L`Intermède
podcast, cosy corner, medoc, moguri, pop culture, jeu vidéo, nolife

 
EN DÉCEMBRE 2016 apparaissait sur Soundcloud, une plate-forme dédiée au partage de créations audio, le premier numéro d'un podcast qui prospère aujourd'hui : le Cosy Corner. L'émission, qui a adopté le rythme d'un numéro toutes les deux semaines, prend la forme d'une discussion d'environ deux heures entre Médoc et Moguri, ses deux créateurs. podcast, cosy corner, medoc, moguri, pop culture, jeu vidéo, nolifeIls échangent sur des sujets très variés toujours liés de près ou de loin à la pop culture comme la musique, la littérature ou le jeu vidéo de façon systématiquement détendue, comme l'indique le titre du podcast. Issus de la presse jeu vidéo, ils ont toujours mis un point d'honneur dans leurs différents travaux à traiter leurs sujets avec autant d'humour que de sérieux. Alors que la deuxième saison du Cosy Corner est déjà bien entamée, Moguri a accepté de répondre à quelques questions sur la genèse et l'essence de ce podcast grâce auquel les transports en commun sont moins pénibles pour les auditeurs.

Par Léo Hébert
 

CE QUI FRAPPE à l’écoute du Cosy Corner, c’est l’évidence qui traverse les deux heures d’écoute. On ne se demande pas vraiment comment c’est fait ni pourquoi, on suit les discussions de Médoc et Moguri en ayant l’impression d’être dans la même pièce, de pouvoir intervenir à n’importe quel moment. Ce ton leur était déjà propre lorsqu’ils travaillaient tous les deux chez Nolife, une chaîne de télévision spécialisée dans la culture japonaise qui possédait jusqu’en 2016 une importante section jeux vidéo.  Nolife, à l’instar du Cosy Corner, se plaisait à aborder ses sujets en profondeur, à prendre le temps nécessaire pour ne rien oublier. Médoc et Moguri écrivent des chroniques pour la chaîne, animent des émissions, produisent des sketchs, le tout en portant un regard curieux et malin sur le jeu vidéo. "Je pense qu'isolé, un jeu comme un livre, un film, ou encore un morceau de musique n'a qu'un intérêt très limité. C'est quand on le replace dans un contexte qu'un produit culturel devient vraiment intéressant (…) Du coup, je pense que n'importe quel jeu, même le pire, est intéressant parce qu'il a forcément quelque chose à dire", explique Moguri. Ce regard qu’ils se sont appliqués à porter de nombreuses années chez Nolife demeure l’essence du Cosy Corner.


Surprendre et se surprendre
 

LEUR JOURNALISME S'AVÈRE POINTU sans être technique. Ici, il passe par la discussion, le besoin d’échanger simplement pour voir ce qui peut émerger. Le format podcast assure une certaine liberté et la durée des épisodes varie selon les détours que peuvent prendre leurs conversations. Ainsi, si les différentes rubriques se sont précisées au fil des numéros, elles n’entravent en rien leur envie de s’attarder sur un sujet ou un autre. Les rubriques les plus spécifiques sont souvent les plus courtes, elles rythment l’émission et créent des points de repère. Mais si le Cosy Corner entraîne aussi rapidement l’auditeur, c’est principalement parce qu’il est surprenant malgré sa forme somme toute plutôt classique. Médoc et Moguri découvrent l’émission en même temps qu’ils la créent et leur plaisir est palpable. "Avant chaque épisode on prépare un petit conducteur, ne serait-ce que pour ne rien oublier. On y trouve juste le thème des différentes rubriques du numéro en cours. Avant l'enregistrement, ça nous permet aussi d'être sûrs qu'on ne va pas débarquer avec des sujets trop similaires, et de commencer à réfléchir un peu autour des thèmes abordés par l'autre, histoire de pouvoir rebondir plus efficacement. Mais on reste toujours très vague dans les conducteurs, parce qu'on tient à garder pas mal de découverte et de surprise."

EN EFFET, AFIN D'AMENER L'AUDITEUR À LES SUIVRE au fil des numéros, Médoc et Moguri perçoivent la discussion comme une promenade, un trajet. Ainsi, ils passent régulièrement du général au particulier et inversement. Dans le Cosy Corner, on parle rarement d’une chanson sans dire quelque chose de la musique dans son ensemble et cela vaut pour la majorité des thèmes abordés. Le jeu Cuphead, réputé pour sa complexité, devient par exemple une porte d'entrée vers le thème plus général de la difficulté dans le jeu vidéo : la difficulté procure-t-elle du plaisir ? Y'a-t-il un intérêt réel à persévérer, à apprendre par cœur pour mieux réciter la leçon à la partie suivante ? Ces trajets sont dépourvus d'une quelconque hiérarchie dans le traitement des sujets et cela crée une impression de changement d’échelle permanent qui entretient l’attention et permet de tout mettre en regard. Moguri explique : "Je pense qu'à peu près tout peut être plus ou moins lié quand on parle essentiellement de culture, et qu'il est souvent intéressant d'essayer de le faire. Et parfois c'est juste marrant, et c'est pas mal aussi ! Cela nous amène régulièrement à partir d'un point précis pour développer un discours en "dézoomant" petit à petit jusqu'à pouvoir faire rentrer un sujet général dans le cadre, ou bien à faire exactement l'inverse, en partant d'un décor vaste pour finir sur un détail."


Un espace prévu pour l'imprévu

 

LE COSY CORNER JOUE AVEC SON FORMAT, il s'empare des codes de l'audio pour les décliner afin de voir tout ce que le médium peut proposer, tout ce qu'il est possible de faire avec un micro pour seul outil. Médoc, qui produit encore du contenu audiovisuel en partageant depuis plusieurs mois ses parties de jeux vidéo sur la plateforme twitch, s'amuse par exemple à scénariser de temps à autre un contenu dont l'essence est pourtant d'être spontanée. Le Cosy Corner avance ainsi au fil des numéros, il expérimente par petites touches pour ne jamais tourner en rond et toujours inciter à rester curieux. Au fil des discussions émergent même certains arcs narratifs que l'on peut suivre d'un épisode à l'autre comme les pérégrinations de Moguri à Bordeaux ou les pensées qu'entretient Médoc en tête à tête avec sa terrasse. Ces expériences pourtant personnelles trouvent toujours un écho chez l'auditeur parce qu'être cosy, état tant recherché et travaillé dans l'émission, c'est aussi ne pas douter que nos goûts peuvent intéresser d'autres gens. Cet état d'esprit était parfaitement incarné par Nolife, et c'est aussi parce que la chaîne vient d'officialiser sa mort après onze ans d'un douloureux mais extraordinaire combat qu'il est important d'être à l'affût de ce genre d'initiatives qui tentent de parler autrement de la culture (et même de parler d'autres cultures) à travers l'interaction et le dialogue.

LES INCONDITIONNELS DU TRAVAIL de Médoc et Moguri l'ont bien compris et n'hésitent pas à partager à leur tour, sur un serveur Discord dédié à cet usage, leurs découvertes et coups de cœur du moment. Une communauté s'est créée (ou plutôt révélée) autour du Cosy Corner et cela pose aussi la question de la place de l'auditeur dans le processus de création. En effet, sur ce serveur Discord, chacun peut y aller de sa petite suggestion d'amélioration, son conseil de visionnage ou tout simplement partager la musique qu'il écoute. Avec cette démarche, Moguri et Médoc se sont donc donnés les moyens d'échanger de manière directe avec leurs auditeurs tout en conservant la formule du Cosy Corner : "On veille juste à s'adresser directement l'un à l'autre, comme s'il n'y avait personne "autour", en gardant simplement en tête que cet "autre" représente parfois tous les gens qui nous écoutent. C'est particulièrement probant dans le Cosy Culture Club : quand Medhi y présente un film ou un livre, il le fait à tous nos auditeurs et auditrices, mais en s'adressent directement à moi. Quant au fait de vouloir justement garder cette ambiance de discution isolée entre deux potes, c'est à notre sens l'essence du Cosy Corner." L'ouverture du serveur Discord et du dialogue avec l'auditeur a des conséquences qui semblent paradoxales : plus le Cosy Corner s'ouvre au public et plus son format intimiste se consolide. Finalement, toutes les discussions annexes qui se multiplient chaque jour avec le Cosy Corner pour épicentre permettent surtout de mieux patienter jusqu'au prochain numéro, à la prochaine discussion à laquelle nous n'aurons pas le loisir de participer.

DANS LE VINGT-HUITIÈME NUMÉRO publié il y a deux semaines, Médoc et Moguri reviennent justement sur leur expérience au sein de Nolife et sur la liberté de ton qu'ils ont su garder et qui est au cœur de leur travail journalistique. Finalement, ce podcast est une idée simple, presque évidente et ce qui la rend si particulière, c'est la rigueur avec laquelle elle est concrétisée. "Notre activité n'est peut-être pas condidérée comme un "vrai travail" puisqu'elle ne nous rapporte pour l'instant rien du tout mais personnellement, je l'aborde de la même manière. Ce que je veux dire par là, c'est que même si on parle de choses futiles en déconnant je pense que ça ne nous empêche pas de le faire avec sérieux et une certaine exigence."

Léo Hébert
----------------
Le 9 mai 2018




Pour écouter l'émission

Le Cosy Corner
Par Médoc et Moguri



D`autres articles de la rubrique Sons

superscream, metal, objet-disque, progressif, metissage, the engine cries, eric pariche, phil vermont, steampunk

Musique : Rencontre avec Yorkstone, Khan & Thorne à loccasion de la sortie de leur album Everything sacred.