dans une brocante.

Les multiples illustrations de ses recueils engagent, elles, davantage la réflexion sur l'influence du poète auprès d'autres artistes. Chacune montre les multiples dialogues que l'oeuvre rimbaldienne a entretenus avec d'autres, qu'il s'agisse de la couverture de Fernand Léger pour Les Illuminations (Editions de Lausanne, 1949), où le rouge et le noir, tout comme un couteau et d'autres volumes en angles viennent souligner l'inquiétude et la violence qui peuvent naître d'un poème tel "Matinée d’ivresse", en particulier de sa dernière phrase, "Voici venu le temps des assassins", ou bien de l'illustration de Juan Mirò pour la "Lettre du Voyant" (lithographie, 1974), où les yeux rouges d'un être, mi-homme mi-animal, se détachent de la masse sombre du corps pour souligner l’intensité du regard capable de soulever le rideau des apparences. La fascination pour le jeune rimbaud, arthur rimbaud, rimbaudmania, exposition,
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art contemporain, icône, une saison en enfer, icône, paris poète se manifeste également dans les portraits réalisés, très souvent à partir de la photographie de Carjat, chacun selon le style de l'artiste, du Rimbaud au visage allongé d'Alberto Giacometti, hachuré par le crayon (eau-forte, 1962) à celui de Fernand Léger où se retrouvent les traits noirs et épais tout comme les aplats de couleurs vives chers au peintre. Le portrait du poète devient dès lors presque un autoportrait, chaque artiste s'identifiant à lui, comme un symbole sans cesse revivifié.

Le mythe se nourrit tout autant de l'œuvre, à la profondeur et à la maîtrise déconcertante pour un si jeune poète, que de la personne même de Rimbaud et les valeurs et les combats qu'il incarne, les énigmes et les silences de son existence. L'enfance d'un surdoué dans la grise Charleville, la fugue et l'errance durant la guerre de Sedan, la vie de bohème entre Paris, Londres et Bruxelles, en révolte contre une société trop conformiste, engagé dans une relation passionnée et tumultueuse avec Paul Verlaine (1844-1896) puis, avant vingt ans, l'abandon brusque de la poésie, l'enrôlement dans les troupes coloniales néerlandaises, le commerce en Abyssinie... Autant d'éléments propres à inspirer nombre d'artistes, tous supports confondus. Aussi, des musiciens comme Pattie Smith ou Michel Delpech, des cinéastes notamment Agniezka Holland - qui réalisa en 1995 Total Eclipse, centré avant tout sur la relation entre Verlaine et Rimbaud, interprété par Leonardo di Caprio -, des auteurs de bandes dessinées comme Hugo Pratt - avec Arthur Rimbaud, Lettere dall’Africa, 2002 - ou Christophe Dabitch et Benjamin Flao avec La ligne de fuite (2007), mais également des chorégraphes - Maurice Béjart, inspiré par Les Illuminations en 1979 - usent-ils d'Arthur Rimbaud, le poète et l'homme, comme une source de créations infinies.

Cette plasticité de l'icône Rimbaud peut même prendre dans les dernières décennies des illustrations inattendues, voire contradictoires : l'exposition présente en effet une série d'objets venus du monde entier, qu’il s'agisse du tapis "Il faut être résolument moderne", reprenant la photographie de Carjat, œuvre de rimbaud, arthur rimbaud,
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art contemporain, icône, une saison en enfer, icône, paris Jean-Charles de Castelbajac, mais aussi de pin's, badges et autres bijoux à l'effigie du poète ou bien reprenant ses vers les plus célèbres, de fèves ou d'assiettes, jusqu'au string "I love Rimbaud" et body pour bébé, avec la photographie de l'artiste sérigraphié. Un panneau rappelle que la ville natale du poète, Charleville, a su très vite tirer profit du commerce généré par la légende du prodige local de dix-sept ans, à travers toute une série de produits vendus aux touristes venus en pèlerinage, et souligne le paradoxe de ces objets, "supports bien souvent d'une critique contre une société uniformisatrice et consumériste, et pourtant eux-mêmes purs produits de ce système qu'ils dénoncent". Le mythe ne va pas sans exploitation commerciale, et l'icône engendrée par l'œuvre et la vie du poète aboutit finalement à renverser les idéaux prônés. La phrase de Jean Follain, datée de 1969, présente sur le mur des citations d'écrivains de l'exposition, résonne avec plus de netteté : "D'Arthur Rimbaud, j'aperçois avant tout un adolescent qui, sur les trottoirs d'un Paris ou Londres aux musiques grêles, aux cris perdus, va précipitamment, comme agacé par son génie." Des photographies de street-art montrent la silhouette stylisée du poète sur des façades de maisons. Rimbaud, l'homme aux semelles de vent, dessiné, imprimé, placardé à chaque coin de rue, apparaît créateur d'un mythe auquel il a sans cesse tenté d'échapper.
 
Claire Colin
Le 08/07/10

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Rimbaumania, L’éternité d’une icône, jusqu’au 1er août 2010
Galerie des Bibliothèques - Ville de Paris
22, rue Malher
75004 Paris
Tlj (sf lun) 13h - 19h
Nocturne jeudi (21h) 
Tarif plein :  4 €
Tarif réduit : 2 €


 









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Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil : Mugs "I love Rimbaud", CafePress (USA) Coll.particulière, DR. Cliché Youngtae
Photo 1 Pedrô! Plaissade Bd Raspail. Bois. 2009
Photo 2 Pin's au nom de Rimbaud-anonyme. MRMV, coll. Martin Baurtin, Charleville, coll. particulière. Cliché Youngtae
Photo 3 "My stars in the sky rustled softly", Jodi Bloom pour So Charmed (USA). Visuels Jodi Bloom pour So Charmed, coll. particulière, cliché Youngtae
Photo 4 Robe tee-shirt de Jean-Charles de Castelbajac coll. automne-hiver 2008-2009 - "Once upon a time". Photo Dominique Maître
Photo 5 Affiche de l'exposition