L`Intermède
Shakespeare, pour le plaisir
Rires, chants, danses, jeux... Tout est vie dans Les Joyeuses Commères de Windsor de William Shakespeare (1564-1616). Que ce soit à l'auberge ou chez les Lepage, on s'enivre de vin et de chansons. Selon la légende, la reine Elizabeth aurait demandé au dramaturge britannique d'écrire une pièce dans laquelle le personnage de Falstaff, déjà présent dans Henry IV, tombe amoureux. Shakespeare s'est pris au jeu, mais sa comédie, dont une mise en scène par Andrès Lima est à découvrir jusqu'au 2 mai sur les planches de la Comédie française, tire davantage vers la farce.
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Théâtre, Comédie Française, Andrés Lima, Catherine Hiegel, Thierry
Hancisse, farce, Angleterre, Falstaff
Amoureux, ce vieux Falstaff à la panse rebondie ? Sans doute davantage de l'argent que des femmes, et plus avide de plaisirs charnels que prodigue d'authentiques sentiments. Il tente en effet de séduire deux bourgeoises, Mesdames Duflot et Lepage, mais en veut plus à leur bourse qu'à leurs charmes. Les deux matrones ont tôt fait de découvrir la supercherie et se liguent afin de le corriger, si possible en le ridiculisant. Dissimulations, déguisements, coups de bâton... Falstaff fait les frais des deux épouses, comme ceux du mari jaloux incarné par Monsieur Duflot, qui, soupçonnant sa femme d’infidélité, n'hésite pas à recouvrir son crâne chauve d'une perruque et à prendre le nom de Duruisseau, afin de les confondre. Mais si le flot se réduit en ruisseau, la jalousie du personnage, à l'inverse, occupe bientôt tout l'espace scénique et provoque rires à foison. Autour de la joyeuse troupe gravitent d'autres figures tout aussi truculentes : le docteur Caïus à l'accent germanique, le bègue et frêle Monsieur Maigreux, et le jeune danseur Fenton, dont chaque saut sur scène se double de quelques cordes de harpes pincées. Tous trois font la cour à la jeune demoiselle Anne Lepage, et confient leurs aspirations à la savoureuse Madame Pétule, bonne à tout faire du docteur et entremetteuse à ses heures perdues. Il faut encore compter avec les deux soldats désœuvrés, à peine congédiés par Falstaff : l'un à la démarche de cowboy , à la gâchette facile et au nom révélateur : Pistolet, l'autre digne d'un maître en arts martiaux. L'anachronisme est cocasse, tout comme les accessoires du pasteur Hugues Evans, qui manque de se pendre avec son chapelet, ou encore le juge Falot, doté du nez rouge d'un clown.
 
Le choix de certains accessoires ou costumes n'est pas la seule liberté prise par le metteur en scène par rapport à l'oeuvre originale. On s'étonne, au lever du rideau, de trouver Sir John Falstaff dans l'ambiance festive d'une auberge. Ce dernier propose à ses comparses de leur raconter son histoire afin de les distraire, ce qu'ils et elles feront tour à tour en le rejoignant sur la table de l'auberge qui lui sert de scène. Cette nouvelle entrée en matière ne trahit pas pour autant l'esprit de la pièce ; car si ce prélude ne figure pas dans le texte shakespearien, il file néanmoins la métaphore du procédé de mise en abyme qui guide l'histoire de bout en bout. Qu'il s'agisse de Falstaff, qui joue l'amoureux pour s’enrichir, ou de Monsieur Duflot qui se tranforme en Monsieur Duruisseau,  tous redoublent le jeu, produisant un effet de "théâtre dans le théâtre" porté à son paroxysme lors de la scène finale au cours de laquelle les personnages arborent déguisements d'elfes et fées afin de punir de ses penchants lubriques le vieux Falstaff. Apothéose surnaturelle, amenée subtilement par la mise en scène qui, au fil des tableaux et de l'action qui progresse, fait pousser d'étranges arbres sur fond de musique inquiétante, alors que la lumière change : le rideau s'ouvre sur une scène éclairée par une seule et les joyeuses commères de
Windsor, William Shakespeare,
Théâtre, Comédie Française, Andrés Lima, Catherine Hiegel, Thierry
Hancisse, farce, Angleterre, Falstaffunique bougie, avant que d'autres flammes crépitent dans l'auberge. A la fin de la pièce, les personnages déguisés évoluent dans un cadre d'ombres bleues, dans l'atmosphère merveilleuse de la forêt où l'on s’apprête à jouer un bon tour à l'avide personnage principal, afin de le purger de ses pulsions et lui permettre de réintégrer la société.

Les Joyeuses Commères de Windsor
, unique pièce du répertoire de William Shakespeare à se dérouler en Angleterre, agit comme un miroir grossissant de la société anglaise du XVIIe siècle ; une société où les nobles se sont emparés de l'argent du peuple et dans laquelle la morale puritaine s'impose face aux esprits hédonistes. C'est finalement l'ordre qui l'emporte, et Flastaff ridiculisé. Mais Shakespeare nuance son propos, et l'enthousiasme du public ne saurait être entièrement gagné par la bourgeoisie incarnée par les deux couples que sont les Duflot et les Lepage. L'amant cupide le premier se moque des deux épouses en leur envoyant à toutes deux la même déclaration d'amour. La jalousie de l'un des deux époux le déconsidère tout au long de le pièce, allant jusqu'à le pousser à prendre le nom ridicule de Duruisseau et l'entrainant à mettre le nez – au propre comme au figuré - dans le linge sale de son épouse, croyant y découvrir la preuve de son infidélité. Les Lepage ne sont pas en reste : s'il refusent catégoriquement pour gendre le jeune Fenton, lui reprochant d'avoir la bourse aussi légère que le pas, ils ne parviennent à s'accorder sur le choix du futur époux de leur fille. Cette dernière sait alors profiter de la fête nocturne pour leur donner une leçon à tout deux et rejoindre à leur insu son jeune danseur. Portrait satirique d'un vieillard cupide, libidineux et sans scrupule, la pièce est aussi, dans une certaine mesure, une critique de la bourgeoisie anglais. Et c'est bien, en dernier ressort, la jeunesse qui l'emporte.
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Auberge, vin, plaisirs... on a tôt fait de trouver à la pièce de Shakespeare des accents rabelaisiens, nourris par un rire qui repose ici autant sur l'action que sur les mots. Dans Merry Wives, le dramaturge se moque des accents gallois et irlandais de certains de ces personnages, incompris par leurs comparses anglais. L'excellent travail de Jean-Michel Déprats et de Jean-Pierre Richard pour la traduction rend pourtant savoureux les jeux de mots du texte original, intraduisibles, en adaptant avec talent les confusions langagières et doubles sens dont regorgent les répliques. Car c'est avant tout du côté du rire et de la farce que nous entraîne la troupe de la Comédie Française, ainsi qu'Andrès Lima, le metteur en scène, qui réalise là un spectacle total, mêlant le jeu, la musique et la danse. Du début à la fin, les acteurs s'enivrent de rouge, et les spectateurs de chansons, dont les paroles festives et paillardes déclamées par les clients de l'auberge laissent bientôt place au célèbre "I can’t get no satisfaction" des Rolling Stones, ultime note réjouissante et so british d'une partition sans temps mort. 
 
Aurore Chemin
Le 09/04/10

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Les Joyeuses Commères de Windsor
,
jusqu'au 2 mai 2010

Comédie française, salle Richelieu
1 place Colette
75001 Paris
Mise en scène : Andrès Lima
Avec  Catherine Hiegel, Thierry Hancisse, Catherine Sauval...
3 h avec entracte





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Crédits photographiques: © Cosimo Mirco Magliocca