L`Intermède
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DANS MIA MADRE, présenté en compétition au dernier Festival de Cannes, Nanni Moretti met en scène une réalisatrice, Margherita, dont la mère est mourante. Alors même que la mise en abyme invite à réfléchir sur la place et le rôle du cinéma, le film lui-même constitue une forme de réponse dans son exploration du monde par le biais des émotions. Brouillant le cadre entre rêve, réalité et souvenir, Mia Madre met au jour les errements et les nuances des réactions humaines face au monde et aux autres, en particulier dans un moment de deuil. Le titre du film, déjà, adopte cette position à la première personne, mettant en avant la relation du sujet à tout ce qui l'entoure, ou plutôt la tentative de créer une relation avec cet environnement.


Par Claire Cornillon

DES OUVRIERS MANIFESTENT et chargent contre des C.R.S. Et puis soudain, "coupez" : nous sommes sur le tournage du dernier film de Margherita. Mia Madre commence par ce qu'il n'est pas, un film politique. Ce qui va se jouer est de l'ordre de l'intime, qui ne s'articule que plus ou moins bien avec la vie publique ou professionnelle. Alors que sa mère mourante est à l'hôpital, Margherita prend conscience de sa solitude, de sa difficulté à communiquer avec autrui et du manque de sens de sa vie. Alors qu'on vante son cinéma social, elle avoue ses doutes : "Tout le monde me croit capable de comprendre la réalité ; mais en fait, je ne comprends rien", explique-t-elle dans une conférence de presse. Son personnage semble s'être construit une place dans le monde, mais superficielle, de l'ordre de l'artifice, comme si elle n'arrivait pas à coïncider avec lui. "Margherita est quelqu'un qui est toujours ailleurs par rapport à l'endroit où elle se trouve", suggérait Nanni Moretti, venu défendre son film sur la Croisette avec l'ensemble de ses acteurs.



La banalité du quotidien

LA FAMILLE DE MARGHERITA est pourtant belle et unie. Margherita est certes divorcée, et se sépare de son nouveau compagnon peu après le début du film, mais sa relation avec sa fille est plutôt paisible. Son frère, sa mère, tous s'aiment de cet amour ordinaire, mais pour autant profond, sans grande démonstration ni conflit tragique. Ce qui émerge avant tout, c'est cette absence de communication : Margherita qui ne comprend pas sa fille, ou son frère qui ne lui a pas avoué qu'il a arrêté de travailler depuis un mois et qui ne peut pas lui expliquer pourquoi. Chacun vit dans son monde intérieur qu'il n'est pas évident de partager.

mia madre, cinéma, film, italie, italien, nanni moretti, réalisateur, margherita, giovanni, mère, parents, enfants, malade, autrui, cannes, festival, critique, analyse, photo, photos, image, interviewALORS QUE L'ÉTAT DE LA MÈRE se dégrade et qu'elle commence à confondre le rêve et la réalité, Margherita se perd dans ses souvenirs et ses cauchemars, superposant au réel un univers intime, fantasmatique et discrètement inquiétant. Le film passe sans transition de l'un à l'autre sans qu'il nous soit toujours facile de distinguer immédiatement le statut de ce que nous voyons. Il n'est pourtant pas onirique mais ancré dans une sobriété formelle qui résonne avec le quotidien de tout un chacun.

LE FRÈRE DE MARGHERITA, Giovanni, est une sorte de contrepoint à son personnage. Prévoyant, calme et posé, il est toujours celui qui fait face et qui énonce les choses, quand Margherita tente à chaque instant d'éloigner le réel. "Il y a beaucoup de moi en Margherita, avouait Nanni Moretti, tandis que Giovanni est peut-être la personne que je voudrais être et peut-être la personne que Margherita voudrait être aussi." Tous les personnages qui entourent la protagoniste sont finalement des autres, c'est-à-dire des personnes qui semblent vivre et aborder le monde différemment, mais les choses ne sont pas si simples et ce que l'on perçoit d'elles n'est peut-être aussi qu'une façade. Dès lors, le personnage de l'acteur américain jouant dans le film de Margherita et interprété par John Turturro n'est qu'une représentation supplémentaire du déplacement que ressentent les personnages : perdu sur un tournage qu'il ne comprend pas, dans une langue qu'il ne maîtrise pas, il joue un rôle même sur le plateau, occupant l'espace tel une star qu'il n'est pas. Tous cherchent à trouver une place.



Présence/absence

LA MÈRE, QUI DONNE SON TITRE AU FILM, est une figure à la limite de la légende, car à la frontière de la vie et de la mort. Être fragile et diminué par la maladie, elle devient surtout celle dont on parle et qui se construit désormais comme un souvenir. Rien d'étonnant alors à ce qu'elle n'aime pas qu'on lui rappelle les anecdotes du passé. Elle sent qu'il ne va bientôt subsister d'elle que cela. L'appartement, mia madre, cinéma, film, italie, italien, nanni moretti, réalisateur, margherita, giovanni, mère, parents, enfants, malade, autrui, cannes, festival, critique, analyse, photo, photos, image, interviewqu'investit Margherita après une fuite d'eau ayant rendu son propre logement invivable, est justement un lieu hanté par sa présence ; celle d'une figure tutélaire, d'ancienne professeur de lettres classiques, qui semble avoir touché tant de gens. Mais ce sont là presque toujours les souvenirs des autres, et Margherita n'en fait pas partie. On lui raconte sa mère, comme si elle était un personnage.

LA RÉALISATRICE EST ELLE AUSSI dans une constante présence / absence, non pas due à la mort mais à l'absence d'investissement dans la vie. Constamment sollicitée sur le tournage, elle n'est qu'une figure d'autorité de façade. Elle ne mène le bal qu'en réagissant à ce qu'on lui propose sans être véritablement instigatrice d'une vision. Elle-même ne connaît plus le sens de ses formules répétées à l'envie comme un discours plaqué. Elle demande aux acteurs d'être à côté de leur personnage, peut-être comme elle-même est à côté de la vie.

PARTANT, LA MORT DEVIENT une confrontation avec l'inéluctable du présent. Il y a bien tout le passé que l'on peut interpréter comme on le souhaite, mais il n'est pas possible d'échapper à ce ce qu'il se passe maintenant : la mère de Margherita est en train de mourir. L'inondation qui la chasse de chez elle est bien cette image d'un réel qui envahit petit à petit l'espace et que l'on ne peut éviter. Il en va de même pour la déchéance physique : Margherita se révolte contre l'incapacité de sa mère à marcher quelques pas, comme si l'existence réelle de son état était rendue trop flagrante par cette preuve physique. Il n'est plus possible de ne pas la voir. Pour la réalisatrice, qui a construit sa vie comme un système pour se protéger du réel, qui plaque un fonctionnement sur le monde et les autres pour ne pas les voir, cette mia madre, cinéma, film, italie, italien, nanni moretti, réalisateur, margherita, giovanni, mère, parents, enfants, malade, autrui, cannes, festival, critique, analyse, photo, photos, image, interviewévidence ne peut être qu'insupportable. Mais c'est aussi cette expérience qui la conduit à réinterroger sa vie, et finalement, dans une certaine mesure, à la réinvestir.

C. C. 
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à Paris, le 12 juillet 2015

Mia Madre, de Nanni Moretti
Avec Margherita Buy, Nanni Moretti, Giulia Lazzarini...
102 min
Sortie prévue le 2 décembre 2015


Présenté en compétition – Sélection officielle Festival de Cannes 2015

 




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