Claire ok
"Fantaisies nuptiales pour 4 acteurs, un coup de foudre, une autruche, un tank et une banane", tel est le sous-titre de Noces, pièce qui se donne actuellement au théâtre de Belleville à Paris et qui, avant même que le spectateur ne prenne place, annonce la couleur. Un vieux rocker qui pointe aux ASSEDIC, un barman muet, une pseudo "générale" qui ne s’est jamais remise de ne pas avoir pu faire carrière dans l'armée et une mariée, "plutôt genre autruche" à la recherche de son "aimeu", la recette de la comédie parfaitement dosée. – Par Aurore Chemin
Un seul décor : une maisonnette qui sera tour à tour église, maison de campagne ou café ; pour l'habiter, quatre acteurs qui changent de rôle comme de chemises pour jouer sept saynètes écrites par des auteurs différents. Au fil des entrées en scène, c'est toute une réflexion sur le mariage qui se forme. De fil en aiguille, il est présenté sous toutes ses facettes, démonté, analysé, parfois passé au vitriol. Pourtant, tout semblait beau au début : la mariée "plutôt genre autruche" tombe dans les bras du rocker, victime d'un coup de foudre ; de l'autre côté, un résistant cherche à se marier à tous prix avec celle qu'il aime avant de rejoindre le maquis. Mais très vite, les roucoulements cessent.
Dans les scènes qui suivent, un vieux campagnard courtise sa voisine dans le seul but d'augmenter son patrimoine foncier, tandis qu'une mariée se morfond à l'idée de se marier devant son ex, devenu maire. On sombrerait presque dans la parodie. Les personnages le veulent et en même temps le fuient. Le mariage fascine et fait peur, car il est à la fois synonyme d'amour et de trahison, de tendresse et de jalousie. On doute de l'être aimé, et l'on en finirait presque par douter de soi-même, de ses propres sentiments. Car qui aime-t-on finalement ? Celui que l'on va épouser dans l'heure, ou celui avec lequel on a rompu juste avant ? Aime-t-on celui qui est présent à nos côtés, ou bien celui-là, là-bas, qui va se marier avec une autre, cette "grosse dondon" qui attise toute notre jalousie ?
Le mariage, affaire de sentiments ? Parfois, c'est l'argent qui l'emporte. Un travesti dans une robe blanche vient nous le rappeler très vite : la prostituée enchaîne CDD sur CDD, seule la future mariée peut s'enorgueillir d’avoir décroché un CDI. Clin d'œil à la réalité économique actuelle, Noces rappelle avant tout que le mariage est un contrat entre deux parties : alliance avec communauté ou séparation des biens. Pourquoi se marie-t-on ? Pour payer moins d'impôts, pour partager le loyer, pour avoir à sa disposition l’homme ou la femme à tout faire.
Tantôt c'est la mesquinerie des jeunes mariés eux-mêmes qui ressort, tantôt ceux-ci sont hors-scène, et les quatre acteurs interprètent alors le regard jaloux de quatre célibataires endurcis qui n'ont pas été invités au mariage de leur ami et qui regardent la scène au loin, faisant mine de dénigrer ceux qui s'apprêtent à s'enchaîner dans les liens du mariage, tout en jalousant secrètement ceux qui, malgré tout, sont parvenus à échapper au célibat. Car que l'on vive ensemble ou seul, ce sont toujours les mêmes souffrances ; tantôt on regrette d'avoir dit oui, tantôt on pleure d'être abandonné(e). Et quand, devant ses trois autres comparses, Betty grimpe sur une table et hurle le nom du sentiment dont nous sommes tous en quête : "l’amour ! l’amour !", c'est en vain. Le noir se fait sur la scène et l'on passe à un autre tableau.
Les sept saynètes s'enchaînent comme défile une vie, et, au fil des scènes et des années, la magie des premiers jours s'amenuise, disparaît, laissant place à la rancœur, à la sécheresse des cœurs. Les acteurs se changent une dernière fois pour mettre en scène un couple de septuagénaires, n'ayant pour seule perspective que les souvenirs du passé et leurs trahisons mutuelles. Au bord de la mort, on s'insupporte, et on ne retient plus de l'être aimé que le bruit écœurant de ses déglutitions, sa mauvaise haleine ou les rides apparues sur le front. Et pourtant, on hésite à "débrancher" l'autre par refus de devoir lui survivre. Un dernier sursaut d'amour, croit-on ? Non, tout simplement la jalousie de voir l'autre abréger ses souffrances avant soi.
De temps à autre pris à partie par les acteurs, le spectateur n'est pas en reste : il rit, s’interroge sur un spectacle qui lui propose, plus qu'une évasion, un retour sur sa vie. Les sept saynètes s'enchaînent comme les jours de la semaine ou les sept péchés capitaux, car après tout le mariage en est peut-être un, et si l'on est heureux le samedi, on s'en repend peut-être les six jours qui suivent. Ce que l'on croit être le plus beau jour de sa vie, n'est peut-être après tout que la pire erreur de sa vie.
Abondant de jeux de mots qui peuvent rappeler les comédies à la Tardieu, Noces n'est finalement pas très éloignée du théâtre de l'absurde, dans lequel la pièce semble entraîner le spectateur au début. Comédie sur fond de tragédie, on rit pour ne pas pleurer, car comme le disait Ionesco, "le comique n'offre pas d’issue".
Noces
Jusqu'au 8 avril 2012
Mise en scène de Gil Bourasseau et Cécile Tournesol
Avec Eric Chantelauze, Ludovic Pinette, Anne de Rocquigny, Cécile Tournesol
Théâtre de Belleville
Passage Piver - 94 Rue du Faubourg du temple
75011 Paris
Mar-Sam 21h / Dim 17h
Tarifs : 28€, 18€, 10€
Rens : 01 48 06 72 34