L`Intermède
Le choix de la rédaction de L`Intermède
 
La Bête humaine, d'après l'oeuvre d'Émile Zola
Dobbs et Giorgiani
Éditions Robinson
Paru le 5 septembre 2018



En deux mots

 
C’est un ambitieux défi qu’a relevé le scénariste Dobbs, en adaptant l’un des plus célèbres romans de la magistrale fresque zolienne des Rougon-Macquart, La Bête Humaine. La collaboration avec le dessinateur Germano Giorgiani offre un travail abouti, fidèle à l’œuvre de Zola, à l’esprit naturaliste et à l’ambiance sombre du roman. La bande dessinée plonge en effet le lecteur dans le monde ferroviaire du XIXème siècle, où nous retrouvons Jacques Lantier, fils de Gervaise – l’héroïne de L’Assommoir – passionné par sa Lison, locomotive qu’il aime comme une femme et souffrant d’une folie homicide – lié à son hérédité et à l’alcoolisme des Macquart – et de pulsions meurtrières : le désir physique d'une femme s'accompagne chez lui d'un irrésistible besoin de la tuer. la bete humaine, dopps, giorgiani, emile zola, jacques lantier, l assommoir, train, locomotive, thriller, rougon-macquart, ecriture poetique, bande dessinee, roman graphique, naturalismePour le scénariste, c’est précisément « les pulsions du personnage de Lantier et le caractère de roman noir [qui l’ont attiré] narrativement ». La BD reprend alors les codes du thriller, où le héros, témoin d’un homicide, va voir sa vie bouleversée.
 
Il peut paraître de prime abord étonnant de voir adapté en BD une œuvre très descriptive, assez massive, où le texte et l’écriture poétique ont une place très importante. Mais Dobbs a fait le choix de la fidélité, et laisse une part belle au texte de Zola : « Les citations sont exactes à très peu d’exceptions. J’ai travaillé comme d’habitude en découpant image par image, page par page, séquence par séquence afin de donner tous les éléments nécessaires à la compréhension des intrigues, tout en gardant à l’esprit l’atmosphère pesante des descriptions réalistes de Zola. Tous les chapitres sont présents, tous les lieux également ». De même, si l’on pouvait craindre que certains passages du roman soient traités de manière trop rapides, voire allusives, le scénariste a tâché de n’en écarter aucun, bien qu’il ait parfois « préféré réduire les actions ou accélérer la temporalité ».
 
L’approche de l’œuvre de Zola a surtout été dirigée par la volonté d’en restituer l’ambiance, de rester fidèle à l’esprit naturaliste de l’auteur : "Retranscrire les ambiances tendues, l’atmosphère souvent poisseuse et les sentiments/pulsions des personnages autour des thématiques zoliennes comme l’hérédité, l’alcoolisme, la violence faite aux femmes, l’importance du milieu social, la justice des hommes… c’était ça le but". Et la gageure est réussie, grâce à la collaboration avec Germano Giorgiani, qui, en faisant le choix d’une palette ascétique, dans les tons marrons-beiges-gris, plonge le lecteur dans un univers sombre, presque crasseux, caractéristiques des descriptions zoliennes. Pour les deux artistes, c’est "l’ambiance [qui] primait, et c’est en ce sens que la mise en scène et la colorisation devaient aller à un essentiel stylisé dans un esprit roman graphique". En effet, outre l’utilisation de la couleur, Giorgiani a fait le choix d’un "trait plus nerveux, moins « propre », plus brut, pour coller aux situations et aux personnalités intéressées, solitaires, obsédées et radicales de l’intrigue. Ce côté cru du dessin permet une approche tout autant naturaliste que le roman : visuellement, les personnages et les lieux étaient dangereux, violents, âpres… vulgaires parfois". Outre cette « patte un peu crue » des illustrations, la mise en scène et la disposition des cartouches sur la page, d’une grande variété, permet de dynamiser l’action, de varier les points de vues, voire de matérialiser "l’enfermement systématique des protagonistes".
 
Les principales difficultés de cette adaptation par l’image furent de s’affranchir des adaptations cinématographiques de Renoir ou de Lang, de demeurer "réaliste dans l’approche de la vie du rail à cette époque avec la ligne du Havre et ses professionnels", mais aussi de ""ne pas rendre pathétique Lantier", qui porte en lui le poids de cette hérédité morbide. Entre personnage charismatique et troublant, "il fallait le rendre touchant sans basculer vers le pathétique ou le grotesque".
Ainsi, si le respect de l’œuvre originale est pour Dobbs une condition sine qua non de l’adaptation, et que "des choix spécifiques sur la narration et le rythme, ainsi que sur les personnages ont du être faits afin de faire correspondre une pagination roman à celle de son adaptation BD", il a su apporter sa patte, pour faire de ce roman graphique une œuvre cohérente et captivante.
Le projet d’adapter de tels classiques du patrimoine littéraire permettrait sans aucun doute à un jeune public d’appréhender l’œuvre zolienne sous un autre aspect, et ainsi accompagner les lecteurs grâce à cette approche de la vision naturaliste. Si Dobbs a "l’occasion de travailler sur un autre Zola, Le Ventre de Paris pourrait [l]’intéresser". Le rendez-vous est pris…
 
Émilie Combes
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Le 17 octobre 2018




La Bête humaine, de Dobbs et Giorgiani
Éditions Robinson
17,95 €
Paru le 5 septembre 2018


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