L`Intermède
Richard Prince, gentleman-collectionneur
"Je collectionne l'art des autres artistes" : voilà comment celui richard prince, prince, richard, exposition, collection, american prayer, bnf, portrait, biographie, oeuvre, marlboro, photographie, photo, nu, pornographie, verlaine, pop, beat, generation, warholqui a amassés plusieurs milliers de livres dans sa maison du Montana définit son travail, constituant l'une des plus importantes bibliothèques privées des Etats-Unis. Bibliophile du genre glouton, Richard Prince avale tout ce qui traîne, des manuscrits de Verlaine aux stars du porno californien en string noir. Il impose une érudition populaire, où les premières éditions du Neuromancien de William Gibson, fondateur mythique du cyberpunk, accèdent au statut d'incunables. La BnF, à Paris, lui consacre la première rétrospective sur le sol français avec l'exposition Richard Prince : American Prayer, jusqu'au 26 juin.

L'accrochage classique sur les murs gris de la BnF a cédé le pas à un paysage du grand Ouest. "Nous avons fait appel à David Alger pour dessiner une maison américaine du Montana, pour bien rappeler l'ancrage culturel du travail de Richard Prince, explique Marie Minssieux-Chamonard, co-commissaire de l'exposition. On a démonté les bardeaux d'une ferme du Montana pour les remonter sur une structure moderne." Sur les parois, une vingtaine de romans aux titres qui sentent bon l'humidité rance des quais de gare, accompagnée des gouaches originales peintes pour en illustrer la couverture. Des appariements originaux, qui trouvent leur valeur dans le geste artistique de Prince : celui d'un oeil qui se promène dans les marchés et les boutiques miteuses pour dénicher l'exemplaire suprême.

"Son art se trouve dans la démarche de trouver les oeuvres, de les sélectionner et de les acheter, résume la commissaire. C'est le geste pur du collectionneur." Le tout forme un répertoire exhaustif des cultures qui ont formé l'univers mental de Richard Prince. Un arbre généalogique, pour ainsi dire, mais dans lequel l'individualité s'efface au profit de l'accumulation : l'homme devient cette culture, ces oeuvres, ces écrits. Autour de la maison stylisée se déroule un road-movie temporel où se télescopent les sous-cultures nourries au lait acide du Nouveau monde : Woodstock, les beatniks, les bikers... "Sept stations qui sont les sept moments de l'Amérique", pour reprendre l'expression de Marie Minssieux-Chamonart.  Et pour l'ambiance, plusieurs richard prince, prince, richard, exposition, collection, american prayer, bnf, portrait, biographie, oeuvre, marlboro, photographie, photo, nu, pornographie, verlaine, pop, beat, generation, warholdizaines de classiques des années 1970, de Bob Dylan au Velvet. Les directeurs de la BnF ont laissé Richard Prince extraire les oeuvres de son choix des tréfonds du fonds ancien, pour que l'exposition soit en elle-même une appropriation artistique. Sur les couvertures défraîchies où les jeunes filles en fleur exhibent leurs poitrines juvéniles, il ajoute ses rehauts de couleur, peinturlure les chairs de pois rouges ou d'éclats blancs et tapisse des stickers, pour "continuer les couvertures", les personnaliser.

La démarche de Prince s'inscrit dans le droit fil d'un Marcel Duchamp. Peu après la non-présentation de son célèbre Urinoir, l'iconoclaste écrivait (dans un article anonyme) : "Que M. Mutt ait fait ou non l'objet de ses propres mains n'a aucune importance. Il l'a CHOISI. Il a pris un article ordinaire de la vie courante, et l'a placé de telle manière que son sens usuel a disparu devant une nouvelle vie et un nouveau point de vue - créant une nouvelle pensée de cet objet." Entre le Français et Richard Prince, beaucoup ont repris le principe du ready-made, comme Dali et son bigophone crustacé ou Andy Warhol et sa boîte de soupe à la tomate Campbell. Mais le geste artistique restait souvent patent. Entre les mains de Prince, il retrouve sa pureté d'origine : aucune intervention, ou presque. L'appropriation est radicale dans sa simplicité. L' "American prayer" extrait les éléments du quotidien en effaçant les références à la marque, par exemple, afin de les inscrire dans un autre champ sémantique. Par ce double mouvement de décontextualisation/recontextualisation, Prince donne une nouvelle signification à l'image. Témoin, sa re-photographie du cow-boy de Marlboro - procédé qui consiste soit à reprendre le même sujet d'une photo sous le même angle et la même lumière en 2005, soit à effectuer un recadrage, ce qui est le cas ici, en effaçant le logo et le slogan publicitaire. Dans une démarche de revalorisation de l'image standardisée, il montre qu'une banale photographie de publicité peut être belle, et acquérir - dans tous les sens du terme - une valeur nouvelle, en décalant légèrement le regard du spectateur. Pourquoi achetez-vous une image que vous avez vue des centaines de fois sans y prêter la moindre attention ? C'est toute l'interrogation du travail de Prince.

Une démarche qui se double d'un jeu constant sur les frontières de l'authentique et la nature de la falsification : "Richard prince aime jouer sur la confusion entre ce qu'il collectionne et ce qu'il crée, la copie ou l'original." Malicieusement, il glisse ses propres créations au milieu des étagères. Il aime apparier les romans de gare avec leur couvertures originales à la gouache. Certains dessins lui tapent dans l'oeil, mais pas de livre correspondant ? Qu'à cela ne tienne, il le fabrique lui-même, généralement sous le nom d'une maison d'édition fantaisiste, comme pour Lonesome traveller de Jack Kerouac. Le terrain de jeu est richard prince, prince, richard, exposition, collection, american prayer, bnf, portrait, biographie, oeuvre, marlboro, photographie, photo, nu, pornographie, verlaine, pop, beat, generation, warholimmense, des Unes de magazines pour homme qu'il orne d'une dédicace falsifiée aux albums de musique, comme le CD de Paris Hilton. Et en fin de parcours, une étagère murale bourrée de livres - remplis de pages blanches, bien sûr. Richard Prince interroge sa propre démarche : celui qui collectionne pour collectionner ne se moque-t-il pas du contenu et de la signification proprement individuelle du collectionné ?

Un coup de pinceau, trois points violets sur une couverture plastifiée, une fausse dédicace : Richard Prince joue avec l'insignifiant. Où finit l'art, où commence la plaisanterie potache ? A ce point, la démarche de l'homme confine au futile. Mais la grâce pop dont il sait si bien s'approprier l'esprit sauve les apparences. Le spectateur, certes aguerri par les répliques sismographiques d'un art qui ne connaît plus ni bornes, ni limites, se retrouve à étudier attentivement les vieilles couvertures souillées des pulp's aux pages écornées comme il le ferait devant un Picasso. Pas de doute, Richard Prince s'amuse. Avec un sens des affaires certain : premier photographe à avoir dépassé le million de dollars pour un instantané, Prince vend ses séries comme des petits pains, et nourrit l'offre sur le marché des investisseurs, non sans alimenter la spéculation. La technique est un succès :  le prix de vente de ses réappropriations atteint régulièrement des sommets. Mais quand bien même il se réclame de valeurs libertaires, sa démarche n'est pas tout à fait sans risques, comme le montre sa récente condamnation pour s'être "approprié", sans payer de droits d'auteur, les photographies de Patrick Cariou.
 
Augustin Fontanier
Le 14/05/11
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Richard Prince. American Prayer, jusqu'au 26 juin 2011

Bibliothèque Nationale de France
Quai François Mauriac
75013 Paris
Tlj (sf lundi) 10h-19h
Tarif plein 7€
Tarif réduit 5€
Rens. : 01 53 79 49 49











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Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil : Richard Prince, Untitled (original), 2009 Original illustration and paperback book 34 x 35 inches (86.4 x 88.9 cm) © Richard Prince, Photo by Rob McKeever, courtesy of Gagosian Gallery
Photo 1 Richard Prince, Untitled (cowboy), 1991 Ektacolor photograph, 45 x 30 inches (114.3 x 76.2 cm) © Richard Prince, courtesy of Gagosian Gallery
Photo 2 Richard Prince, Untitled (original), 2009 Original illustration and fabric, framed, 41 x 33 inches (104.1 x 83.8 cm) © Richard Prince, photo by Rob McKeever, courtesy of Gagosian Gallery
Photo 3 Richard Prince, Untitled, 2008 Original illustration,album cover, and publicity photograph, framed, 39 1/2 x 45 1/2 inches (100.3 x 115.6 cm) © Richard Prince, photo by Rob McKeever, courtesy of Gagosian Gallery
Photo 4 Richard Prince, assemblage éphémère sur un livre de poche: Passions et perversions, Paris, 1974, BnF littérature et art © Richard Prince, photo by Rob McKeever, courtesy of Gagosian Gallery