
ricochet dans celui du spectateur. La grande place donnée au non-événement permet ainsi d'entremêler extraordinaire et "infraordinaire" pour représenter un réel complexe. Le récit feuilletonnant n'a-t-il d'ailleurs pas été pratiqué par les romanciers réalistes du XIXe siècle, comme support des grandes fresques littéraires que sont La Comédie humaine ou Les Rougon-Macquart ? Comme le rappelle Antonia Zagamé (CNRS), si des divergences notables sont perceptibles entre les romans-feuilletons et la série télévisée, il n'en reste pas moins que tous deux naissent de la volonté de proposer une peinture sociale plus ou moins fragmentée.
ATTENTIVES AUX RÉALITÉS SOCIALES certaines séries promeuvent la vie de tous les jours, mais pour en souligner parfois les secrets et les aspérités. En se focalisant sur la vie des banlieues familiales de classe moyenne, The Middle (DeAnn Heline, Eileen Heisler, 2009 - ) cherche autant à peindre une couche sociale qu'à dévoiler les excès secrets d'un mode de vie apparemment standard. Donna Spalding Andréolle (Université Stendhal – Grenoble III) souligne comment, à travers le portrait de la famille traditionnelle américaine, cette série montre la banlieue dans ce qu'elle a de plus intime tout en incarnant l'esprit middleness d'une middle class, perdue in the middle of nowhere. Si en apparence tout est standard, les représentations attendues se fissurent et les crises s'accumulent. La normalité n'est plus que le masque idéal auquel aspire chacun des membres de la famille, alors que la satire creuse l'écart entre la tradition et la réalité. D'autres séries interrogent les représentations de la femme : Anne Sweet (Université Paris 3 - Sorbonne Nouvelle) souligne comment Charmed, Buffy, ou Xena permettent de questionner sa place dans la société. Ainsi, Veronica Mars (Rob Thomas, 2004-2007) offre, selon Pierre-Olivier Toulza (Université Paris Diderot), une image ambivalente : s'adressant à un public principalement adolescent, et incarnant ainsi la nouvelle génération des années 2000, la série se penche sur l'histoire d'une jeune femme vivant dans une famille monoparentale. A travers cette héroïne, l'univers fictionnel aborde les problèmes émotionnels, sociaux et psychologiques qui sont liés au contexte post-féministe. Véronica Mars, entre féminité affirmée et rejet du patriarcat, multiplie les visages en fonction des situations dans lesquelles elle est engagée, dans la quête d'une identité sexuelle qui est aussi une identité sociale. Sexualité et marginalité se retrouvent également au coeur de The L Word (Ilene Chaiken, 2004-2009) comme le rappelle Adrienne Boutang (Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle) au sujet de cette série qui fait surgir le microcosme lesbien de Los Angeles dans le paysage télévisuel américain et européen.
l'intolérance. Du souvenir personnel à la chronique de mœurs, il n'y a qu'un pas, que franchit également  Six feet under en jouant sur l'irruption des souvenirs, des fantasmes et des hantises dans le présent des personnages : de la sorte, le temps de la série permet de faire de l'univers fictionnel la représentation critique de notre propre réalité. Comme le montre Vincent Baticle (Université Paris Diderot), cette complexité temporelle est aussi celle de Code Quantum (Donald P. Bellisario, 1989-1993) où l'histoire privée d'un personnage - le scientifique Samuel Beckett - permet de balayer la réalité historique de la nation.
LA SCIENCE-FICTION APPARAIT ainsi comme un moyen privilégié de décrire une société par ses fantasmes : X-Files (Chris Carter, 1993-2002) s'appuie précisément sur la figure de l'extraterrestre pour interroger les peurs et les obsessions contemporaines. Mais la vie extra-terrestre n'y est qu'un prétexte : selon Frédéric Gai (Université de Caen), elle permet l'immersion dans des problématiques contemporaines telles que la marchandisation de l'homme, la course à l'armement, les manipulations génétiques. La théorie du complot apparaît dès lors comme l'allégorie de la société et des fictions que chacun se construit sur sa propre existence. Le monde du travail tient une place particulière dans ces interrogations : Emmanuelle Delanoë-Brun (Université Paris Diderot) montre comment la figure de l'alien renvoie aux relations sociales problématiques qui s'établissent dans la société. Mutations animales, êtres hybrides renvoient parfois à la réalité d'un monde du travail aliénant, interrogeant ici la place de l'immigré mexicain, disant ailleurs la puissance mortifère du patron face à ses employés. Ces variations sur la figure fuyante du monstre métaphorisent notre perception de la réalité tout en donnant une visibilité aux oubliés du système politique et social. La tension entre le fantastique et le réalisme émotionnel, souvent exploitée dans les séries, est analysé par Anne-Marie Paquet-Deyris (Paris X) à propos de Six feet under, et par Marta Bosch (University of Barcelona) à travers l'image des vampires de True Blood (Alan Ball, 2008 - ) comme représentation de l'altérité sexuelle, ethnique ou religieuse.
 fait shakespaerienne, jacobéenne même. Les scénarios revisitent le western pour mettre en relief la barbarie de la civilisation contemporaine, dans une ambiguïté constante entre sublime et grotesque. Le réel est exacerbé et devient le lieu des tragédies les plus inédites, les plus violentes, ou celui des faits les plus dérisoires.
les différents conseillers du président, plus ou moins cyniques, plus ou moins tolérants. C'est aussi par la fiction que le créateur de Treme (David Simon, 2010) estime qu'il est possible de faire passer un message politique. Refusant consciemment le format du documentaire, il fait entendre avec la fiction (et seulement par elle) ses revendications. Une démarche originale étudiée par Catherine Dessinges, Dominique Gendrin et Wendy Hajjar (Tulane University) et que l’on retrouve aussi dans Oz (Tom Fontana, 1997-2003) telle que l'a présentée Claudia Schippert (University of Central Florida, Orlando) qui porte finalement un discours sur le réel, pertinent et riche de questions politiques par le biais d'artifices fictionnels. C'est dans le réel affiché que les séries gomment le monde, mais c'est quand elles s'éloignent du monde qu'elles aspirent à une forme de vérité.
 étudiant cinéphile et téléphage incarne le spectateur, fan de séries, de cinéma, et partage avec lui toute une culture populaire de laquelle il s'inspire pour créer un univers digital. Mais il se désigne aussi comme médiateur du réel car il explique le monde dans lequel il vit par ces mêmes références fictionnelles et va même jusqu'à prédire le déroulement futur de la série à travers ses créations.
à faire le deuil de la série. La fin s'inscrit dans le mécanisme fictionnel lui-même.