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ET PETER KUPER DE REMARQUER avec un certain abattement que les problèmes passés, loin de donner lieu à une prise de conscience à long terme, se répètent ou se prolongent d’une décennie à l’autre : "C’est déprimant de voir avec quelle facilité on peut réimprimer ce qu’on a produit dans un autre contexte", en adaptant légèrement le dessin à la situation présente. Les images nées en réaction à la guerre d’Irak en 1981 gardent toute leur actualité en 2001. Dès lors qu’elles sont republiées pour répondre à cette nouvelle réalité politique, un second niveau de signification vient pourtant se greffer sur le message premier : la reprise, à vingt années d’écart, d’une image qui reste en parfaite adéquation avec la réalité présente, dit l’enlisement d’une histoire qui, bien qu’elle suscite chaque fois des réponses et des protestations identiques, s’empresse de les ignorer pour répéter indéfiniment les mêmes erreurs.
LE TRAVAIL DE PETER KUPER prend alors deux directions différentes : tout en continuant à dessiner des papillons, des arbres, des insectes et à assouvir sa passion d’"entomologiste refoulé", il se mêle aux événements qui ébranlent la ville et les fixe dans des images. Images immédiates, produites dans l’urgence pour donner lieu à un discours alternatif capable de donner à ses amis restés aux États-Unis d’abord, à tout un réseau de lecteurs étrangers ensuite, une vision plus complexe de la réalité mexicaine, ces croquis pris sur le vif et réalisés au cœur de l’événement donneront aussi naissance à deux œuvres réalisées de manière rétrospective : le Journal de Oaxaca, où alternent de manière chronologique les narrations écrites datées et les pages de dessin, et Ruines, une histoire élaborée à partir des nombreux éléments autobiographiques, mais qui déplace l’événement vers un point de vue fictionnel.
APPRENDRE À VOIR, c'est aussi apprendre à décentrer son regard, à changer de cadrage, à porter les yeux ailleurs que dans la direction qui nous est indiquée. C’est avec cette idée que, si l’on change de point d’observation, on peut percevoir tout autre chose que ce à quoi l’on est habitué, que le dessinateur a emmené sa fille de neuf ans à Oaxaca, désireux de répéter l’expérience que lui avait fait vivre ses parents lorsque, au même âge, ils lui avaient infligé une année en Israël devenue dans sa mémoire une période formidable. C’est aussi ce que cherchent ses dessins lorsque, reproduisant une scène foisonnante de détails, ils grossissent à la loupe un détail anodin ou déplacent la focale par rapport à l’événement qui mobilise l’attention. Au beau milieu de la violence qui se déchaîne, on voit une petite fille regarder par la fenêtre le papillon qui s’envole ; en même temps que les morts tragiques des manifestants, les rituels colorés qui les célèbrent ; aux côtés du danger bien réel, la vitalité stimulante des rues de Oaxaca.


