L`Intermède
Théâtre : Sul concetto di volto nel figlio di Dio de Romeo Castellucci au Théâtre de la ville, à Paris, du 20 au 30 octobre 2011.

PRÉSENTÉ EN AVANT-PREMIÈRE lors du dernier festival d’Avignon, Sul concetto di volto nel figlio di Dio est à l'affiche au Théâtre de la Ville du 20 au 30 octobre. Marquée par une approche faussement iconoclaste du "fait sacré", cette dernière création du metteur en scène italien Romeo Castellucci émerveille autant qu’elle choque. En effet, si les fidèles de la "Socìetas Raffaello Sanzio" - dont Castellucci a été le directeur depuis sa fondation en 1981 - acclament le chef d'œuvre, les associations catholiques les plus engagées, quant à elles, crient au scandale, dénonçant ce qu'elles considèrent comme une prolifération dans le monde de l'art d'une christianophobie latente et d'un discours blasphématoire.

Par Guido Furci et Marion Duvernois



Vendredi 21 octobre, 20h00, Place du Châtelet

DEVANT L'ENTRÉE PRINCIPALE du Théâtre de la Ville de Paris défilent quatre camionnettes de police qui empêchent tout spectateur d'accéder aux salles. La confusion règne. Le public se presse devant les portes mais un cordon de CRS les éloigne du parvis de peur qu'ils ne soient blessés. Une première intervention permet de récupérer un certain nombre de projectiles (bouteilles, canettes, oeufs) mais des manifestants sont toujours là, menaçant la foule avec des objets contendants. Sur le balcon de la façade du théâtre, deux hommes à visage découvert se moquent de l'auditoire et lancent ce qui semble être de l'encre de Chine sur tous ceux qui ne respecteraient pas leurs directives : "Rentrez chez vous ! Vous n’avez rien à faire ici ! Le spectacle n’aura pas lieu !"

sul concetto di volto nel figlio di dio, romeo castellucci, romeo, castellucci, théâtre, théâtre de la ville, paris, octobre, émeute, émeutes, catholique, catholiques, extrémisme, visage, dieu, filsSI PERSONNE NE SAIT comment les deux escaladeurs ont réussi à se percher là-haut, ils semblent tous deux résolus à ne pas quitter ce poste tant qu'ils n'auront pas atteint leur objectif : l'annulation de la pièce au programme depuis la veille. Leurs revendications, ainsi que celles de leurs collègues, distribuant des tracts sur le trottoir et dans le reste du quartier, sont tristement claires : "Le travail de Romeo Castellucci est offensant et vulgaire aux yeux de la communauté catholique ; il relève d’une démarche profondément contestable sur les plans moral et esthétique." Pourtant, chaque membre avoue sans honte à ceux qui leur posent la question : "Non, je n'ai pas vu le spectacle, mais on m'en a parlé." Une réplique qui surprend d'autant plus qu'elle provient de la part d'individus qui n'hésitent pas à afficher leur appartenance à une association religieuse.

LES LIMITES DE LEUR R
ÉPONSE - radicale et refusant l'échange qu'elle aurait pu/dû susciter au sein de l'auditoire - sous-tendent une visée politique : en l'absence d'éléments contextuels probants, le jugement porté sur le travail de Castellucci laisse transparaître un préjugé qui dépasse la contingence, visant non plus l'oeuvre proprement dite mais la trajectoire intellectuelle et existentielle de l'auteur qui en est à l'origine. Si ce n'est pas le spectacle à l'affiche qui pose problème - dès lors que ceux qui en dénoncent les dangers ne l'ont pas vus - c'est Romeo Castellucci en tant que personne qui dérange. Tout d'abord parce que ses choix n'ont de cesse de remettre en cause les paradigmes formels et interprétatifs dominants (c'est-à-dire les dogmes qui hantent toute société organisée) ; ensuite, parce que son engagement et ses prises de positions idéologiques n'ont jamais accepté de compromis (surtout pas lorsqu'il s'agissait de pointer du doigt les responsabilités de chacun dans le processus de mise à distance des conflits en cours) ; enfin parce que son recours à l'iconographie religieuse a toujours voulu vider le sacré de toute appropriation ouvertement institutionnelle.

CE DERNIER POINT aurait pu faire l'objet d’un développement plus conséquent, mais s'est vu réduit à une bagarre d'une petite heure, menée à coups de slogans et non pas d'arguments. D'autant plus que cet affrontement se produit quelques jours après les interventions publiques de France Jeunesse Civitas (Mouvement de jeunesse catholique et politique) et quelques mois avant la prochaine campagne présidentielle, qui verra sans doute une certaine droite instrumentaliser le message du catholicisme le moins modéré et le plus controversé du pays dans l'espoir de s'attirer les faveurs d'un électorat très exigeant en matière de revendication identitaire et soucieux d'asseoir l'héritage judéo-chrétien en tant que socle de notre civilisation. Mais peu importe. Si un vrai débat ne peut avoir lieu dans l'immédiat, cela n'empêchera pas qu'une discussion sans ambage puisse être suscitée dans un deuxième temps et "en connaissance de cause". Parce que, malgré ces tumultes, jusqu'à présent - et grâce aux autorités compétentes, mais aussi à la détermination de la direction du Théâtre de la Ville et de la Mairie de Paris - c'est le droit d'expression qui a prévalu, donnant à Castellucci la possibilité de montrer une fois de plus de quoi il est capable sur scène, et à la collectivité celle de se faire sa propre opinion sur cette dernière pièce - étonnamment maudite, puisque traitant des rapports père-fils et, plus largement, de la relation qui lie le Père au Fils.


Vendredi 21 octobre, 21h30, sur scène

SUITE À UN BREF MESSAGE de la part de la direction, les lumières s'éteignent sur l'arrivée d'un vieillard soutenu par deux hommes habillés en noir. Le vieux a du mal à marcher et s'installe sur le canapé d'un salon ultramoderne meublé de façon sobre, mais extrêmement recherchée. Il regarde une émission à la télévision, dont le public ne voit pas les images et ne perçoit que des grésillements. Autour de lui, une table en guise de cuisine et un lit pour figurer la chambre. La blancheur des lieux évoque le milieu hospitalier. Il ne s'agit pourtant pas d'une clinique, mais bien de l'appartement d'un jeune cadre qui s'occupe de son père depuis que ce dernier n'est plus en mesure de vivre seul. Le fils, sur le point de partir au travail, apparaît quelques minutes plus tard pour s'assurer que son père ne manque de rien. La scène, qui semble pouvoir se résoudre rapidement, finit en réalité par représenter le noyau du spectacle : l'histoire d'un couple anonyme où l'un aide l'autre, d'abord à s'installer confortablement, puis à sul concetto di volto nel figlio di dio, romeo castellucci, romeo, castellucci, théâtre, théâtre de la ville, paris, octobre, émeute, émeutes, catholique, catholiques, extrémisme, visage, dieu, filsfaire face aux problèmes de l'incontinence. Doit-on lire métaphoriquement ce qui nous est présenté ? Probablement pas, puisque les choses sont telles qu'elles sont : un fils aide son père parce qu'il est vieux, qu'il ne peut vivre seul et qu'il est obligé, en raison de ses problèmes de santé, de porter des couches qu'il faut sans cesse changer.

EN ARRIÈRE-PLAN, le visage monumental d'un Christ peint il y a des siècles par Antonello da Messina. D'une certaine façon, il assiste impuissant aux vicissitudes des deux protagonistes, dont les gestes sont plus importants que les mots. Ces derniers peinent à traduire la souffrance du vieux - qui pleure et marmonne comme un enfant capricieux -, mais aussi la solitude du fils - partagé entre la volonté d'assister et le besoin d'être aidé. Le temps passe et les éléments du décor se salissent. La scénographie se fait elle-même tableau, au point de disparaître sous les taches de peinture qui, si elles évoquent des excréments, rappellent aussi d'autres humeurs. Le temps passe et les éléments du décor disparaissent. Poussés hors champ, tout comme le père et le fils s'effaçant derrière le portrait de Jésus, ils laissent la place à une voix dont la consistance matérielle s'impose. Cette voix surgie de nulle part appelle, sollicite, réclame peut-être ; elle n'existe que pour se transformer en lamentation, cri, grincement. Un long moment de contemplation, un instant suspendu qui oblige à interroger le visage dans lequel nous nous reflétons et qui, contre toute attente, ne réagit pas. En dessous de la toile, quelqu'un ou quelque chose essaie désespérément de l'animer comme si un intrus s'était immiscé dans la peau du Christ pour en altérer la texture. Le tissu bouge, se gonfle, s'étire jusqu'à se déchirer, levant le voile - au sens propre - sur ce qui aurait pu être un mystère et s'avère un simple tour du metteur en scène.

PALIMPSESTE, le Christ de Romeo Castellucci l'est pour plusieurs raisons : derrière les rides creusées par le temps, il laisse entrevoir les différentes strates picturales dont il se compose ; en dépit de son statut d'icône, l'éclairage met en évidence ses traits les plus humains. Et c'est dans l'espace qui existe entre la toile et son support qu'une deuxième surface laisse entrevoir un message, divulgué cette fois en lettres claires : "You are my shepherd." ("tu es mon berger") Une négation se détache un peu moins visiblement de l'écriteau : "not". Elle laisse deviner une possibilité non exploitée : l'éventualité que l'affirmation gravée au néon se prête à différentes interprétations, sans pour autant privilégier l'une d’entre elles. Enigmatique, certes, cette conclusion se configure en tant que véritable "logophanie", c'est-à-dire "épiphanie par la voix", par le discours à peine ébauché lorsque toute autre chose sur scène n'est plus sul concetto di volto nel figlio di dio, romeo castellucci, romeo, castellucci, théâtre, théâtre de la ville, paris, octobre, émeute, émeutes, catholique, catholiques, extrémisme, visage, dieu, filsqu'ombre, trace, empreinte. C'est ainsi que l'entreprise s’achève, dans un espace éclaté, à la fois preuve et remise en cause de notre passage sur terre. Cet espace, nous aurions envie de le traverser, de l'apprivoiser, de le "faire nôtre" pour pouvoir en garder les morceaux, tels les reliques, non pas de saints, mais de nos proches, avant qu'ils ne soient plus, à nos yeux, que l'image d’une image ; l'effigie délavée de ce qui a été ou de ce qui, un jour, aurait pu être.

G.F. & M.D.

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à Paris, le 24/10/2011
 
Sul Concetto di volto nel figlio di Dio
Du 20 au 30 octobre 2011
Mise en scène de Romeo Castellucci 
avec Gianni Plazzi et Sergio Scarlatella
Théâtre de la ville
2 Place du Châtelet 75 004 PARIS 
mer-sam : 20h30 ; dim : 15h
Durée : 1h
Tarif plein : 1ère catégorie 29€; 2ème catégorie 23€ ; Tarif réduit (- de 30 ans) : 1 seule catégorie 16€
Rens. : 01 42 74 22 77


 



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